La première fois que j'ai entendu parler de slam, c'était en 1998, grâce au cinéma ( euh, un peu comme d'habitude en fait) , et au très bon film éponyme de Marc Levin qui s'interessait à la vie du slameur Saul Williams, avec ce dernier, star du slam aux USA, et qui tenait le rôle principal dans ce beau film, largement inspiré de sa propre vie.
La notoriété du slam, ces sortes de poèmes urbains, n'avaient pas encore franchi la France, et ce n'est que plusieurs années après que le terme est passé dans le langage courant, popularisé par Grand Corps malade, cet échalas qui se déplacait avec une béquille, mais dont on oubliait le handicap dès qu'on entendait la voix, incroyable de profondeur et de densité, ainsi que les textes d'une profondeur et d'une habileté indéniable. On connaît tous l’immense succès qui suivit son apparition dasn le monde de la chanson : trois albums plébiscités par le public et la critique, une distinction de Chevalier des Arts et des Lettres, qui récompense la qualité de sa plume, toujours subtile et surprenante.
Mais avant de devenir ce slameur incontournable de la scène français, Grand Corps malade s'appellait Fabien Marsault, son nom d'état civil, et c'était un jeune homme de 20 ans dont la destinée de sportif de haut niveau s'est retrouvée brisée en une fraction de seconde, à cause d'un plongeon dans une piscine où il manquait l'essentiel : un peu plus d'eau pour amortir sa chute : Fabien heurte le fond du bassin, et se déplace les vertèbres.
Bien qu’on lui annonce qu’il restera probablement paralysé à vie, il retrouve peu à peu l’usage de ses jambes après une année de rééducation. Et c'est dans son tout premier livre, Patients, que j'ai lu récemment grace aux éditions Don quichotte que Grand Corps Malade nous raconte le récit de son transfert vers un centre de rééducation et son année dans celui-ci.
Cela pourrait être terriblement anxiogène et voyeuriste, or c'est tout le contraire qui se produit avec ce récit miraculeux.
Par des chapitres courts mais aussi percutants que des uppercuts, Fabien nous relate ses souvenirs et anecdotes, lors de son année dans un centre de rééducation pour handicapés lourds.
Grand Corps Malade, sans jamais se donner le beau rôle, malgré l'admiration que l'on éprouve forcément pour lui, arrive à nous démontrer à quel point chaque journée passée dans ce centre n'est qu'une suite de combats permanents :première petite autonomie avec un fauteuil roulant électrique, à moins que l’aide-soignant ait oublié de le charger pendant la nuit, et que l’on se retrouve seul au milieu de sa chambre sans pouvoir rien faire car tout l’étage est au réfectoire, une fois de plus prisonnier de son corps, impossibilité de tenir une télécommande, alors que horreur, l'aide soignant a laissé la TV sur M6, avec après les clips, l'émission M6 boutique que Fabien est obligé de se farcir jusqu'au bout.
Avec beaucoup d'humour ("Ah oui, pour tous les ringards d'entre vous qui n'ont jamais été tétraplégiques, sachez que manger seul pour un tétra est aussi facile que de voler pour un homme valide ), de pudeur et de sensibilité, le slameur nous permet de faire connaissance avec les aides-soignantes, les infirmières et l'ensemble du personnel médical, et surtout, avec les autres patients. Les handicapés, quelquefois de naissance, mais le plus souvent par accident toujours cruel, mais quelquefois temporaires (les tétra dits "incomplets"), quelquefois définitifs.
Et, c'est là que ce livre prend toute son ampleur. Parce qu'on pouvait s'attendre à quelque chose de glauque, de larmoyant, alors qu'au contraire, l'auteur fait montre outre un humour presque constant beaucoup de respect et d'admiration pour ceux qui peuplent ce genre d'établissement.
Si Grand Corps Malade a mis 15 ans pour revenir sur cette expérience humaine unique et douloureuse et physiquement et psychiquement. , c'est qu'il l'a attendu avant de l'aborder de façon la plus sereine possible. Pendant quelques temps il est tétraplégique, mais il finira par retrouver l'usage de ses membres et sa mobilité, même s'il en conserve encore aujourd'hui quelques importantes séquelles, il a récupéré ce qui est le plus important lorsqu'on entame ce combat : l'autonomie.
Grand Corps Malade est ressorti de cette épreuve avec un vrai amour pour la vie et une envie de la croquer à pleine dent, et d'apprécier pleinement le moindre petit moment banal, comme seuls les grand respacés de terribles épreuves peuvent le faire.
On pourrait presque lui reprocher parfois de ne pas mettre assez de sentiment, d'être un peu trop clinique dans son approche des choses mais c'est justement cette distance et cette maturité qui font toute la force du récit, et les derniers chapitres où l'on apprend un peu ce que sont devenus certains de ces patients sont vraiment bouleversants.
J'aimais déjà bien l'homme et l'artiste, avec ce Patients, j'ai découvert une autre facette de Grand Corps Malade, qui me le rend définitivement estimable à tous points de vue...
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