Dans les sensations de mes dernières semaines cinéphilique, figurent en bonne place la projection presse le 21 septembre dernier du film MERCENAIRE au Comoedia suivi de ma rencontre pendant une heure avec le cinéaste Sacha Wolff et l'acteur et ancien rugbyman Laurent PAKIHIVATAU.-
Si -à côté de ce pilier aux 140 kilos- au bas mot j'ai pas vérifié, je faisais pâle figure( cf photo)- c'était vraiment un très chouette moment, tant ce film, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, est incontestablement un de nos grands films français de cette année 2016 et un vrai coup de maitre pour un coup d'essai.
Un mot," essai," qui n'est pas fortuit puisque le film nous parle de rugby, un sport peu traité par le cinéma français- à part pour le fils à Jo de sinistre mémoire- voir ma chronique de 2012 qui prouve que j'aimais déjà bien les mêmes jeux de mots dans le titre- mais qui va également bien plus que celui du simple film sportif, comme le réalisateur me l'a dit lors de notre rencontre.
En effet, Mercenaire fait magnifiquement partager la culture et le sens des rituels au sein de la communauté wallisienne, un territoire et un peuple que l'on connait très mal alors même qu'ils sont français.
Un film que notre collaborateur Pablo a également vu de son coté, non pas au Comoedia, mais dans sa région girondine, et comme contrairement à moi, il est aussi, en plus d'être cinéphile éclairé, un joueur de rugby averti, je lui laisse bien volontiers la place pour parler de ce film à ne pas manquer lors de sa sortie ce mercredi.
Juste une petite précision : personnellement les rares petites réserves qu'il émet ( sur le fait que le film ne parle pas assez de rugby au détriment de ce récit d'émancipation), je dois reconnaitre que je ne les partage pas du tout :o)
On se souvient, hélas, du grotesque "Le fils de Jo", vu un dimanche soir, devant la télé. On se souvient aussi, heureusement cette fois-ci, de la magnifique plaidoirie anti-Apartheid de Clint Eastwood avec Invictus ( NDLR un film que Baz'art avait plutot sévèrement griffé lors de sa sortie salles).
Et dans quelques années, on se souviendra, à juste titre, de l'intense Mercenaire de Sacha Wolff.
Ce dernier dresse le portrait de Soane, jeune rugbyman walisien, qui part dans le Sud-Ouest de la métropole pour vivre de sa passion. Sauf que le paradis espéré va s'avérer être l'enfer. Wolff, qui arrive tout droit de la FEMIS et du documentaire, arrive incroyablement à allier lyrisme dramatique (1er scène extra, avec cette orgue d'une gravité exceptionnelle) et séquences longues sans fioritures, proche du cinéma didactique.
Il pose et place parfaitement sa caméra, auteure de plans séquences techniquement parfaitement maîtisés (déplacement, travelings...), pour indiquer des faits de société importants, même si son histoire se limite un peu trop au contexte socio-politique en Nouvelle-Calédonie.
Le rugby semble alors presque absent de ce réquisitoire, tellement le personnage principal, joué par un acteur non-professionel (comme bon nombre des protagonistes du film), prend de plus en plus de place dans le récit ainsi que ses rituels traditionnels (le respect de l'autre, splendide haka locale à la Mi-Temps d'un match).
Pourtant, l'idée était claire: dénoncer la difficulté d'un club de rugby de Fédéral 3 (niveau amateur) pour continuer à vivre dans le monde de l'Ovalie, Wolff est un peu trop timide sur cet aspect.
Les thématiques de la famille et de la tradition régionale poursuivent le fléau walisien dans ce parcourt du combattant biblique. En effet, Soane décide d'aller en France Métroplitaine. Il s'engage aussi à quitter cette terre d'enfance, qui s'apauvrie et où l'insécurité règne. Mais le père du jeune homme voit le départ de son fils d'un très mauvais oeil.
De façon très intelligente, Wolff nous absorbe au fur et à mesure des minutes passées dans cette petite maison au bord de l'eau pour au final nous emporter et nous poser un dilemme: Que doit faire Soane? Quitter cette horrible père ou rester avec son frère, âme amoureuse et sa mère, souffrante?
Les sentiments des personnages se voient (un peu trop?) comme le nez au milieu de la figure qu'on devient une sorte de "spectateur omniscient". Le réalisateur, dont c'est le premier long-métrage, réussie littéralement à nous laisser en débatre avec nous-même: un père doit-il retenir son fils d'un départ "éternel", jusqu'à avoir des attitudes horribles pour parvenir à ses fins?
Et à l'inverse: un jeune homme, perdu dans la vie active, peut-il se permettre de ne plus avoir besion de son père, l'homme qui est à l'origine de son existence? C'est l'infernal cycle de la vie qui nous relate Sacha Wolff à travers ce conflit générationnel houleux et violent.
Mais Mercenaire, c'est aussi un tête, plus précisemment une "bouille", une "fiffe" dans le jargon rugbystique. Et Soane (interprété par Toki Pilioko, espoir à Aurillac) remplit parfaitement ce rôle. Il joue au poste ingrat de pilier, et il se bat, il lutte, tous les dimaches après-midi, sur le pré de Fumel.
Mais c'est aussi un guerrier dans la vie, qu'on pense anodine, de tous les jours, avec une femme dépressive, un métier pas très enrichissant et des coéquipiers malsains. Mais cette "boule sentiementale" au regard d'ange va s'adapter sans repères, seul contre tous, à ce sort fatidique.
Soane ne quittera pesque jamais l'écran après son départ de Nouméa, ce qui nous fera pleurer, rire, avoir pitié, prendre peine et prendre conscience, mais surtout et avant tout admirer le courage de ces hommes, prêts à tous, même à quitter leur pays symbolique, pour partir à l'avanture et changer le cours de leurs existences, un plaisir d'accomplissement finalement intouchable.
Et Wolff, avec cette mise en scène rude et brutale, surdécoupée à l'excés, au message métaphorique d'ardeur guerrière, et cette ode "socio-politico-sportive" n'a au bout du compte strictement rien à envier au cinéma de Lindsay Anderson (Le prix d'un homme jusqu'à ce jour la référence du film de rugby).
Et pour un 1er gros projet, c'est un aboutissement qui va sans doute lui donner des idées. On en redemande!
Bande annonce du film Mercenaire (2016)