Baz'art  : Des films, des livres...
2 février 2014

C'est eux les chiens : du cinéma marocain rageur et exalté!!

chioens

Quand une agence de communication spécialisée dans le cinema d'art et d'essai (et plutôt dans les films issus du bassin méditerannéen) m'a proposé de voir en avant première un film marocain, "C'est eux les chiens", qui sort ce mercredi 5 janvier en France, j'ai accepté bien volontiers de le voir sans savoir qu'il était l'oeuvre d'Hicham Lasri, un cinéaste dont j'avais eu la chance de voir le premier film, "The end", un film pourtant resté inédit dans les salles françaises.

En fait, j'avais pu voir ce film lorsque j'étais membre du jury du Festival D'annonay en 2012, puisqu'il était en compétition officielle, et qu'il avait cloturé la compétition. D'après mes souvenirs consignés dans mon journal de bord du festival,  ce film totalement barré, déjanté, faisant penser à du Tarantino encore plus azimuté que l'original, témoignait d'un vrai talent de metteur en scène, mais hélas, le scénario pointait vraiment aux abonnés absents, et surtout, cette trop grande stylisation qui virait parfois à l'esbroufe, rendait vraiment l'intrigue trop confuse, malgré une puissance visuelle et une rage de filmer indéniables.

Je me souviens notamment que la caméra n'arretait pas de faire des bonds dans tous les sens, presque à en donner des nausées, et j'ai donc un peu redouté que ce soit la même rengaine pour son second film, C'est eux les chiens, présenté comme le premier au Festival de Cannes, dans le cadre de la sélection de l'AICD (regroupant des films qui n'ont pas encore trouvé de distributeur au moment où ils sont projetés) .

Alors certes, dans "C'est eux les chiens"(un titre fort qui montre que le cinéaste n'a rien perdu de sa rage) la caméra bouge toujours un peu dans tous les sens, et ce dès le début du film, mais par rapport à The end, ces virevoltants mouvements de caméra (qui ne suivent pas toujours la personne qui parle, c'en est parfois un peu décontenancant surtout au début) m'ont semblé bien plus justifié ce coup ci.

En effet, C’est eux les chiens se présente sous la forme d’un faux documentaire, puisque l'intrigue se déroule pendant le ournage d’un reportage pour la télévision marocaine en plein printemps arabe à Casablanca. Les journalistes, pas vraiment passionnés par le micro trottoir qu'ils sont en train de tourner, tombent par hasard sur un viel homme,  Majhoul, et vont se rendre compte que ce dernier a été emprisonné pendant 30 ans, pendant les émeutes de 1981 dites du Pain, avant d’être libéré en 2011, soit 30 ans plus tard, en plein Printemps arabe. Majhoul devra donc apprendre, aidé par les journalistes de télévision, pas forcément désinteressés et qui pensent plutôt avoir trouver une poule aux oeufs d'or, à prendre sa place dans ce nouveau monde qui lui est totalement inconnu, tout en faisant une recherche sur son passé.

On le voit avec ce résumé : ici, contrairement à The end, le film part d'une excellente idée de scénario, originale et maligne, qui  est aussi l'occasion de faire un portrait d'une société marocaine en ébullition, une société arabe moderne tiraillée entre conservatisme bien ancré et une soif évidente de rebellion et de libérté. Le film a l'intelligence de revenir sur un épisode méconnu et oublié un peu de tout le monde, et même visiblement des marocains, à savoir les révoltes du pain de Casablanca de 1981.

Du coup, le coté viscéral, totalement libre, de la mise en scène de Lasri trouve une vraie raison d'être et rend d'autant plus intense la quête de Majloul, sorte d'Ulysse des temps modernes (dixit le dossier de presse) à la recherche de son passé.

A la fois peinture cruelle de la société marocaine, satire du monde des médias et thriller identitaire, "C'est eux les chiens" bénéficie aussi de l'inteprétation exceptionnelle de l’acteur Hassan Badida, totalement habité dans le rôle de ce 404 ( le matricule qu'il avait pendant 30 ans) à la fois totalement hébété, et tentant quand même de s'accrocher à des détails de ce quotidien qu'il redécouvre ou qu'il découvre.

Car cet homme, privé de liberté pendant 30 ans de sa vie, trouve un monde qu'il ne connaissait pas, un monde truffé de téléphones portables aux applications les plus étranges les unes que les autres, de sms, pour s'aperçevoir, en fin de compte que, malgré les apparences, rien n’a vraiment changé entre ces deux révolutions populaires.

Et cette quête et cette prise de conscience un peu malgré lui nous est racontée intégralement à partir de la caméra subjective de l'équipe de télévision, une caméra qui devient un personnage à part entière du film, et qui rend ténue, mais parfairement maitrisée, la frontière entre documentaire et fiction.

Produit sur ses deniers propres ( Lasri a refusé toute aide du gouvernement marocain) par le réalisateur Nabil Ayouch (auteur de l'excellent les chevaux de dieu, chroniqué ici même), "C'est eux les chiens" est de de la même veine : un cinéma engagé, militant, parfois un peu trop confus et exalté dans son message et sa mise en sène, mais éminement sincère et surtout porté par un vrai regard de cinéaste.

Comme pour Des étoiles la semaine passée (tiens, 'et si je continuais quelques temps cette rubrique dominicale du "petit film" à voir le mercredi qui suitdans les salles?), ce film risque d'avoir un nombre de copies restreint, donc, si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à aller voir cette curiosité qui vaut largement le coup d'oeil.

Commentaires
R
Vraiment intéressant! Le cinéma d'auteur d'un pays nous permet d'en apprendre beaucoup sur celui-ci, son quotidien entre autres!
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A
Ah j'ai bien envie de regarder :)<br /> <br /> D'abord parce qu'il s'agit d'un film marocain, et de 2 parce que ça se passe à casa ( ma ville natale et celle où j'ai grandi) :)
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