Baz'art  : Des films, des livres...
22 novembre 2017

Notre Interview d'Alain DELLA NEGRA, le cinéaste qui a filmé les raëliens !

  

 bonheuracadémie

Hier, le 21 novembre, est sorti en DVD (chez Epicentre)  le film Bonheur académie, long métrage hybride entre le documentaire et la fiction qui se propose d'immerger quatre personnages de fiction dans une vraie communauté raëlienne, et ce, dans un camp d'été situé sur la cote croate.

Le film est l'oeuvre d'un duo de cinéastes,  Kaori Kinoshita et d'Alain Della Negra, qui ont une formation dans les beaux arts avant de collaborer ensemble à Paris, établissant depuis dix ans une relation entre identité personnelle et avatars : personnages virtuels, masques et déguisements, happenings communautaires et qui collaborent régulièrement avec les centres artistiques tels que le palais de Tokyo, le Centre pompidou et le musée d’art de Haïfa.

Des artistes complets et ambitieux aux projets cohérent, comme le montre la passionnante discussion que j'ai pu avoir avec Alain Della Negra la semaine passée à l'occasion de la sortie du film

 allain

 

Notre Entretien avec Alain Della Negra
– co-réalisateur de Bonheur Académie

 

  Baz'art : Bonjour Alain et merci de prendre le temps de répondre à nos questions pour les lecteurs de Baz'art. Dans vos précédents projets vous vous  êtes souvent intéressés aux mondes virtuels et à l'ésotérisme : est-ce qu'on peut dire que « Bonheur académie »  s’inscrit naturellement dans cette même démarche ?

Alain Della Negra : Oui  tout à fait " : Bonheur académie" est sans doute un projet assez différent de nos précédents, notamment parce qu’il intègre pour la première fois de la fiction au réel,  mais on a abordé ce projet avec le même état d'esprit que pour les autres.

On a en effet  toujours été attirés par les personnes qui essaient de contrer la solitude de leurs vies et de tenter de contourner cette solitude en s'inventant de nouvelles vies, des personnages différents.

Les communautés que l'on appelle  "New-Age"  sont au centre de notre travail depuis plusieurs années : dans "Cat, Reverent and the Slave" ,notre précédent long métrage documentaire, sorti en salles en 2009,  nous avons voulu aborder la communauté de Second Life 

On a abordé la communauté des raéliens avec la même démarche au départ : trouver un moyen pour que des gens, à la marge qu’on n’entend pas  souvent puissent s’exprimer et que l’on puisse  essayer de comprendre ce qui les amène à vouloir entrer dans une communauté.

 Les communautés post-modernes et les individus hors-normes qui la peuplent nous passionnent depuis le début (voir aussi les courts métrages qui sont en bonus du DVD) et ceux ci, aussi bien les individus  qui jouent à Second Life ou ceux qui accèdent à des  communautés marginales, ne  cherchent pas à nos yeux à fuir la réalité du monde  individus  mais tentent au contraire, d'en faire partie, à leur manière.

 bonheur

 Baz'art : Vous dites que la grande différence qu'apporte Bonheur académie avec le reste votre œuvre, c’est que c’est la première fois que vous utilisez la fiction dans votre captation du réel. Pourquoi avoir opéré un tel choix ?

Alain Della Negra : En fait, nous avons un modèle de référence, le cinéma-vérité de Jean Rouch. Nous sommes pleinement conscients de ce que la caméra peut faire comme préjudice au réel.

Et ces dispositifs qu'on recherche pour contrer cet écueil, ça peut être des jeux de rôle ou d'autres artifices du même style  comme dans les émissions de téléréalité, une approche qui nous a toujours intéressés

Dans le cas de "Bonheur académie", l'idée d'utiliser la fiction comme ressort du documentaire nous a semblé plutôt bien fonctionner.

Il faut savoir que, sans la fiction, jamais les autorités raéliennes nous auraient permis de filmer l'intérieur de cette espace qu'est l'académie du bonheur où aucune caméra n'avait jamais été respecté.

Avec notre petit scénario sous la main, même un peu simpliste, nous n’étions plus regardés comme des journalistes près à leur sauter dessus, mais comme des artistes avec qui une sorte de collaboration pouvait se mettre en place.

 En fait, ce projet qui allie fiction et documentaire, était sa condition d’existence, si on peut dire.

Par ailleurs,  la fiction permettait de de protéger en quelque sorte les participants du stage  Il passait du rang de membre de cette secte si mal vue à celui d’acteur ou de figurant à part entière, et non plus comme des raéliens, ce statut tellement difficile à vivre dans la vie de tous les jours .

Notre intention était de ne jamais mettre en danger  les raéliens, ni de les stigmatiser plus que ne le font déjà les médias. 

En décidant de réaliser une fiction, aussi mince soit-elle,  il faut savoir que  le rapport au fait d’être filmé change totalement. Tout le monde se sentait  alors protégé par le filtre fictionnel,  et il faut savoir par exemple qu'on n'a jamais eu  à leur faire  signer  de droits à l’image comme c'est souvent le cas lors des reportages traditionnels.

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Baz'art :Et pourquoi cette fois ci,  avoir décidé de travailler pour la première fois avec des acteurs professionnels, et ne pas assumer jusqu'au bout c ecoté docu fiction en ne jouant qu'avec des Raéliens?

Alain Della Negra :  En fait, à l'origine,  on souhaitait vraiment ne travailler qu'avec des amateurs, mais on s'est vite aperçus que cela n'allait pas être possible notamment pour des raisons de contraintes temporelles.

Le film a été tourné seulement durant l’université d’été des raëliens en Croatie, un stage qui ne dure  qu'une semaine, et dans un laps de temps de temps aussi court il nous était impossible de rendre juste le jeu de comédiens amateurs.

Nous ne sommes pas Bruno Dumont ou d'autres cinéastes qui parviennent à rendre un acteur amateur prodigieux très rapidement, et nous nous sommes dit que seuls des professionnels pouvaient intégrer ces contraintes de jeu dans un temps aussi court.

 En outre, nous nous sommes aperçus qu'en prenant des artistes plus ou moins reconnus, notamment   le chanteur Arnaud  fleurent-Didier qui a accepté d’utiliser son propre nom et de construire son personnage à partir de lui-même.

Nous nous sommes aperçus que leur présence pouvaient créer une certaine une effervescence que nous pourrions utiliser et qui permettrait plus le lâcher prise chez eux et le naturel.

Au départ il faut savoir que ce rôle devait être tenu par Jean Édouard du Loft Story, car le principe de la télé réalité est assez proche de notre démarche et il nous semblait intéresser d'accentuer ce côté-là, mais il ne s'est pas forcément senti faire un projet proche de ce qu'il avait connu et Arnaud a parfaitement joué le jeu .

2T2C6176 Baz'art :Et du coup, cette expérience de filmer des acteurs professionnels, pour la première fois de votre carrière,  vous l'avez ressenti comment avec le recul?

 Alain Della Negra : Ce fut une expérience forcément très enrichissante et inédite pour nous , éminement gratifiante, mais on peut reconnaitre aussi que cela n'a pas toujours été évident de filmer des acteurs professionnels   : nous n'avons pas vraiment d'expérience en direction d’acteurs, pas vraiment de méthode, nous nous contentions, la plupart du temps, de capter avec notre caméra comme nous le faisons d’habitude en documentaire

En plus  nous n’avion qu’une très faible opportunité de  démultiplier les prises,  en général vu le dispositif , une seule prise était requise mais c’est précisément cet équilibre fragile, fait de risques et d’imprévus  qui ont servi à faire le film.

Certains raléiens se sont amusés à improviser avec nos acteurs, les gens ont tout de suite utilisé les prénoms des personnages qu’ils incarnaient

Sincèrement, les acteurs et même l’équipe dans son ensemble ont joué le jeu à fond  : certains sont même venus sur scène faire des témoignages, ont participé aux ateliers lorsqu’ils le pouvaient.

Tous les éléments ont été réunis pour que la greffe entre raéliens et l’équipe de tournage se fasse de la meilleure façon possible. 

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Baz'art :Mais en même temps ce parti pris docu fiction avec ce mélange d’acteurs pros et de raéliens peut brouiller les pistes pour le spectateur qui peut se sentir au moins au Alain Della Negradébut largement  décontenancé par ce qu’il voit à l’image, non ?

 Alain Della Negra : Oui,  bien sûr que le spectateur peut se sentir un peu perdu en entrant dans notre film, c'était d'ailleurs une de nos intentions, En tant que réalisateurs nous aimions beaucoup l’idée de perdre le spectateur dans ce stage avec ce début flottant jusqu’à ce qu’il comprenne petit à petit où il est.

Pour nous,  il était  vraiment important de  mettre en avant cet état d’incertitude, de flottement, de doutes, car nous voulions que le spectateur se questionne d’abord sur ce qu’il voit.

 Le problème est que , lors des premières projections publiques, le film a été présenté sans carton expliquant le principe de l'académie du bonheur et en quoi elle est reliée à Raël, mais, au vu des réactions parfois très violentes que le film a déclenché, les distributeurs du film nous ont conseillé d'être plus pédagogique et ce carton de présentation a quand même nettement adouci les réactions du public, lors des autres projections.

 Baz'art : Effectivement, votre film a déclenché certaines réactions violentes, et pas mal de critiques jugeant votre film  pas assez critique et satirique et donnant une trop belle image de cette secte et en n’abordant aucun des thèmes polémiques comme le clonage ou la libération sexuelle. Est-ce que quand vous avez pris connaissance de ces réactions, vous avez été déçus de vous rendre compte que votre démarche n’avait pas été bien comprise ?

 Alain Della Negra : Oui, même si on pouvait s’y attendre, on a quand même  pu être un peu déçu de voir qu’une majorité de réactions nous étaient hostiles et, en tout cas,  avaient du mal à comprendre le bien fondé de notre projet.

Après, on sait que la thématique qu'on a choisi est  très sensible :  les sectes, c’est vraiment un sujet assez tabou dans notre société et évidemment que ce dispositif entre fiction et réalité que peut rajouter au trouble et que certains spectateurs se sont sentis eux-mêmes manipulés.

Nous avons visité énormément de communautés New-Age et nous avons trouvé que les Raëliens, derrière une volonté de se montrer comme une communauté très subversive, se révèlent en fait très conventionnels.

C’est ce que l’on montre aussi dans le film.  

Dans d’autres communautés qu’on a pu visiter, c’est bien plus dangereux on a vu certains adeptes en ressortir avec la tête bien plus retournée.

Baz'art : Mais vous répondez quoi à ces critiques qui reprochent la dangerosité  de ne pas prendre parti  contre cette secte dans le film ?

 Alain Della Negra: On a certes beaucoup critiqué  la prétendue dangerosité du film, mais sincèrement on pense que le spectateur, est bien moins naïf et manipulable qu’on ne le pense. Et il faut faire confiance en son l’esprit critique des gens,  je suis convaincu que  "Bonheur académie" n'a converti pour le moment et ne convertira à l'avenir  aucun adepte au raélisme, et ce n'’était pas du tout notre objectif  ni notre démarche évidemment

Après pour en revenir au clonage, dont on a beaucoup parlé  et notamment cette histoire du clone de bébé,  c'est un fantasme total : dès qu'on gratte un peu, on voit bien qu'il n’y a aucune preuve  tangible et que ce n'était rien d'autre  qu'une vaste entreprise de communication.

Et sincèrement l’apologie du clonage  dont on a énormément parlé pour stigmatiser la  secte  n’est pas du tout un sujet qui prédomine chez eux.

Mais de toute façon, nous avons pris le parti de ne pas remettre en cause le principe de la mythologie raélienne et d’accueillir ce qu’ils voulaient nous montrer, en faisant confiance au libre arbitre du spectateur pour juger cela avec toutes les précautions d’usage.

Quant à ce procès d’intention en  prosélytisme qu’on nous fait je suis persuadé que l’usage de la fiction  que nous avons décidé nous permettait d’y ’échapper.

Dans le cas d’un documentaire on nous aurait  encore bien plus demandé de rendre des comptes, de défendre notre point de vue.  Là on est  certes dans une zone d’inconfort,  sans doute déroutant pour certains spectateurs  mais la  complaisance.

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Baz'art : Mais ne pensez-vous pas que si les sujets polémiques de la secte  n’ont  jamais été abordés lors du stage,  c’est  aussi dû au fait que l’irruption de la caméra, même avec le filtre de la fiction  en soit la cause. Bref, n’auriez-vous pas été aussi un peu manipulés par les raéliens qui ont profité de votre film pour lisser l’image de la secte ?

 Alain Della Negra :Évidemment, pendant le stage tout le monde en rajoute un peu sur le côté heureux, puisque le bonheur est vraiment le thème principal du stage  et bien sûr que la caméra accentue ce côté « tout va bien »  et fait sans doute surjouer à tout le monde ce côté très positif.

Et à partir du moment où dit dès le départ aux cadres raéliens à qui on a demandé l’autorisation de faire le film en veut éviter une  position moralisatrice surplombante comme certains reportages télé, cela peut donner envie aux raéliens de nous donner une image plus lisse, mais cela on a eu pleinement conscience, ce n’est pas de la manipulation du tout.

Lorsque nous sommes allés en observation dans d’autres stages raéliens  que celui-ci, sans avoir de  caméra, je peux vous affirmer que ces sujets-là n’ont jamais été abordés, mais c’est aussi parce que je pense que tous les participants à ces stages connaissent déjà cette « mythologie » autour de leur gourou et que ce n’est pas la peine d’en remettre une couche.

 

 

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 Baz'art : Quel est votre prochain projet cinéma? Continuez vous de creuser inlassablement le même sillon du virtuel et de cette "ultra moderne solitude" chère à Souchon ?  

Alain Della Negra : Tout à fait : nous sommes actuellement  en plein préparatif pour un  long-métrage au Japon, qui mêlera aussi documentaire et fiction, et qui traitera plus particulièrement sur le rapport amoureux de certains japonais avec des objets : poupées, tamagotchis, hologrammes…

Effectivement,  nous sommes éternellement taraudés par le même sujet Kaori et moi : cette question de la solitude et comment les individus à la marge font pour s’en défaire

À ce propos par rapport à ce projet, et  notre démarche dans leur ensemble , j’aimerais  conseiller à vos lecteurs de lire dans la collection "les incroyables", en prolongement de la revue du même nom , c'est un ouvrage d’entretiens que Clotilde Viannay a  mené avec nous et dans lequel on revient sur notre enfance et notre démarche artistique ( voir le site de l'éditeur une présentation qui explique le projet éditorial).

Si "Bonheur académie" vous a ne serait ce qu'interpellé, ce livre pourrait aussi vous séduire et permettre de mieux comprendre notre démarche artistique.

 Baz'art  : Promis, nous allons jeter un oeil à ce livre et on vous souhaite une très belle réception publique à la commercialisation de ce Bonheur académie qui assurément vaut le coup d'oeil ne serait ce que pour prolonger ce débat.. .

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 Un grand merci à Beréngère pour la mise en place de cette itw et à Alain Della Negra pour l'envoi de photos de tournages inédites..

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