avec-memory-vincent-delerm-ose-le-spectacle-total,M64707Dans une passionnante interwiew donnée en 2011 au non moins passionnant magazine Télérama, Vincent Delerm faisait une confession assez étonnante :  "à  chaque fois que j'ai rencontré des types qui m'avaient dézingué, ils me ressemblaient, avec une petite veste en velours comme j'en portais à l'époque ! Ce n'étaient jamais des brutes avec des tatouages de Johnny sur le bras. Il y avait une proximité, comme si l'idée que je pouvais incarner ce qu'ils étaient les horripilait. C'est curieux".

Effectivement, ca l''était d'autant plus (curieux) que j'avais plutot l'impression que les vrais fans de l'artiste étaient ceux qui lui ressemblaient énormément. Ainsi, prenons votre humble serviteur :  incontestablement, depuis le début des années 2000 où je l'ai découvert en premiere partie de Julien Clerc, j'ai pu trouver en Vincent Delerm une résonnance très importante sur pas mal de points de vues, une impression que tout ce qu'il pouvait chanter ou mettre en scène aurait trés bien pu venir de ma plume ou de mon esprit, si jamais j'avais eu le dizième de son talent créatif.

Que ce soit par son gout très prononcé pour un certain cinéma, celui de Truffaut ou de Woody Allen, sa façon de se souvenir de ses amours de  jeunesse même totalement platoniques, son autodérision permanente qui peut parfois ressembler à de l'autoflagellation, sa capacité à mettre toujours un peu de recul et de d'humour pour se pas se laisser trop envahir par l'émotion, son coté provincial attiré par les lumières de la capitale, son enfance de  fils de fonctionnaire bien ancrée à gauche, ses observations caustico-tendres du quotidien et des émotions de ses proches, et enfin  surtout une vraie conscience pour le temps qui passe qui vire parfois à la mélacolie, tout cela concourrait à me faire penser que Delerm était un de mes doubles inversés, et que, contrairement à ses détracteurs qu'il croise régulièrement dans la rue, cela ne me faisait pas horreur, mais au contraire pleinement plaisir de me  reconnaitre en lui.

 Et lorsque j'ai vu une bonne partie du public du Radiant Bellevue à Caluire venus assister le 11 avril dernier à son dernier spectacle, Memory, qu'il jouait  pour la toute première fois sur La région lyonnaise  je me suis dit que je ne semblais pas, du moins en apparence être le seul à se retrouver dans les musiques et la façon de présenter de Delerm junior : les quadragénaires un peu bobo semblant quand même largement l'emporter sur les têtes blanches ( Caluire n'est pas forcément une ville la plus branchée qui soit).

Vincent Delerm - Teaser du spectacle "Memory"

Personnellement j'étais excité comme une puce tant cela faisait près de 4 ans que je n'avais pas vu Delerm sur scène et tant, depuis que j'avais pris connaissance de son nouveau projet, à mi chemin entre le théatre et le tour de chant, j'avais une folle envie de voir sur scène ce projet qui semblait totalement taillé pour lui.

En effet, alors que ses précédents spectacles avaient déjà énormément flirté avec le théatre et le cinéma,  Memory fait plus ou moins écho à la tournée 2009 à laquelle j'avais assisté et  qui scénographiait  avec un bonheur total pour le spectateur son tour de chant en incluant divers éléments piochés pour l’essentiel dans l’univers cinématographique. Décor rétro, images d’archives drolatiques, voix off, duo virtuel…

Mais le Delerm comédien est encore plus mis en avant, avec comme point d'ancrage, non pas Vincent, mais son double, Simon, un homme qui, comme tout le monde, se pose la question du temps qui passe. Au début du spectacle, on le voit écouter une émission de radio qui fustige ceux qui se replient sur le passé au lieu de s'ouvrir aux autres...Simon va alors faire des allers et retours entre chez lui et l'extérieur, en se forçant un peu. Ce point de départ est en fait prétexte à plein de séquences, de fausses expos, de faux films, qui posent la question de notre rapport au temps et à l'époque. Et comme souvent, et à mon plus grand bonheur, le cinéma est omniprésent dans ce spectacle, qui bénéficie en plus, cerise sur le gateau, de la participation enregistrée de Woody Allen.

Prématurément grisonnant, Delerm commence par  ressasser  sur fond de rires préenregistrés une adolescence provinciale où, hier comme aujourd’hui, on combat l’ennui à coups de balades à vélos et de flirts plus ou moins aboutis.

Dans "Memory", Delerm chante aussi, huit chansons dont il dit qu'il ne les enregistrera jamais. C'est un cadeau pour  nous, les fans de la première heure, d'autant plus que ses chansons sont bien dans la veine du Delerm qu'on adore, entre ballade déchirante sur le temps qui passe (Livry Gargan) ou chroniques caustiques et bourrées d'humour sur les modes qui se délitent ( Tout le monde s'en fout)

Et lorsque je disais que je me retrouve énormément en lui, Delerm le confirme avec ses digressions sur ses états d'ame de joueur de tennis amateur («Je me souviens que ça m’énervait de ne pas transpirer, alors que j’avais un bracelet en éponge pour enlever la sueur»), ou de cinéphile, plongeant dans le pariscope comme d'autres dans une une bible et qui a la facheuse impression que tous les pitchs des films français se ressemblent un tant soit peu!!!

Une performance totale, mise en scène avec le concours de Macha Makeïeff, où le jeu d'acteur, le texte et la vidéo occupent une place aussi importante que les chansons. L'ensemble pourrait paraitre un peu décousu, un peu confus, mais la sincérité et la puissance évocatrice des souvenirs de Delerm emporte tout sur son passage.

Et il n'y a rien à y faire, mais les chansons de Delerm ont ce talent de me faire passer par les plus belles de toutes les émotions, et notamment les larmes à l'écoute du dernier morceau chanté par Delerm, la bouleversante  Echelle de Richter,unique chanson que, pour le coup, je connaissais effectivement.

Naguère écrite pour les dix ans du label Tôt ou tard, elle est ici interprétée en duo virtuel avec Lhasa, dont la voix fragile et intense en même temps a fait chavirer le public, même ceux qui semblaient le mois en osmose avec l'univers delermien...

Un vrai coup de force et d'émotion pour un spectacle qui ne peut laisser indifférent et que je suis ravi d'avoir eu l'occasion de voir...