Lors de ma dernière virée à Paris, je suis allé faire un tour à la boutique Magie Mayette, plus ancienne boutique de magie du monde et véritable institution pour les amateurs et les professionnels de magie.
Là-bas, j'ai eu l'immense honneur de rencontrer une figure importante du paysage magique : Alexandra Duvivier, fille de Dominique Duvivier, LA grande star du close up en France et même à l'international.
Très rare représentante féminine de l’art magique, Alexandra débute dans la magie à l’âge de seize ans, au café-théâtre de son père, le Double Fond, qui va fêter ses 30 ans l'année prochaine (voir notre reportage sur l'endroit réalisé en 2014).
Avec son humour si percutant, son empathie naturelle avec petits et grands, Miss Duvivier séduit un public toujours plus nombreux dans tous les domaines de la magie (close up, salon et scène) et elle triomphe aujourd’hui dans sept spectacles différents, dont trois spectacles de "seule en scène".
A la maison j'ai un grand fan de magie, en la personne du fiston, qui n'a pu, à son grand regret, me suivre sur Paris, je l'avais donc chargé des questions à lui poser :
INTERVIEW D'ALEXANDRA DUVIVIER, MAGICIENNE DU DOUBLE FOND
Bonjour Alexandra et commençons, si tu veux bien, par une question que tous les magiciens se posent : quelles sont selon toi les trois qualités principales pour devenir un bon magicien?
Alexandra Duvivier : Trois qualités? Facile, je te répondrais : en un, la patience, en deux, la patience et en trois.. la patience.. (sourires)
Bon j'avoue, avec ce genre de réponse, j'imite un peu Jean Gabin qui répondait à chaque fois la même chose lorsqu'on lui demandait ce qu'il fallait pour faire un bon film : un bon scénario, un bon scénario et un bon scénario..
Au-delà de la blague, à mes yeux, la patience est vraiment la qualité essentielle pour se distinguer des autres magiciens et elle rejoint en cela la seconde qualité que je citerais, à savoir celle d'être bosseur. En effet, même les tours qui pourraient sembler facile dans un premier temps, il faut les travailler encore et encore , pour que justement, toute la partie travail ne se voit plus du tout..
Afin que le spectateur veuille voir un autre tour après celui qu'on est en train de présenter, il ne faut pas qu'il en voie les coutures, qu'il ne s'imagine pas un instant comment cela fonctionne,.
Et être un bon "bonimenteur", cela nécessite une sacré dose de patience et aimer mettre son cœur à l'ouvrage.
Et la troisième et dernière qualité qui me semble essentielle pour faire de la magie, c'est celle d'aimer les gens.
Quand tu fais de la magie de proximité - le fameux close up- il faut savoir que le contact avec les spectateurs est essentiel, tu les fais participer constamment, tu as une vraie complicité avec eux et si tu n'as pas cette empathie et cet amour des gens, tu ne peux pas faire semblant longtemps...
Le partage est le sens profond de la magie, et malheureusement, je le déplore, beaucoup se mettent à la magie pour eux-mêmes, ce qui est le contraire même de cet art. Sincèrement, s’il ne fallait retenir qu’un seul objectif essentiel pour un magicien, c'est bien celui d'être au service de son public, en le prenant par la main pour l’entraîner dans son rêve.
Baz'art : Pour parler plus précisement de ton parcours, comment es tu devenue magicienne : est-ce ton père qui t'a poussé à le devenir ?
Alexandra Duvivier: Non, ce n'est pas du tout mon père qui m'a poussé à être magicienne, et je dois même t'avouer qu' avant d'avoir 15 ans, je ne voulais pas entendre parler de magie.
Je rêvais d'être danseuse, comédienne, artiste, mais la magie, non, ce n'était vraiment pas mon truc..
Et puis, à 15 ans, j'ai eu une sorte de déclic, quand j’ai eu la chance d’assister à un congrès de magie à l'étranger pendant une semaine.
J'y ai notamment vu un spectacle d'une magicienne qui m'a fait prendre conscience qu'il pouvait exister une magie féminine, et que ce n'était pas que réservé à des hommes. Et à ce moment-là, je me suis dit que ca serait pas mal d'en faire ...
Sinon, papa n'a jamais cherché à faire de moi une magicienne et d'ailleurs, il ne m'a pas vraiment donné de cours, il m'a indiqué quelques livres à dévorer pour être magicienne mais il n'a pas vraiment été mon mentor en magie.
Baz'art: : Quand tu fais des tours de magie avec ton père, est-ce qu'il n' y pas, de façon plus ou moins consciente, une volonté réciproque d'épater l'autre ?
Alexandra Duvivier: Ah non, pas du tout, sincèrement, on ne travaille jamais sous l'angle d'un challenge permanent entre nous deux.
Nous, ce qui nous anime, c'est avant tout le sens du spectacle, et tous mes shows, même ceux que je fais en solo, je ne peux les imaginer les écrire sans avoir mon père à mes côtés... Ecrire ensemble c'est pour moi la clé d'un spectacle réussi...
Quand on a commencé à travailler ensemble, à la fin des années 90, on a eu l'idée de faire un duo ensemble sur scène et mon père m'a dit de suite: "en duo, je ne veux pas que tu sois ma simple assistante" et je lui ai répondu : "ça tombe bien, je n'en ai aucune envie "(sourires) Du coup, tous nos spectacles en duo se sont basés sur cet équilibre naturel entre nous..
Baz'art : Justement, comment de manière concrète, vous vous répartissez les tours ? A quel moment vous vous dites que tel tour serait plus pour toi ou plus pour ton père?
Alexandra Duvivier : Tout cela se fait très naturellement sans qu'on y réfléchisse vraiment, en fait..
On collabore vraiment ensemble côte à côte et on essaie vraiment d'oublier ce côté égocentrique que peut avoir tout magicien et même plus généralement tout artiste..
Jamais l'un de nous va dire à l'autre: '"ce tour, c'est vraiment moi qui ai envie de le faire et je me le garde que pour moi".
Au contraire, on réfléchit de manière censée auquel de nous deux le tour en question correspondrait le mieux.. Dans nos duos, ce qui est vrai, c’est cette relation père-fille. Loin de la nier, nous en jouons beaucoup afin d'installer vraiment ce qui constitue notre univers.
Cela va faire un peu prétentieux de dire cela, surtout pour ceux qui n'ont jamais vu aucun de nos spectacles, mais je pense pouvoir dire qu'on est parvenus à créer un véritable osmose entre nous qui dépasse toute jalousie et rivalité, et c'est vraiment une de nos plus grandes fiertés.
Baz'art : J'ai vu que tu tenais à qualifier les spectacles que tu joues de "one man show" et non pas comme un spectacle de magie.. est-ce que parce que chez toi, le jeu d'acteur et le texte sont plus importants que chez tes collègues?
Alexandra Duvivier : Par rapport aux autres magiciens, je ne saurais dire et je n'ai pas envie de me les mettre à dos (sourire), mais c'est sûr que ,pour ma part, mais aussi pour tous les spectacles que l'on présente au Double Fond, le jeu d'acteur et le texte sont aussi importants, si ce n'est plus important, que le tour en lui-même.
Il y a quelques jours, à la fin de mon dernier spectacle, une dame est venue me voir et m'a demandé si j'étais comédienne de profession , et quand je lui ai répondu par la négative, elle n'en revenait pas, tant elle trouvait génial ce que j'avais réussi à transmettre, en terme d'interaction avec le public.
Un spectacle de magie, cela exige beaucoup de paramètres comme une mise en scène, une chorégraphie, un scénario, toute une histoire avec des personnages, c'est pas juste je fais mon petit tour et le public est content ...
Donc, clairement, j'assume et revendique le coté one man enfin plutôt one woman show de mes spectacles.
La magie est évidemment présente pendant tout le show mais je la vois plus comme un support pour véhiculer autre chose, de l'humour, un peu de mon quotidien, etc.. ..moi ce qui me plait, c'est d'exprimer des sentiments, des émotions, et cela, je le fais à travers la magie qui reste l'art que je maitrise le mieux, forcément...
Baz'art : Certes, tu n'aimes pas trop qu'on te compare aux autres magiciens, mais est-ce qu'on peut quand même dire que tu fais de la magie moderne, par rapport à d'autres qui font de la magie surement de façon un peu plus ringarde?
Alexandra Duvivier : Franchement, cela me gêne un peu de me positionner sous cet angle du moderne ou du ringard..
Disons qu'avant tout ce qu'on s'attache à montrer au Double Fond, c'est que la magie est un véritable art en soi, et qu'on est très loin de l'image traditionnelle de la "magie à papa", c'est à dire exclusivement à destination des enfants, avec la lapin qui sort du chapeau ou la petite colombe qui s'envole..
Donc, j'imagine qu'on cherche à "moderniser" la magie en quelque sorte, mais en même temps on n'est pas les seuls à s'inscrire dans ce mouvement, Eric Antoine notamment a fait un boulot énorme à ce niveau-là..
Et par ailleurs, on note quand même qu'avec les nouvelles technologies, l'image de la magie ringarde comme tu dis, a pris un sérieux coup dans l'aile...
Baz'art : Justement, par rapport à cette démocratisation de la magie, et notamment toutes ces vidéos de magiciens amateurs qui prolifèrent sur You Tube, j'aimerais avoir ton avis là-dessus : cela t'agace t-il de voir cet amateurisme qui empiète sur votre travail ou pas du tout?
Alexandra Duvivier : Ah non, cela ne m'agace vraiment pas, tu sais, nous, on n'est vraiment pas dans cet état d'esprit là : plus on parle de magie, et meilleur c'est pour nous, et plus il y a de magiciens et plus c'est une chance pour nous.. La prolifération de magiciens amateurs va forcément leur donner envie de venir dans notre boutique ou nous voir au Double Fond ..
Sincèrement, ça n'est jamais néfaste pour nous : même un tour de magie, pas forcément très bien fait et très bien filmé ne pourra nous faire de tort, ce n'est pas cela qui dégoutera les gens de la magie, loin de là...
Et c'est vrai qu'on parle beaucoup de magie en ce moment qu'il y a dix ans, mais que ce soit mon père ou moi, on trouve forcément cela génial ..
Baz'art : Concernant le lien entre vente en boutique et tes spectacles , est ce que tu aurais tendance à rapprocher les deux, c'est à dire est ce que parfois tu utilises des gimmicks de tes tours présentés sur scène pour les présenter à tes clients?
Alexandra Duvivier :Non, pas vraiment : la vente en boutique est quelque chose de vraiment différent par rapport aux spectacles, l'objectif c'est de vendre le tour et de le rendre accessible au plus grand nombre, donc si je suis " à fond" dans mon truc autant que je ne le suis sur scène, cela risque de décourager le client qui va penser que c'est trop difficile pour lui et qui n'achetera pas le tour.
Il faut vraiment réussir à rendre la routine le plus didactique possible pour que le public ait envie de reproduire le tour et que cela lui semble compréhensible, donc pour répondre à ta question, je ne suis pas vraiment dans la même démarche avec ces deux différentes casquettes que je porte indépendamment l'une de l'autre...
Baz'art : La caractéristique du Double fond, c'est que c'est votre théâtre à vous, puisque ton père en est le propriétaire : Est- ce que cela met une pression supplémentaire de "jouer à la maison"?
Alexandra Duvivier : Non pas vraiment, en revanche, ce qui met vraiment la pression, c'est d'avoir le public aussi près...
Quand tu vois la disposition du double fond, tu vois à quel point on est proche des gens et du coup il est impossible de tricher ou de faire semblant, car cela se verrait forcément : Le double fond, c'est le seul cabaret 100% magie de France, et aussi le seul endroit où le public est aussi proche des magiciens, et c'est là que tu n'as vraiment pas le droit à l'erreur.
Baz'art : Enfin dernière question plus technique : es-tu plus Bicycle ou Jerry's nuggets ( NDLR :le nom de cartes bien connues des magiciens)?
Alexandra Duvivier :Alors ça, c'est plus une question pour papa, qui utilise uniquement des cartes dites « Jerry’s Nugget » pour travailler car il a une histoire particulière avec elle et il le raconte à qui veut l'entendre .
Il faut savoir que ces cartes sont extrêmement rares à trouver sur le marché et qu’elles excitent beaucoup le monde magique..Moi, j'aime bien les cartes Bicycle rouge, on va dire que ce sont mes préférées, mais franchement ce n'est pas le plus important pour moi quand je fais un tour ...
Baz'art : Merci beaucoup Alexandra d'avoir répondu à toutes ces questions et continue donc pendant longtemps à nous faire rêver, on en a bien besoin!
Toutes les informations sur le site de l'établissement : www.doublefond.com/