Le film « Mercenaire », qui se déroule dans l'univers du rugby, est sorti en DVD depuis mardi, le 14 février , chez AD VITAM.
L'occasion idéale pour rattraper ce superbe film pour tous ceux qui ne l'ont pas vu car si Mercenaire » a eu une très belle vie en festival - notamment lors du récent Festival sport, littérature et cinéma organisé par l'Institut Lumière, et fonctionne très bien à l'étranger., il n'a malheureusement pas rencontré son public avec seulement 40 000 entrées.
Et pourtant, tous les rédacteurs de Baz'art l'ont adoré, et même si c'est Pablo , grand amateur de rugby qui l'a défendu par écrit, même les non amateurs ont été complètement sous le charme de cet épatant premier film.
En effet, pour tous les spectateurs peu fanas de sport qui seraient un peu réticents à l'idée de voir ce Mercenaire, il faut redire à quel Point le film de Sacha Wolff est bien mieux que cela, et l'interview que j'avais réalisé lors de la venue de Sacha Wolff à Lyon en septembre 2016 est l'occasion idale pour le démontrer.
Un jour tout juste après l'itw de Lucas Belvaux, on prolonge donc ces interviews de cinéaste francophones sur baz'art, et d'ailleurs, en retranscrivant l'interview je me suis rendu compte que la discussion était traversée de quelques problématiques identiques à celle avec Lucas Belvaux car là aussi, la question de l'identité s'est invitée rapidement dans la conversation.
Une conversation qui montre à quel point Sacha Wolff est un cinéaste passionné et passionnant, et que son film mérite vraiment d'être vu bien au delà du cercle des passionnés de rugby, comme on peut le voir des à présent :
Baz'art : Votre passion pour le monde du rugby date d'avant votre passion du cinéma ou c'est l'inverse?
Sacha Wolff : Non c'est plutot l'inverse...j'ai depuis très jeune eu envie de faire des films alors que si j'ai toujours aimé le rugby, en faire et le regarder à la télé on ne peut pas dire que cela soit une vraie passion dévorante .
Baz'art: Et comment du coup arrive t-on à construire une fiction autour de ce sport?
Sacha Wolff : Oublions ce que j'ai dit juste avant ( rires), sincèrement, j'aime vraiment ce sport, donc j'avais envie de comprendre de l'intérieur, de rentrer dans ce monde et de dépasser l'image un peu distante que j'en avais.
J'ai donc passé du temps avec les joueurs, comprendre la problématique des joueurs océaniens qui est une des pierre centrales de mon film, mais ensutie une fois que j'ai eu une belle densité documentaire, je m'en suis un peu éloigné pour assumer le coté fiction de mon film.
Il y a une dizaine d'années quand je suis sorti de la FEMIS j'avais l'impression qu'il fallait être très intelligent pour faire un film mais je me suis rendu compte finalement que le récit était aussi important, et qu'une des mission d'un réalisateur était aussi de raconter une histoire, et il était donc important pour moi de tenter de "transcender" cette matière documentaire.
Baz'art : Et est ce que ce désir de transcender le naturalisme était présent dès le début de la conception de votre film et dès votre sortie de la FEMIS?
Sacha Wolff : Non,cela s'est fait assez progressivement.. En sortant de la FEMIS j'ai commencé à vouloir me lancer dans l'aventure d'un court métrage puis je me suis dit qu'il y avait d'autres métiers autour du cinéma que je connaissais pas assez et qu'il fallait que je perfectionne ( cadreur, scénariste, monteur son, assistant), puis j'ai refait d'autres courts métrages et je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup le récit.
Pendant l'écriture de Mercenaires, je me suis demandé quels étaient les films que j'aimais, et en répondant à cette question je me suis aperçu que le cinéma très narratif me touchait énormément... Je pense notamment au cinéma de Kurosawa qui m'a pas mal inspiré pour Mercenaires, c'est quand même typiquement un cinéma très narratif, très lyrique avec plusieurs couches de lectures et ca a forcément irrigué les dernières version de Mercenaires.
Baz'art : Mercenaires est un film que vous avez mis longtemps a finalisé puisque vous parler d'une rencontre en 2010 avec Laurent Pakihivatau, ( NDA joueur de rugby d'origine wallisienne, qui joue le rôle d’Abraham dans Mercenaires), soit il y a 5 ans. Pourquoi autant de temps pour faire ce film?
Sacha Wolff : Oui c'est en rencontrant Parki ( diminitutif de Laurent Pakihivatau) en 2010 que j'ai orienté différement mon scénario.. au départ j'étais plutôt parti sur un joueur océanien pas forcément très défini, mais après avoir parlé avec lui j'ai eu envie de cibler cette problématique sur cette identité française méconnue qu'est celle des gens de Wallis et Futuma.
Baz'art :Oui et c'est d'ailleurs une des grandes forces de votre film d'aborder ce thème là, très peu abordé par le cinéma et les médias, c'était un de vos désirs qui a motivé votre projet?
Sacha Wolff : Oui mais en fait, c'est un beau concours de circonstance qui m'a fait aborder ce sujet.. quand j'ai rencontré Parki je me suis dit qu'il était impossible de ne pas faire un film avec lui et quand je suis parti sur sa terre natale avec lui , je me suis en effet rendu vite compte que c’était des univers dont on ne savait absolument rien.
Personnellement, quand j’ai rencontré Parki , je me suis rendu vraiment compte que je ne connaissais pas du tout Wallis., j'en avais certes un vague souvenir de cours d’histoire-géographie, mais je n'avais jamais mis les pieds en Nouvelle-Calédonie,
Comme vous le dites, .ce territoire était quasi vierge en terme de représentation cinématographique en métropole, et ce pour diverses raisons ( cout, éloignement géographiques, et certainement petite tendance d'autocentrisme du cinéma français..).
Baz'art : Mais en quoi cette question de l'identité, qui forge vraiment la pierre angulaire de votre film, vous interesse particulièrement, ? Est- ce parce qu'elle résonne particulièrement avec l'actualité du moment?
Cette absence d'identité que Soané, le personnage principal de Mercenaire ressent en arrivant en métropole, tous les wallisiens le ressentent forcément. à un moment ou à un autre de leur arrivée.
Il faut savoir que ces gens là s grandissent avec une certaine idée de la métropole qu'on leur enseigne à l'école à savoir Marie Antoinette, Louis 14, alors que quand ils arrivent en France, personne ne les connait.
Au jour d'aujourd'hui, cette question de l'identité est revenue sur la scène médiatique car elle est récupérée par des gens qui la banalisent intellectuellement , afin de l'utiliser de façon électorale , mais la migration des peuples est une problématique qui a toujours existé depuis que les guerres existent .
Quand Soané arrive et que Coralie- la jeune fille dont il tombe amoureux lui dit « t’es un all black », lui répond de suite « mais non je suis français ».
L’idée était aussi à travers le film d’interroger un rapport post-colonial qui existe entre La France et la Nouvelle-Calédonie, et une sorte de flou identitaire que ressent sans forcément le formaliser, Soané à l'intérieur de lui. Ce qui m'interesse vraiment en réalisant mon long métrage, c'est qu'il interroge notre rapport à la France à notre histoire.
En réalisant "Mercenaire", j'avais l'intention et l'envie de tenter de répondre à la question suivante : "qu'est que c'est que de se sentir étranger au monde dans lequel on vit, quand tu ne sais plus vraiment te situer en fonction de ton identité flottante?" alors même que tu es pourtant de ce pays là puisque ces gens là sont français bien qu'on leur renvoie le contraire .
Baz'art : Mais, outre la question de l'identité, ce qui irrigue complètement votre film, c'est aussi la famille, et le lien familial, n'est ce pas?
Oui tout à fait, c'est vraiment la famille qui constitue la matrice de mon film.. Soané part de Nouvelle Calédonie car il est chassé par son père et se retrouve sans famille , le Mercenaire du titre et essaie d'en retrouver une dans son rapport avec Coralie, l'équipe, la France, et cela est particulièrement compliqué pour lui..
Soané reste avant tout un personnage qui cherche constamment sinon de l'amour du coup, avec un besoin de reconnaissance qui ne le lachera pas jusqu'à la fin du film.
Comment avez vous trouvé votre acteur principal Toki Pilioko qui joue Soané et qui est vraiment formidable?
En fait, alors que mon idée de film était encore un peu floue, je suis tombé un peu par hasard sur un article qui parlait d'un joueur recruté par un club de Fédérale Toki Pilioko que j'ai assez vite cherché à rencontrer, et cette rencontre a été déterminante. C'est un jeune pilier du centre de formation d'Aurillac qui dégage une puissance et aussi après avoir fait plusieurs voyages en Nouvelle-Calédonie avec lui je me suis rendu compte que son histoire est particulièrement singulière et pouvait alimenter mon scénario et c'est là que j'ai définitivement axé mon film sur ce jeune Wallisien qui brave t l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole.
Pour revenir sur la question du rugby, comment le monde du ballon ovale a pris votre film qui n'élude pas les questions problématiques, telles que cette intégration des joueurs océaniens, mais aussi la question du dopage dans une formidable scène de comédie ou la question des difficultés financières d'une équipe semi professionnelle?
Il faut vraiment ne pas penser Mercenaire comme un film sportif à proprement parler .. Pour moi, les enjeux sportifs ne sont pas centraux.. si on veut regarder du rugby, il faut aller au stade pas au cinéma.. à partir du moment ou on fait un film sur le rugby, ce ne sont pas du tout les enjeux sportifs ( la victoire, le maintien en division inférieure) qui m'interesse, mais vraiment le cheminement intérieur d'un personnage qui se trouve être un joueur de rugby..
Ce qui m'interessait le plus dans ce film par rapport au rugby, c'est la question du rituel très prononcé de ce sport avec , ses lieux sacrés, le vestiaire comme lieu de communion, et de faire articulier ses rituels à ceux de la religion et de la culture walisienne univers à ses rituels.
Une certaine frange du cinéma pense encore que le sport est destiné aux « beaufs ». Alors, c'est vrai que j'avais aussi envie de casser ce stéréotype qui colle à la peau du joueur de rugby, cette image de bourrins qui leur colle à la peau. Cela me plaisait de montrer que ces gens sont plein de sensibilité, et faire tourner des joueurs professionnels m'a permis m'en rendre totalement compte et d'essayer de le montrer avec mon films, mais je le répète ce n'est pas en premier lieu un film qui parle de rugby comme sujet principal..
Baz'art : Et en même temps, ce que vous arrivez superbement à faire avec votre film, c'est de filmer le rugby comme on l'a jamais vu au cinéma, en étant au coeur de la mélée, au coeur de l'action, non?
Oui bien sur, la mise en scène des matches de rugby était cruciale ...Clairement c'est quelque chose sur lequel tout le monde a une idée préconcue, forgée par la télé.
Il va de soi qu' en terme de spectacle je ne pouvais pas concurrencer le monde de la TV qui fait tout pour répondre à la logique du sport spectacle avec une dizaine de caméras et un équipement particulièrement pointu..
Mon idée, c'était de faire ce que la TV ne peut faire : rentrer sur un terrain en cours de match, mettre un micro sur les joueurs en pleine action..
Donc mon travail de metteur en scène c'était de casser ce principe de suivre le ballon en permanence pour m'interesser à ces moments où le joueur n'a pas le ballon, ce qui constitue quand même 99% du temps d'un joueur de rugby, toutes ces périodes de jeu sans ballon que j'ai tenté de montrer en mettant la caméra au plus près de Soané et savoir ce qu'il vit vraiment physiquement et mentalement dans ses situations là.
Après il y aussi un gros travail de montage son pour faire exister les chocs, les cris histoire de s'immerger totalement dans cette partie là du jeu.
Sincèrement ce que j'ai voulu faire à mon échelle, c'est d'essayer de répondre aux questions un peu taboues du rugby, ce qui se passe dans la mélée ou dans les vestiaires par exemple... la TV nous met toujours à distance pour mettre en avant le storytelling, le spectacle, le suspens..et si avec Mercenaires j'ai réussi à casser un peu cette distance, on peut dire que le pari est gagné..
Baz'art : Oui le pari est plus que gagné Sacha avec ce film superbe qui aurait pu tout à fait recevoir lecésar du premier film, et son absence de la liste des nominés me semble être un injustice criant, ce que vous pouvez vérifier en rattrapant ce Mercenaire en DVD ....