Ah,qu'on est bien à Annonay!!! (chroniques de jury festival 2ème partie)
Bon, le souvenir de ma première chronique sur "Vis ma vie de membre du jury de cinéma" étant encore, je pense, bien frais dans les esprits, je continue donc sans plus attendre, avec la seconde journée de mon périple, celle du vendredi 3 février dernier :
8 heures : Après une courte nuit (geek comme je suis, je n'avais pas pu m'empêcher d'aller surfer sur la blogo à une heure de mat, et je le paie un peu maintenant), je me réveille un peu vaseux: une douche, deux cafés et la rédaction de mon carnet de bord, et me voilà fin prêt à affronter le froid sibérien ( je jette un oeil distrait sur la météo de la TV qui annonce - 20° en Ardèche) et surtout les trois films de la compétition, qu'il va bien falloir analyser et disséquer dans tous les sens!!
-10 heures : Rendez-vous au Théatre pour rencontrer de manière plus formelle que la veille, Gaël Labanti, le directeur artistique du festival et Marianne Ferrand, la directrice de la MJC. Si celle ci se lance dans une longue (et un peu rébarbative) tirade sur l'historique et l'organisation de la structure, Gaël attaque le vif du sujet en nous parlant du festival, de la sélection proprement dite, et surtout de ce qu'il attend de notre rôle de jury. 8 films en compet triés sur le volet par un comité de visionnage composé d'une douzaine de membres qui ont du choisir ces -supposées-perles parmi plus de 250 films provenant de toute la planète. Notre mission (qu'on a forcément accepté) est de donner un prix à deux de ces films (trois autres prix sont aussi attribués mais par d'autres biais), un prix spécial d'une dotation de 1500€, et un Grand Prix avec une dotation de 5000€, dont 3500€ serviront à aider le film à trouver un distributeur en France. Car c'est la caractéristique de ce festival, il s'agit de films, qui, au moment de la sélection, n'ont pas trouvé de distributeurs sur l'hexagone (un seul en a trouvé depuis). Après cette présentation, on se concerte entre tous les membres du jury pour se poser des questions pratico- pratiques : Devrons nous rester à la fin des films lorsque les réalisateurs viendront parler de leurs oeuvres ou bien il y a t-il risque d'être influencé par leurs beaux discours? (réponse à la majorité : on peut rester, on est suffisament libre de pensée pour que rien ne vienne interférer, moi le premier :o). Et également, en combien de fois devons-nous parler des films avant la délibération finale?(réponse à l'unanimité : aprés chaque film, on se retrouvera dans un lieu determiné pour faire un tour de table à chaud sur le film qu'on vient de voir)...finalement, après une petite hésitation, on a tranché assez vite, le jury semble sur la même longueur d'ondes, tant mieux...
-11h30 : sur le programme, était indiqué à cette horaire : "Rencontre avec la presse": on s'est donc pris facilement pour des immenses stars qui allaient être noyés sous les flashs des photographes et les entretiens de professionnels en tête à tête. On a vite déchanté : une seule journaliste était présente, du Dauphiné Libéré, et visiblement, elle ne mourait pas d'envie d'être ici. Elle nous a clairement fait comprendre que son journal lui laissait très peu de place pour la rédaction de son article, et que de plus, le gros de la place serait consacrée à la photo de groupe. Du coup, place d'emblée à la photo bien vite torchée, et aux questions où chacun d'entre nous a pu glisser une banalité ( passion pour le cinéma, joie de voir des oeuvres prometteuses...), mais guère plus...
12 h 30 : deuxième repas de groupe dans un autre restaurant de la ville, Cuisine en scène. Là, je fais connaissance plus poussée avec mes deux voisines, toutes deux membres du jury. A ma gauche, Constance, enseignante de français à Metz, me révèle le contenu de sa lettre de candidature : composée uniquement de titres de films qu'elle a accollé les uns aux autres pour raconter sa vie de cinéphile, son audace a payé et force également mon admiration (mais bon, ça, à mon avis, elle s'en fout :o). A ma droite, Aline m'apprend qu'elle est la seconde blogueuse du jury. Son blog, Cinéglobe, ne m'était pas inconnu de nom, et je note un peu jalousement qu'elle a le triple de visiteurs que moi. C'est vraiment le repas spécial blogueurs car, pendant que je lui parle, une femme que je ne reconnais pas vient à notre table et demande à haute voix si " un certain Philippe est présent". Je pense de suite au pire (mes enfants? ma compagne?), mais en fait, il s'agit de Pascale, auteur de Sur la route du cinéma, blog ciné trés influent et qui, depuis sa présence au jury en 2005, ne cesse de venir à Annonay pour couvrir l'evenement à la fois sur son blog et sur le journal officiel du festival. Je l'avais contacté par mail juste avant de partir, on échange donc quelques mots, brefs, mais on sait de toute façon qu'on se recroisera d'ici la fin du festival.
14 heures : L'heure de passer aux choses sérieuses avec le premier film en compétition. Il s'agit d'un film suédois, Sebbe, de Babak Najafi, et récompensé du prix du meilleur premier film au Festival de Berlin, ce qui est quand même plutôt bon signe. L'’histoire est celle de Sebastian, “Sebbe”, anti-héros marginalisé socialement et sentimentalement, et qu’une mise-en-scène brillante, (mais aux multiples influences, de Ken Loach au gus Van Sant d'Elephant), sans oublier la force de l'interprétation du jeune comédien qui l'incarne rend particulièrement attachant… Quelques réserves toutefois : des facilités d'écriture, et un personnage de mère un peu trop chargé. Cependant, j'ai bien aimé le film, et lors du débriefing de la fin, je suis un de ceux qui le défende le plus. Les autres membres du jury sont moins enthousiastes que moi, notamment le Président Jacoulot qui pointe les nombreuses faiblesses scnénaristiques du film. Devant cette tiédeur générale, je me dis que le film a de fortes chances d'être absent du palmarès. En même temps, comme je le dis à mes confrères, le film devra forcément être revu à l'aune de tous les autres : soit il sera sous évalué, soit, au contraire, et comme je le sens, surévalué si le niveau de la compétition est plus faible que celui ci.
16 heures : Je ne pensais pas d'ailleurs que cette prédiction allait se vérifier si vite : le second film de la compétition,que l'on voit dans la foulée, qui nous vient d'Espagne, s'appelle Crébinsky, et, en ce qui me concerne, la vision de ce film totalement loufoque et décousu me fait l'effet d'une purge : on voit pendant une heure trente deux abrutis finis courir après une vache, dans des lieux et des décors qui font penser à du sous sous Kusturica (pas déjà mon réalisateur préféré à la base)...déjà, un court métrage de 5 minutes m'aurait semblé long, alors là, je ne vous dis pas le calvaire...A la fin du film, Le Président du jury Raphael Jacoulot doit partir en vitesse présenter Avant l'aube dans un ciné de la Loire, partenaire du festival, donc pas de debriefing, je ne saurais donc pas immédiatement si tout le monde a partagé ou non mon irritation devant ce pensum... Du coup, j'en profite pour rappeller ma mère qui avait essayé de me joindre plusieurs fois pendant la projection...evidemment, cette insistance ne présageait rien de bon (on sait qu'elle l'aime son fils, il n'y aurait donc rien eu de nouveau là dedans:o)) : quand je l'ai, elle m'annonce que sa meilleure amie, et accesoirement ma voisine pendant 25 ans, est décédée en début d'apres midi d'un cancer foudroyant. J'avais raison de craindre la mauvaise nouvelle ce midi avec l'arrivée de Pascale, j'ai du sentir quelque chose, vous me direz, c'est souvent comme cela quand tout nous sourit...
18 heures : A l'annonce de cette terrible nouvelle, j'ai un peu de mal à replonger dans ma bulle enchantée qu'est le festival. Je file quand même à l'Etape, rejoindre ma tablée réservée aux membres du jury, et c'est à peine si je me rends compte qu'une nouvelle tête est attablée avec nous. On me précise qu'il s'agit en fait d'Enrique Otéro, le réalisateur de Crébinsky. Est ce pour nous influencer ou bien simplement car le type est naturellement trés chaleureux et souriant? En tout cas, même si je ne comprends rien à l'espagnol, je me rends compte qu'Enrique est vraiment super sympathique et semble apprécier rester boire un coup à notre table de façon désinteressée. Il nous parle de la Galice, la région d'Espagne d'où il vient, et de sa passion pour la musique (il est le chef d'une fanfare) ....Ah, j'ai toujours dit que ce Crébinsky était une merveille de film, moi, et je sais déjà à qui je vais donner ma voix dimanche soir .... au fait, qu'est que je disais déjà ce matin?:o)
19 heures 30: Nouveau diner, comme hier, au Dôme. Personnellement, je suis moins loquace que la veille, vu la nouvelle que je viens d'apprendre, et vu aussi la conversation autour de moi : l'art contemporain, la pédophilie, le Canada, la coke et ses conséquences : tous ces sujets, soit je ne m'y connais pas assez, soit je risquerais de ne sortir que des lieux communs dessus. Donc, je suis plus spectateur qu'acteur,et en même temps, c'est parfaitement dans la droite ligne de mon premier aprés midi de festivalier, donc cela ne me dérange pas plus que cela.
21Heures : Il est temps de passer au troisième film de la compétition, et le tout premier présenté par son metteur en scène. Il porte l'intriguant titre d'Au cul du loup", il vient de Belgique , et en fait, c'est le seul de la sélection dont j'avais déja entendu parler avant de le voir, car plusieurs blogeuses belges l'avait chroniqué lors de la sortie du film dans le plat pays . L'histoire est classique (une jeune trentenaire belge, à la vie un peu morne, décide de tout quitter sur un coup de tête pour rejoindre la maison dont elle a hérité de sa grand mère, en Corse), mais pas désagréable à suivre. On pense à "Une hirondelle a fait le printemps" avec Mathilde Seigner et Michel Serraut, sur un thème proche (le retour à la nature et aux choses simples), bref un film aux valeurs irréprochables, mais assez dépourvu d'idées de cinéma. Le film m'a semblé en tout cas bien sympathique, exactement à l'image de son metteur en scène, Pierre Duculot. Ancien prof de lettre et journaliste, ce dernier nous explique qu'il s'est lancé dans le cinéma en toute modestie pour parler de sujets légers et qui ne plombent pas. C'est tout à son honneur, et encore une fois, dès que je fais connaissance avec le réalisateur, j'ai envie d'aimer un peu plus son film. Qui a dit que le professionnalisme à outrance était mon credo? Bon cela dit, j'ai un jeu de mot qui me trotte dans la tête: Pour son film, Pierre en a un peu manqué (Du culot) : je suis assez fier de mon coup, mais j'oserais pas la faire en délibération, j'ai une image de sérieux, pas celle d'un sous Laurent Ruquier...