Corniche Kennedy: quand la jeunesse marseillaise saute pour défier la mort ...
Au milieu des années 90, la cinéaste Dominique Cabrera avait ému pas mal de spectateurs- dont moi même, alors tout jeunot- avec son magnifique L'autre côté de la mer, oeuvre rare et sensible sur les blessures de la guerre d'Algérie puis avec le Lait de la tendresse humaine , un beau film choral sur la maternité avec Patrick Bruel ainsi que la trop rare et merveilleuse Marylin Canto.
Depuis, la cinéaste au eu du mal à se faire vraiment remarquer au délà du cercle des initiés, malgré quelques jolis documentaires comme Grandir, un joli long métrage auto-biographique réalisé en 2013.
Mercredi prochain, elle nous donne enfin de ses nouvelles avec Corniche Kennedy, un long métrage plein de vitalité et de soleil puisqu'il est question d'adolescents intrépides de Marseille.
Pour ce retour en force, elle s'est appuyé sur un roman de Maylis de Kerangal, une auteur qui a particulièrement le vent en poupe ces derniers temps au cinéma, puisque le film sort quelques semaines seulement après la belle adaptation de Katel Quillévéré de Réparer les vivants, et alors même que Julie Gavras prépare un film inspiré de son "Naissance d'un pont".
Il faut dire que l'écriture de de Kerangal est particulièrement cinématographique : sa plume, où la ponctuation ne se pose pas souvent, et où le souffle est souvent en lévitation, dicte un tempo très vif, qui privilégie sans cesse le mouvement, ainsi que la si juste description des lieux, imposent une palette visuelle pleinement adaptable au grand écran. Maylis de Kerangal possède de fait une écriture en cinémascope que le cinéma ne pouvait ignorer, et une sensibilité féminine que les cinéastes femmes ne peuvent que comprendre.
C'est notamment le cas de Dominique Cabrera, qui parvient parfaitement à donner corps à la fameuse corniche Kennedy qui donne son titre au film et au livre - ainsi qu'à ces jeunes qui fréquentent cet endroit et qui sautent de très haut dans la Méditerannée, en bravant la mort et en prenant des risques insensés pour ce sentir en vie.
On y voit bien à quel point ces jeunes plongent à la fois pour passer l'ennui et un peu aussi pour provoquer une société- police, municipalités- qui ne les reconnaît pas et qui n'a rien à leur proposer pour sortir d'une précarité qu'ils oublient au moment de piquer la tête vers la mer.
Ces minots sont parfois dissembables (originales sociales, couleur de peau...), mais , ce qui les relie entre eux, c'est cette prisque de risque insensée qu'ils prennent lorsqu'ils se jettent de là-haut dans la mer entourée de rochers en contrebas.
Le roman, par son style âpre et fougueux, nous plongeait dans une sorte d'opéra tragique sur cette jeunesse à la recherche de sensations et de ses limites, et tout cela est parfaitement tangible dans le film de Cabrera.
Dans leurs corps qui s’élancent dans le vide et dansent sous l’eau, dans leurs beaux visages juvéniles cadrés en gros plans, se lisent pleinement la fureur de vivre, le vertige, qui parfois les étreint, et le bonheur de l'avoir surmonté une fois leurs corps plongés dans l'eau.
On sent bien, dans la facon que la cinéaste a de filmer ses jeunes héros et son si beau décor, la tendresse qu'elle éprouve pour eux, ainsi que son profond attachement pour Marseille- qui est le vrai point de départ du film, la cinéaste cherchait à tout prix une histoire qui se déroulait dans la cité phocéenne, une ville si particulière.
Et Dominique Cabrera aime tout autant ses jeunes comédiens, qui, ( excepté la sensible Lola Creton- qui joue la jeune fille bourgeoise qui vient s'immicer dans le cercle de ces jeunes casse cou)-, sont tous amateurs - pas forcément tous très juste d'ailleurs, mais tous animés d'une belle rage- et qui ont été tous repérés parmi de vrais jeunes qui sautent sur les rocades de Marseille.
L'aspect documentaire de cette frange d'une jeunesse précaire mais qui prend ces risques insensés est ainsi parfaitement bien vue, dommage simplement que, comme d'ailleurs dans le livre de Maylis de Kerangal, le scénario fasse dangeureusement du surplace à moitié de film.
Et ce n'est hélas pas la greffe d'une trop légère intrigue policière - avec Aissa Maiga en commissaire qui remplace pourtant avantageusement le flic désabusé, du roman de Maylis, qui vient changer la donne.
En effet, cette histoire secondaire sans réelle épaisseur, déséquilbre le récit, et surtout nous montre une image de Marseille, gangrénée par le banditisme et le buziness, plus fidèle à celle qu'on voit d'habitude dans les médias.
Ces réserves mise à part- il faut savoir que Maylis de Kerangal partageait d'ailleurs elle meme ces doutes à propose de son histoire policière-, on conseillera tout de même largement d'aller voir "Corniche Kennedy," ne serait ce que pour ces scènes visuelles fortes, comme cette ballade en scooter qui voit deux garcons enlacer fébrilement la meme jeune fille, avec en fond sonore, le rap puissant de Kamel Kadri.
Ce beau portrait d'une jeunesse marseillaise qu'on voit peu au cinéma ou dans les médias, fait en effet de ce Corniche Kennedy un Jules et Jim version teen movie et sous la si belle lumière marseillaise.
Retrouvez la fiche du livre réédité chez Folio à l'occasion de la sortie du film