"Il nous portait à bout de bras, même si nous lui avions rien demandé.Je suppose que cela le grandissait à ses propres yeux. Cependant, il ne mesurait pas les implications de son héritage. En ce temps là, nous observions notre père et nous comprenions si peu de choses. Etre conscient ne signifiait pas seulement ingurgiter des livres obscurs à la gloire des notres. C'était un sentiment intime, la conviction profonde qu'il s'était passé quelque chose de grave dans nos vies."
La dernière chronique littéraire qu'on avait consacré en 2016 concernait Ta-Nehisi Coates qui avec son essai "Une Colère Noire" avait été un des grands événements littéraires de l'an passé : il semble d'autant plus logique de boucler la boucle en commençant les chroniques sur les livres de 2017 avec le premier roman de cet auteur, dont la publication de ce Grand Combat chez Autrement un an après la parution d'une Colère Noire (le Prix du Meilleur Essai 2016 du magazine LIRE) est dans le prolongement direct de l'immense succès de celui-ci.
Ta-Nehisi Coates est un journaliste afro-américain, la quarantaine, né à Baltimore sur la côte Est des Etats-Unis, chroniqueur pour The Atlantic chroniqueur à The Atlantic, qui est devenu grâce à Une colère Noire , l'un des intellectuels les plus écoutés du moment.
Dans la lignée de cette si rageuse et percutante Colère Noire, l'auteur creuse le sillon de la question de la négritude aux USA avec ce grand combat, formidable roman d’apprentissage dans lequel il y raconte la naissance de sa conscience politique, héritée de son père ancien militant des Blacks Panthers dans le West Baltimore des années 1980.
"C’est mon instinct de cow-boy qui réagit le premier, la pensée que, en dépit de ma maladresse et de mes lunettes recollées, du sang rebelle coulait dans mes veines, et cette idée m’emplit d’une fierté stupide et enfantine. Tout le monde a besoin de mythes. Et ici, dans le Far West de Baltimore où nous avions perdu la foi, où régnait la loi barbare, quelle serait notre magie? Quels seraient les mots sacrés?"
Avec son narrateur ( l'auteur lui même) guidé par les principes éducatifs d'un père érudit qui l'a initié aux Blacks Panthers et aux mouvements d'émancipation des noirs, "Le grand combat", mélange de fiction et d'autobiographie décrit comme un jeune teenager un peu maladroit et pas forcément adapté aux grandes luttes de ce monde, va devoir apprendre à se battre dans la violence d'une amérique urbaine des années 80 gangrénée par la délinquance, le crack, et le sida , quitte à prendre les armes lorsque les belles paroles ne suffisent pas ou plus.
En réinvitant sa propre histoire avec le lyrisme et la flamboyance qu'il démontrait déjà dans UNe Colère Noire, Ta-Nehisi Coates livre une saga épique et urbaine dans lequel la débrouille et le hip-hop. tiennent les premiers rôles.
Un roman écrit avec les tripes mais aussi le coeur, qui en nous donnant quelques clés, et décrivant les tenants et aboutissements de la question raciale il y a plus de trente ans, permet d'apporter un éclairage sur la question raciale si complexe aux USA, malgré deux mandats d'un Barcak Obama qui n'a pas vraiment réglé les problèmes, malgré tous les espoirs placés en lui au début de son premier mandat.
" Nous étions coupés en deux : un pied en Amérique, l’autre dans un pays en guerre. On nous demandait de nous comporter en individus civilisés, alors que le monde autour de nous était au bord du carnage. Bill avait perdu toute mesure. Être armé signifiait prendre les commandes de nos existences à la dérive. Un flingue, c’était une machine à explorer le temps et une ancre : c’était lui qui dictait les événements. Être armé, c’était être son propre maître, devenir autre chose qu’un homme dont la vie et la mort pouvaient simplement être saisies et jetées au hasard."
Assurément un des incontournables romans de cette rentrée littéraire de janvier 2017 qui on l'espère devrait en compter un certain nombre.
Ici l'Amérique (1/3)