Possessions : quand l'art s'empare (encore) d'un fait divers
Allez, je vous confesse un petit péché mignon : lorsque je lis ma presse quotidienne, juste après les pages culture, ce sont les pages faits divers que je dévore dans la foulée.
Je ne suis bien sûr pas le seul dans ce cas puisque, depuis la nuit des temps, les faits-divers fascinent l'opinion publique. A en croire une étude menée par des chercheurs écossais, cette fascination pour les faits divers, et a fortiori les plus monstrueux d'entre eux, serait inhérente à la nature humaine. Concrètement, l’homme communique bien mieux dès qu’il raconte des histoires croustillantes. Si l’on suit ce raisonnement, parler de faits-divers nous permettrait de créer des liens.
L’intérêt porté à ces drames peut aussi être la marque d’une certaine empathie. Le fait-divers intéresse en tant que «phénomène social", selon Catherine Gramaix, psychologue clincienne : "lorsque nous voyons quelqu’un souffrir, nous sommes nous-mêmes affectés".
Bon, vous voyez bien, si je prends la peine d'utiliser des citations d'éminences grises, c'est que j'essaie de trouver des raisons qui pourrait légitimer ce qui peut-être également vu comme un truc plus honteux à avouer, la résultance d'une pulsion de voyeurisme mal contrôlée.
Car non seulement, j'aime lire tous les détails de ces faits divers (ceux relatés dans Libération, avec toujours un peu de recul et de dérision, sont un délice), mais lorsqu'un écrivain ou un cinéaste reprend un de ces faits divers pour en faire une oeuvre de fiction, je vais souvent me précipiter dessus. Et si je ne suis pas le seul ,comme je le proclamais quelques lignes plus haut, certains ne comprennent pas cet étrange penchant, n'est ce pas, Luzycalor?
Ainsi, après avoir notamment adoré les trois adaptations de la passionnante affaire Romand (celle d'Emmanuel Carrière, et les deux films de Nicole Garcia et de Laurent Cantet, en l'epace d'un mois, c'est trois adaptations artistiques de faits divers connus que je me suis approprié : Après la lecture du Pacte des Vierges et de Tout, tout de suite, je suis allé voir au cinéma, deux jours après sa sorties en salles, Possessions le nouveau film d'Eric Guirado, très fidèlement inspiré de l'affaire Flactif (et encore j'avais failli voir les films tirés de l'affaire Omar Raddad, et de celle d'Outreau, n'en jettez plus, la coupe est pleine :o)
Pour ceux qui ne s'en souviennent plus, ou qui l'ignorent totalement, sous ce nom de "l'affaire Flactif" se cache une affaire criminelle française qui a défrayé la chronique en 2003, à la suite des meurtres d'un promoteur immobilier, de sa femme et leurs trois enfants âgés de sept à dix ans, au Grand-Bornand en Haute-Savoie.
Parmi les faits divers de la dernière décennie, celui ci (avec justement l'affaire Ilan Halimi) fut un des plus marquants, car il différait quelque peu des affaires criminelles traditionnelles. Ici, pas d'histoire de tromperie ou de réglements de comptes, mais un immense sentiment de convoitise et de frustration qui amène un homme, sous le joug de sa compagne, à assassiner toute une famille bien mieux lotie financièrement et socialement parlant. Rarement un faits divers aura autant soulevé de questionnements sur les différences sociales, et beaucoup d'observateurs avaient alors trouvé dans cette affaire criminelle le symbole des dérives de notre société de consommation. Le vrai mobile du meutre est effectivement à rechercher du côté de l'abondance de richesses que la victime affichait de façon ostentatoire à son meutrier, qui avait ainsi le sentiment de se sentir humilié par cette différence de biens.
Cependant, comme j'avais suivi cette histoire d'assez près, grâce notamment au livre de la journaliste Christine Kelly paru en 2006 consacrée cette affaire, j'avais trouvé un autre intéret à cette histoire, la personnalité assez fascinante du meurtrier, David Hotyat, homme enfant assez innocent au départ, et qui bascule dans la monstruosité de façon progressive.
Dans le film d'Eric Guirado, et c'est un peu le problème du film, on a un peu de mal à comprendre comment ce prolétaire poussé bout par l'attitude du promoteur puisse basculer du coté de l'horreur. En se basant uniquement sur le motif de la frustration généré par la société de consommation et les émissions débiles que le couple de prolétaires regardent à longueur de temps, le film nous laisse un peu en rade. Il aurait fallu, à mon sens, plus insister sur le portrait d'un homme qui bascule dans la monstruosité pour qu'on ait les clés pour tenter de comprendre l'incompréhensible (un peu comme Morgan Sportès le fait dans son livre, tout en évitant de verser dans un psychologisme à deux balles).
Tel que Guirado nous décrit les protagonistes de l'affaire, on n'arrive jamais à ressentir une once d'empathie pour ces personnes, seulement motivées par des considérations bassement matérialistes,et du coup, le couple de riches promotteurs nous parait nettement plus sympathique, et j'ai du mal à comprendre en quoi leurs comportement poussent autant ses locataires à l'inimaginable. Le portrait de la classe prolétaire m'a parue trop caricaturale (seulement interessés par les bagnoles et le fric) et ce manque de subtilité dans l'écriture déssert le film, d'autant plus qu'a contrario, le couple de riches propriétaires est plus nuancé.
Le film m'a donc mis du coté des riches et des nantis, et j'avoue que cette perspective ne m'a pas enchanté outre mesure :o) Certes, vous pourrez me dire que Mickael Haneke dans Funny Games ou Claude Chabrol dans la Cérémonie nous rendent également les tortionnaires bien plus odieux que leurs victimes également bourgeoises, sans que cela ne m'ait géné comme ici, mais tout est aussi question de mise en scène :celle d'Haneke est pourvue d'une telle tension et d'un coté absolument glacant et celle de Chabrol recèle un vrai regard ironique, toutes qualités que la caméra de Guirado ne trouve qu'en de rares occasions ( par exemple en filmant une très belle scène de festivités lumineuses sur neige le soir de Noël).
Pour toutes ces raisons, Possessions n'est pas vraiment convaincant, mais réserve quand même de vrais plaisirs de spectacteur, notamment dans la direction d'acteurs : les 4 acteurs principaux offrent une magnifique partition, Jérémy Regnier, méconnaissable avec ses 18 kilos de pris et son accent d'ouvrier du Nord, Julie Depardieu est également inattendue dans un rôle de personnage bien détestable, et j'ai encore plus apprécié le jeu des deux acteurs jouant les riches, dans des prestations contre- emplois de leur rôle habituels : Alexandra Lamy et Lucien Jean Baptiste sont extrement crédibles dans ce couple de riches, pas forcément conscients de leurs manières un peu condescendantes avec les classes sociales inférieures.
Condescendants, certes, le film le montre peut être un peu, mais encore une fois, et au risque de me répeter, cette attitude est loin d'être suffisante pour légitimer l'action du couple Hoyat.
Bref, si je prends uniquement pour modèle les derniers exemples que j'ai pu comparer, la littérature l'emporte par KO dans l'adaptation d'un faits divers. Mais sans doute le 7ème art n'a pas dit son dernier mot. Attendons notamment de voir ce que donne le très intriguant projet d'une adaptation de l'affaire DSK par Abel Ferrara avec Gérard Depardieu dans le rôle de l'ex secrétaire général du FMI...
"Possessions" : l'affaire Flactif au cinéma
bonus :un reportage sur la perception du film par les proches des victimes