Baz'art  : Des films, des livres...
7 mai 2012

Philippe Djian, une affaire de style avant tout...

Philippe-DjianMon rapport à la littérature se joue parfois de faits étranges, et pas forcément très rationnels. Prenez Philippe Djian. Après avoir vu à 12-13 ans (bon j'étais un peu jeune, je pense, pour ce genre de film, que faisaient donc mes parents?), le film de Jean Jacques Beineix 37,2° le matin qui m'a fait l'effet d'une vraie claque, j'ai décidé de lire juste aprés le livre dont il est tiré, dont Djian est l'auteur, et ensuite de dévorer tous les ouvrages qu'il a publiés, de ses débuts en 1983 à ceux écrits à la fin des années 1990.

Ainsi, je me souviens parfaitement avoir lu sur la plage plusieurs des bouquins du bonhomme, de Bleu comme l'enfer, son tout premier, à Maudit Manège, en passant par Lent Dehors, Assassins, ou bien encore Sotos.

Pourquoi un auteur comme Djian, quadragénaire un peu libidineux, et ses écrits sur ces types un peu paumés, aimant les excès en tous genres (nicotine, alcool, joint, sexe),  ayant un gout prononcé pour le rock, et attirés par des filles plus jeunes et surtout par leurs corps pouvait autant séduire l'ado mal dans sa peau (pléonasme?), peu séducteur, très sage, et écoutant exclusivement pop et variet', que j'étais?

Avec le recul, difficile de répondre à cette question. Je sentais chez l'auteur et dans les histoires qu'il racontait une vraie liberté, un vrai souffle et une audace dans ses (anti) héros que j'enviais certainement. Et une vraie mélancolie ressortait de ses pages, cette mélancolie à laquelle j'ai toujours été très sensible dans n'importe quelle oeuvre, qu'elle soient littéraires, musicales ou cinématographiques.

Et j'aimais aussi beaucoup les aphorismes dont il abreuvait la plupart de ses romans, que je trouvais alors d'une pertinence folle (« Si on ne peut pas avoir le cœur de quelqu'un, faut-il pour autant renoncer au reste ?; in Assassins ») (« Se fixer des buts dans la vie, c'est s'entortiller dans des chaînes in 37,2°le matin. »)

Car, plus que l'histoire proprement dite, ce qui a toujours le plus intéressé Djian, c'est le style évidemment, ce qu'il appelle "la musique de l'écriture", celle que possédait les auteurs américains qu'il venère par dessus tout, de Faulkner à Bukowski. Pour Djian, « N'importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire est une affaire de rythme, de couleur, de sonorité. ». L'écriture de Djian possède de fait quelque chose de très cinématographique qui ne pouvait me laisser indifférent, et Jean Jacques Beineix ne s'y était d'ailleurs pas trompé.

Ce style si particulier, je le retrouvais aussi dans les chansons qu'il a pu composer pour le chanteur Stefan Eicher, avec qui il a noué 16016stephan-eicher-philippe-djian-le-havreune profonde amitié, et pour lequel il a écrit ses plus belles chansons en français (Déjeuner en paix, Pas d'ami comme toi, Tu ne me dois rien,...) que j'écoutais en boucle tout en lisant...du Djian:o) Bref, un vrai fan...

Et puis, comme cela arrive parfois, il arrive qu'on tourne le dos à ses amours de jeunesse et qu'on évolue en changeant de vie. Est-ce moi, qui, en devenant père de famille responsable(?), me suis lassé de ces histoires de vieux beaux touchés par des démons de midi un peu pathétiques? Ou bien est-ce Djian lui-même, qui, en refaisant toujours un peu le même livre, et en privilégiant toujours autant la forme au fond a un peu perdu de sa superbe et semble être un peu sur pilote automatique?

Quoiqu'il en soit, après avoir un temps totalement arrété de lire du Djian, qui continua pourtant de sortir un livre tous les 18 mois, avec notamment sa série Doggy Bag en 6 volumes, inspirée des séries américaines les plus brillantes comme Six Feet Under, je m'y suis remis dernièrement en lisant coup sur coup Impardonnables puis Incidences, sortis respectivement 2009 et 2010, et hélas, je n'ai pas réussi à retrouver l'enthousiasme de mes 15 ans.

Et, pourtant, ce qui est évident, pour répondre à la question c'est que, contrairement à d'autres auteurs que j'aimais étant plus jeune (Didier Van Cauvelaert), les écrits de Djian sont immuables, c'est même assez rassurant de voir que dès les prmières pages, on retrouve des thématiques et un ton qui n'a pas bougé d'un iota. Mais alors, dans ce cas, pourquoi n'ai- je pas réussi à retrouver la même passion pour ces livres qu'avant?

Cela dit, modérons mes propos : je dois reconnaitre que le premier de ces deux romans, Impardonnables, dont André Techiné en a tiré un film sorti l'été dernier, fut quand même pour moi un très bon moment de lecture. Cette histoire d'écrivain qui a perdu sa femme et l'une de ses deux filles, tuées sous yeux dans un accident d'automobile, et dont la seconde fille disparait, reste assez intriguante, et surtout, Djian nous montre qu'il reste quand même un styliste hors pair: des phrases courtes, un ton sec et tendu, un phrasincidencesé à la fois épuré et lyrique,

J'aurais peut- être dû rester sur cette bonne impression car j'ai voulu enchainer avec un autre de ses romans publié récemment en poche, Incidences, et là, j'ai senti un peu trop fortement la redite. Dans Incidences, on suit à la trace Marc, un écrivain prof de fac, qui découvre un matin que Barbara, l'étudiante avec qui il vient de passer la nuit, est morte. Il se débarasse du corps dans un gouffre et poursuit sa vie de prof friand de jeunes élèves, et vivant avec sa soeur. Bientôt, la belle-mère de la disparue Barbara souhaite le rencontrer pour qu'il lui  parle de la Barbara.  A son grand étonnement, il tombe amoureux de cette femme d'âge mûr, et s'engage dans cette relation quelque peu sordide...

Ici, malgré son talent stylistique et la persistance de ses phrases choc (Celui qui n'attendait rien n'était jamais déçu.Celui qui ne péchait pas par optimisme ne tombait jamais de haut) toujours bien présent, je n'ai pas mordu à l'hameçon. La faute sans doute à une histoire vraiment trop peu crédible (ce n'est vraiment que dans les romans qu'on cache un corps d'une femme morte, dans la vraie vie quiconque irait à la police, non?) et, surtout dont Djian semble s'en contrefoutre assez royalement.

Bon, au début de mon billet, je disais que Djian s'est toujours senti plus concerné par le style que l'histoire, donc, soit je me suis lassé du style Djian qui n'arrive plus à cacher la vacuité de son intrigue, soit, c'est moi qui suis plus attentif au fond d'une oeuvre, et moins à la forme,  mais, quoiqu'il en soit, ses prochains romans méritent encore qu'on y jette un oeil, ne serait ce qu'un distrait...

Commentaires
F
ah oui il m'arrive d'être mesuré parfois qd je parle pas politique :o) je peux totalement comprendre que lire Djian peut ulcerer...on peut etre totalement hermétique à cet univers :o)
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O
Presque contente de te lire, assez mesuré dans tes propos, parce que moi je n'ai jamais aimé Djian, du tout, avec toute la bonne volonté du monde !
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F
@madame sophie : dis moi,tu es levée pied au plancher ce matin:o)oui oui faut jamais abandonner les Philippe comme cela, je suis totalement d'accord avec toi ce sont des êtres fragiles :o)<br /> <br /> @isa: zut j'aurais aimé te donner l'envie, un peu comme le faisait Johnny :o) non franchement si tu as l'occasion d'en lire un autre de lui...ne jamais bruler ses amours de jeunesse :o)
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I
J'ai suivi à peu prés le même parcours que toi concernant Djian. Aprés avoir dévoré l'intégrale de ses oeuvres à l'adolescence, je l'ai abandonné ... Quand j'ai vu le titre de ton billet, je me suis dis 'tiens au fait, qu'est ce qu'il devient ?' ... <br /> <br /> Bref, l'envie ne revient pas...
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M
J'ai toujours beaucoup aimé P. Djian et, comme toi, j'ai trouvé qu'il manquait quelque chose à Incidences. Mais je veux quand même renouveler mes lectures de Djian pour retrouver le plaisir que j'avais à le lire au début.
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