Les courants fourbes du lac Tai, le polar à l'asiatique, ca vous tente?
Faire partie d'un jury littéraire nous procure un avantage indéniable: celui de nous forcer à aller voir vers des contrées littéraires vers laquelle on n'aurait pas forcément penser aller de prime abord. En effet, comme un certain nombre de personnes, je pense, j'ai tendance à privilégier la production littéraire occidentale. Ainsi, lorsque j'ai découvert la sélection du prix du meilleur polar des lecteurs de Points (spécialisée dans les livres poches), il y a des titres qui m'ont tout de suite attirés, et d'autres, qui, au contraire, m'ont fait un peu froncer les sourcils.
Comme vous pouvez vous en douter, Les courants fourbes du lac Tai de Qiu Xiaolong fait malheureusement partie de la seconde catégorie. Je crois n'avoir jusqu'à présent n'avoir jamais tenté la littérature chinoise, probablement par frilosité, et donc, forcément, ce n'est pas ce livre qui m' a attiré en premier sur le papier. Cela dit, le découvrir par la face du polar me semblait plutôt une bonne idée, car, je me suis dit que, si jamais le décor et le mode de narration me semblaient trop éloignées, je pouvais toujours me raccrocher aux codes du polar, de ce que je connaissais.
Eh bien, en fait, je dois dire que la lecture de ce polar n'a pas été si périlleuse que cela, même si, effectivement, il faut un petit temps d'adaptation pour ne pas trop se perdre dans les noms de personnages aux sonorités un peu ressemblantes pour les occidentaux que nous sommes, et également pour rentrer dans un rythme pas forcément aussi tumultueux que le lac en question. Mais ce qui est vraiment interessant dans ce roman, et visiblement, d'après mes recherches post-lecture, dans toutes les oeuvres de cet auteur, c'est sa capacité à nous faire mieux comprendre le fonctionnement de ce régime, et notamment à travers ce personnage de l'inspecteur Chen, qui passe ici des vacances dans un centre de séjour réservé aux cadres du PC qui ont bien oeuvré pour la communauté; vacances qui seront entravées par un meurtre, celui du PDG de la société située juste à côté.
En effet, Chen va être confronté à un vrai cas de conscience car il va s'apercevoir qu'avant son assassinat,ce patron acceptait que sa boite verse des déchets extrêmement toxiques dans le superbe lac Taï, polluant fortement les poissons qui y résidaient. Dans une société chinoise où le capitalisme sauvage l'emporte largement sur les questions environnementales, les militants écologistes ne sont pas forcément bien vus, et l'inspecteur Chen sera d'autant plus décontenancé qu'au cours de son séjour-enquête, il fera la rencontre d'une jeune fille, Sanshan, qui travaille aussi dans cette entreprise et qui est concerné par ces problèmes de pollution.
Cette partie là, de la rencontre avec Sanshan dans un petit restaurant au bord du lac (l'inspecteur Chen est un vrai gourmet, d'où des longues pages de description des menus), à ses discussions avec celle qui va devenir l'objet de ses tourments, est vraiment très interessante. En effet, sans faire de bêtes généralités, les asiatiques ne sont pas forcément le peuple le plus extraverti qui soit, et les sentiments qui assaillent l'inspecteur ne seront donc que suggérés, au gré des poèmes de plus en plus intimes que Chen énonce ou crée lui même.
En effet, une des particularités de cette inspecteur est son coté très lettré (il est président d'un comité de poésie) et cet aspect du personnage m'a profondément séduit, assez loin de la plupart des inspecteurs des romans américains (ceux de Dennis Lehane, par exemple, n'ont cette caractéristique première ).
En revanche, et c'est là où le bas blesse, toute l'intrigue policière proprement dite ne m'a vraiment pas captivé. Cela est certainement dû au rythme, dépourvu de la tension inhérente à tout polar digne de ce nom, et à des disgressions parfois totalement inutiles; la résolution de l'enquête apparaissant anecdotique et quand même assez prévisible. Mais visiblement, ce n'est vraiment pas cela qui interesse en premier lieu Qiu Xiaolong, c'est plutôt de donner des nouvelles de son pays, à travers le prisme du polar.
En ce sens, je peux dire que ce livre est une réussite, et que je remercie le prix du polar Points de me l'avoir fait découvrir.