s-enfuir-recit-d-un-otage Guy Delisle, le célébrissisime auteur québécois installé en France depuis plusieurs années, connu notamment pour  ses fameuses chroniques de Jérusalem, un récit  inédit, à la fois candide et amusé, sur son année passée dans un Jérusalem occupé, a laissé  de côté sa vie personnelle ainsi que ses très amusantes aventures de papa pour sa nouvelle BD particulièrement ambitieuse et audacieuse.

Guy Delisle revient en librairie en cette rentrée 2016  avec  un vrai événement littéraire, S'enfuir. Récit d'un otage, qui est une plongée radicale dans la tête d'un otage. 

 Ce roman graphique dense et profond relate la terrible expérience de Christophe André- rien à avoir avec le psychologue médiatique-, membre d'une ONG kidnappé lors de sa première mission humanitaire dans le Caucase, en 1997, et ses trois mois de captivité  et 111 jours qui suivront, nimbés de doutes, d'humiliation et d'espoir.

L'illustrateur  québécois s'est lié d'amitié avec Christophe André il y a de nombreuses années, et  a voulu rendre compte dans un roman graphique de toute la souffrance subie par l'otage, qui restera enfermé sans personne à qui parler, et rien à faire à part regarder une vieille ampoule et une porte qui reste fermée 99% du temps.

 Au départ, enfermé dans une pièce avec une fenêtre obstruée, une ampoule au plafond et un matelas,  notre travailleuyr humanitaire- kidnappé pour son première mission, ne pensait en avoir que pour quelques jours avant d’être libéré. Mais le temps passe, rythmé par les mêmes micro-événements (on lui apporte un bol de soupe avec  parfois, mais très exceptionnellement de la viande dedans,  une tasse de thé deux fois par jour, un de ses ravisseurs l’emmène aux toilettes)....

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Pour ne pas perdre la notion du temps (il essaie de se repérer aux bruits et aux moindres détails), il égrène le calendrier dans sa tête, voyant défiler semaine après semaine :  en effet, se rappeler  de la date du jour, se repérer dans le calendrier, c'est éviter de ne pas sombrer, exister au milieu d'un monde dont on l'a coupé.

L'album de Delisle est particulièrement réussi pour sonder l'intérieur du cerveau de Christophe André;champ de réflexion permanent qui guette la moindre information du dehors pour tenter de comprendre ce qui lui arrive et si une éventuelle issue est possible. 

Avec une distanciation et une profondeur analytique qui force l'admiration, Christophe André se raconte les batailles napoléoniennes pour ne pas péter un cable, un peu comme Kaufmann récitait les cépages bordelais lors de sa détention.

delisle3_referenceGuy Delisle réussit formidablement au cours de ces 400 pages à allier à la force du dessin et du texte, il montre avec une sensibilité remarquable tout ce que ressent cet otage et créé un suspense au fil des pages.

L'illustrateur parvient parfaitement à s'effacer derrière son interlocuteur, pour mieux raconter en détail sa captivité avec une précision et une justesse qui sidèrent et forcent l'admiration.

La répetition du décor et l'alternance des jours / nuits  fait sortir le vide et l'attente invivable permet l'exploit de l'auteur de ne jamais lacher l'attention du lecteur et la finesse du récit et de la  narration font de ce S'enfuir, récit d'un otage" de Guy Delisle un des incontournables de la Bande Dessinée de cette rentrée mais aussi de cette décennie.

 

S'enfuir, récit d'un otage. Guy Delisle ( Dargaud)