État d'urgence/état de siège, au Théâtre de la Bastille
DES TERRITOIRES (… D’une prison l’autre…)
Compagnie du Soleil Bleu / Pépinière
Deuxième volet de la trilogie Des territoires, écrite et mise en scène par Baptiste Amann
Trouver Moussa et Lahcen au milieu du salon en rentrant de l'enterrement de leurs parents, c'est un mauvais signe pour Hafiz, une sale blague pour son frère Samuel, une bonne raison pour appeler la police pour leur sœur Lyn, et plutôt amusant pour leur aîné Benjamin.
Mais quand une dénommée « Louise Michel », fait son apparition au milieu de la querelle, tout le monde s'accorde pour plaider la science fiction, le rêve. Un hologramme, c'est ce à quoi ils aimeraient reléguer cette femme qui, en plus d'ouvrir une faille spatio-temporelle béante au milieu de leur quotidien, risque de soulever quelques contradictions dans l'Histoire de France comme dans les petites histoires de famille. Sa présence réveille déjà de vieux démons, et rappelle chacun à sa conscience intime et politique.
Car l'homonymie ne s'arrête pas là, C'est bien elle, la militante anarchiste et féministe de la Commune (ces deux mois d'insurrection et d'autogestion populaire qui saisirent Paris en 1871). C'est bien elle qui vient planter sa tente et ses idéaux révolutionnaires au beau milieu de cette famille en plein déchirement, et de cette cité en pleine mutation.
Mais tout bascule vraiment lorsque, dehors, les cris des manifestants réveillent ceux qui ont secoué la capitale un siècle et demie plus tôt. Le plateau s'encombre, l'intrigue et les repères se brouillent mais le propos devient clair. Le lien entre les émeutes de banlieues françaises du XXIème siècle et l'insurrection parisienne fin XIXème ? Entre Lahcen et Louise Michel ? L'irrépressible appel de la liberté ! Une lutte inclassable au rang des archives comme simple événement historique, une lutte qui se mène sans répit au temps présent.
C'est ce que Louise Michel semble être venue nous dire d'outre tombe. Son combat n'est pas plus valeureux que les autres, et il n'est d'ailleurs pas fini, jamais. Chaque arpent, chaque minute arrachés à toute forme de domination des êtres et des idées sont une victoire sur un ennemi d'autant plus tenace qu'il est diffus et protéiforme.
Avec ce second volet de sa trilogie Des territoires, le metteur en scène Batiste Amann poursuit son travail de tissage de l'Histoire moderne et contemporaine pour interroger cette fois ce qui fait révolution aujourd'hui. Il compose pour sept jeunes remarquables comédiens un texte dense, historiquement et émotionnellement riche qui réserve plusieurs morceaux de bravoure poétiques et engagés. Amann voudrait tout raconter de la grande et de la petite histoire, dans leur complexité : la famille, le déterminisme social, l'immigration ; l'engagement politique, les idéaux, les lendemains qui pleurent... Il prend alors le risque de noyer la force de son texte et la sobriété de sa scénographie.
C'est dans une parenthèse suspendue au milieu du spectacle que l'un et l'autre éclatent ; lorsque Moussa (le voisin de quartier venu prévenir de l'état d'urgence) tente d'exprimer ce qui le tient au silence, ce mutisme acquis dès l'enfance parce qu'il n'a pas appris à dire « je » et qu'il n'existe qu'à travers « on ». Les mots de la rage coincés au fond de la gorge, ceux de l'amour au bout de la langue, c'est son corps qui fini par exploser dans un mélange de krump et de transe pour faire, à son tour, sa révolution.
Du 2 au 25 novembre 2017 > Théâtre de la Bastille – Paris /Festival d’Automne à Paris
Du 5 au 9 décembre 2017 > TnBA – Théâtre national de Bordeaux – Aquitaine
Le 11 décembre 2017 > Circa – Auch
Du 13 au 15 décembre 2017 > Théâtre Sorano – Toulouse