Il y a plus de trois mois désormais, début du mois de février, j'ai eu la chance d' interviewer le très médiatique Nicolas Bedos pour la présentation du premier long métrage du premier nommé Monsieur & Madame Adelman, co-écrit avec Doria Tillier, sa compagne et actrice principal et sorti le 8 mars 2017.
Un film qui m'a totalement emballé, comme je l'ai dit dans un billet publié fin avril : un long métrage emballant car intelligent, drôle, virevoltant, rythmé, plus plébiscité hélas par la critique qu'un grand public sans doute rebuté par la personnalité publique de l'acteur/chroniqueur/dramaturge.
Il est ainsi plus que temps de vous donner désormais le compte rendu de cette interview- qui certes, arrive un peu tard, le film étant désormais en fin de carrière et sortira en DVD dans deux mois désormais mais qui recouvre quand même quelques informations interessantes sur la génèse de cette oeuvre que Bedos Junior porte en lui depuis de nombreuses années.
Un Nicolas Bedos qu'on sentait ce jour là un peu tendu- il misait énormément sur ce film et qui semblait avant tout vouloir casser son image de jeune intello arrogant et mégalo que les médias lui ont collé :
Baz'art : Pouvez-vous nous expliquer la génèse du film. Au tout départ, qu'est qui a fait que vous êtes-vous lancé dans cette longue et forcément périlleuse aventure cinématographique?
Nicolas BEDOS : En fait, il faut savoir que je rêve de réaliser des films depuis que j'ai l'âge de 12- 13 ans, et que cela fait des années que je trépignais pour passer à la réalisation, c'est le contraire d'un coup de tête ou d'un caprice d'une personnalité publique.
Vers l’âge de 20 ans, j’ai d'ailleurs failli réaliser mon premier film adapté d’une de mes nouvelles, j'avais même le titre " Petite Musique de Nuit", mais après des mois de préparation, l’actrice principale a finalement lâché le projet, tout s’est alors un peu écroulé pour moi, je l'ai assez mal vécu, et j'ai voulu mettre de coté le milieu du cinéma pour aller vers le théâtre où mes projets se sont montés plus facilement ...
Alors certes, je suis passé par des chemins de traverse comme le théâtre ou la télévision, mais comme cela, j'ai eu largement le temps de savoir précisément quel genre de film je voulais faire, et du coup, je peux dire que Monsieur et Madame ADELMAN ressemble vraiment à ce que je voulais faire sans la moindre compromission....
J’ai mis du temps avant de comprendre le cinéma qui me plaisait vraiment au fond de moi : je suis persuadé que si j’avais réussi à tourner ce film vingt ans plus tôt, j'aurais fait un film de poseur un peu trop « bobo parisien" , plus intello, moins porté sur la comédie que Monsieur et Madame Adelman, en fait un film plus en rapport avec mes goûts de cette époque et ce que j'étais à cette période..
Du coup, Monsieur et Madame Adelman, ce n’est pas vraiment un premier film, c’est l’aboutissement d'une bonne vingtaine d'années de réflexion et de passion sur le cinéma, Il est plus ambitieux et avec le recul je me dis que réaliser un film à presque 40 balais, c'est au final un atout , ne serait ce qu'au niveau de la maturité ...
Baz'art : Ce que vous ne dites pas, c'est qu'au milieu de tout ce cheminement personnel, s'est greffée la rencontre avec Doria Tillier, qui a quand même été totalement déterminante pour vous, non?
Nicolas BEDOS : Oui, bien sûr, on peut dire que c'est elle qui m’a donné le courage de m’y coller pour de bon. Nous avons les mêmes goûts, Doria et moi.
Artistiquement, on est toujours d’accord, on a aussi les mêmes films de chevet, du coup, on était forcément en osmose sur nos choix par rapport au film sur l'affiche du film, les tenues, les répliques des personnages...
On peut dire qu'on a réussi à faire le film et tenu les rôles dont on rêvait tous les deux …
Baz'art : Mais comment s'est construit le film précisemment?
Nicolas BEDOS : En fait, tout est parti des improvisations que Doria et moi nous nous amusions à faire ensemble depuis plusieurs années.
Ces impros, on les faisait uniquement pour le plaisir ou pour libérer nos angoisses.
Il s'agissait de petits délires mais qui nous pouvait nous amener loin, sur des thématiques aussi variées que possible comme, la famille, la vieillesse, l’infidélité, tout cela nous permettait d’aborder des sujets graves par le biais de l’humour.
Ces impros pouvaient parfois durer des heures, juste pour notre propre plaisir, et on a fini par s’inventer toute une galerie de personnages assez terrifiants à pas mal de niveaux..
Un soir, Doria m’a dit qu’elle avait noté certaines de nos impros et que, selon elle, ça pouvait servir de base à l’écriture d’un film. On est partis de là, puis, très vite, on s’en est éloigné pour centrant notre sujet sur le couple en s'inspirant de constantes vues chez nos amis, nos parents.
Le film est un mélange de problématiques qui nous sont propres, et de considérations plus universelles. Et je pense pouvoir dire que s'être basé sur ces improvisations nous a permis de nous éloigner du piège de l’autofiction.
Baz'art : C'est quoi les références en matière de cinéma qui vous a guidé à tous les deux pour écrire ce premier long?
Nicolas BEDOS : Doria et moi, on a tous les deux un gros faible pour les films- fresques avec des trames narratives assez denses, les références qui me viennent de suite à l'esprit sont les films de Scorsese ceux de Paul Thomas Anderson, en passant par une veine plus intello de Woody Allen à Bacri/Jaoui, bref ce que j'appelerais le divertissement à la fois profond et ambitieux.
C’est naturellement vers ce cinéma là que nous avons eu envie de nous tourner, à notre modeste échelle : On voulait faire un film qui soit à notre goût, c’est vraiment ca le principal qui nous animait tout du long de l'écriture et du tournage..
Baz'art : Vous avez réussi à vous surprendre l'un et l'autre à l'écriture et au tournage et si oui, de quelle sorte?
Nicolas BEDOS : Oui bien sûr, on s'est surpris tout le temps si je peux dire...
Notre recul sur l’autre a beaucoup nourri le script, puis le tournage : Doria m’a donné l’envie de la surprendre et de l’épater alors, naturellement, nos idées s’enchaînaient.
Il fallait ensuite réaliser un gros travail pour trouver la pertinence de l’histoire, tisser des liens entre les différentes idées qu’on avait et tout cela, ce n’était pas forcément gagné d'avance. Il a fallu quand même laisser en route quelques idées qu'on aimait bien, car on en avait assez pour faire un film.
Au final, le travail pour charpenter tout cela aura facilement duré 4/5 mois..
Et au tournage, j'ai trois heures de film pour n'en garder que deux au montage. Le fait d’avoir tourné une heure de plus m’a permis de tout concentrer après pour faire un film plus dense, qui puisse donner ce quelque chose de "virevoltant" qu'on voit, je pense, à l'image.
Pour en revenir plus précisemment à votre question, et même si on ne dirait pas forcément comme cela en la voyant, la timidité de Doria peut parfois la pousser à la limite du mutisme. De fait, la transformation qui s'opérait quand elle jouait était assez spectaculaire, tout en elle se bouleversait, que ce soit son visage ou encore sa voix, et ça, ça me surprenait, et me surprend d'ailleurs toujours..
Baz'art : Et concernant l'écriture même du scénario aux dialogues, comment les taches se sont réparties entre vous deux?
Nicolas BEDOS : Les choses se sont faites de manière assez naturelle en fait... On a écrit la trame principale ensemble.
Ce qui est assez paradoxal à l'écriture, c'est que nous étions particulièrement inspirés par le personnage que jouait l’autre.
Mais franchement, e film doit beaucoup à Doria, notamment en ce qui concerne l’équilibre des rapports entre les personnages .
Après, si écrire ensemble a été une expérience que je peux qualifier de rapide et de joyeuse, le tournage a quant lui était parfois difficile, j'avoue avoir eu un tel degrès d'exigence que j'ai pu me montrer parfois insupportable sur un tournage, et Doria en a malheureusement souvent fait les frais.
Par contre, pour réecrire les dialogues, et sur cette partie là précisemment, j'ai ressenti le besoin d’être seul, j'ai du mal à expliquer pourquoi, mais ca s'est passé comme cela..
Baz'art : Si on vous dit que votre film est avant tout un hommage aux femmes, vous êtes d'accord avec cela?
Nicolas BEDOS : Ah oui totalement, mon film, c'est avant tout un vibrant hommage aux femmes, et notamment aux grandes amoureuses.
Vous savez, j’ai été élevé parmi des femmes, une mère et trois sœurs. Ce sont elles qui m’ont le plus appris et le mieux compris, et c'est sans doute pour cela que c’est d’abord du personnage féminin, Sarah, que je voulais parler en premier lieu.
C’est Sarah qui porte Victor, du début à la fin de l’histoire, c'est elle la vraie et grande passionnée, même si en même temps, les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre ne cessent de fluctuer en intensité et de se croiser, jamais au même moment
Du reste, j’avais aussi envie de parler de ce décalage entre les sentiments de l'un et de l'autre dans un couple. Je trouve que l'intensité n'est jamais vraiment la même au meme moment , et c'était important pour moi de le montrer, ainsi que montrer comment ce même couple peut faire preuve d'audace et d'inventivité pour triompher des épreuves.
Baz'art : Mais du coup, à force de donner le beau rôle à Sarah, vous n'avez pas eu tendance à trop charger le personnage de Victor?
Nicolas BEDOS : C'est ce dont avait peur Doria qui me disait aussi de soigner "mon" Victor, mais en fait, à la vision du film, je ne trouve pas que Vicor soit négligé car il reste profondément attachant à mes yeux.
Sans les outrances de Victor, ses défauts, il n’y aurait pas de film : Monsieur et Madame Adelman c’est avant tout, l’histoire d’un type fragile qui n’aurait rien réussi sans l’intelligence et les encouragements de sa femme.
Le personnage de Sarah, pour des raisons presque métaphysiques, décide d’associer son destin à celui d’un seul homme, c'est un projet qui dépasse largement le sentimentalisme, et qui alterne entre le rose et le noir du début à la fin.
Baz'art : Ce qui j'ai trouvé vraiment gonflé en voyant le générique de film, c'est que vous êtes aussi crédité à la musique. Plus généralement, pourquoi cette telle difficulté à déléguer ?
Nicolas BEDOS : Je ne suis pas tout seul sur la musique quand même, il y a Philippe Kelly, le co-compositeur du film , avec qui je me suis enfermé tout un été pour créer la BO dont je rêvais.
Car à partir du moment où j'ai vu que ca ne marchait pas de ne mettre, comme je le voulais au départ, uniquement des musiques déjà existantes sur le film, j'ai voulu faire créer une bande musicale vraiment à l'image du film .
Et plus globalement, effectivement, j'ai un peu de mal à déléguer : Disons que je pars du principe que si le générique stipule «un film de», autant que ce soit vraiment le mien, de bout en bout comme ca, si le film est mauvais, je ne pourrais me défausser sur personne d’autre
Autant je revendique mes pièces et mes livres, autant, au cinéma, disons que j'ai participé à des projets qui à l'issue, ont été "amputés" de ce qui correspondait le plus à mes goûts et j'avais vraiment envie que ca ne soit pas le cas pour mon premier film avec mon nom en metteur en scène.
Baz'art : Après avoir réalisé «Monsieur & Madame Adelman» est-ce que vous vous considérez désormais comme un cinéaste à part entière et même peut_être LE cinéaste que vous reviez d'être plus jeune ?
Nicolas BEDOS : Non, modestement, je ne peux pas dire cela : on n’est pas cinéaste après la réalisation d’un seul film, personne ne peut revendiquer ce titre après un seul essai, ou alors dans des cas exceptionnels comme Charles Laughton peut être (NDLR : le réalisateur de La nuit du chasseur).
Non, vraiment, pour moi un cinéaste,c’est quelqu’un qui possède son style et ca on ne peut l'affirmer vraiment qu'après plusieurs films.
Au jour d'aujourd'hui, je ne peux pas savoir si je réaliserais un autre film après «Monsieur & Madame Adelman».
Une chose est cependant certaine : là, je viens juste de réaliser le rêve du jeune fou de cinoche que j’étais quand j'étais un jeune con avec des rêves plein la tête, et rien que cela, c'est vraiment énorme ...