On en a parlé il y a quinze jours lors d'une critique forcément très élogieuse : 12 Jours, le nouveau long métrage de Raymond Depardon, qui sort ce mercredi en salles, est un de ces évenements cinématographiques de cette fin d'année, et pas uniquement pour les lyonnais vu que l'homme est du coin.
Cerise sur le gateau : j'ai eu l'occasion, avec quelques confrères de le rencontrer début novembre de renconter sur Lyon Raymond Depardon et de lui poser quelques questions, que voici :
INTERVIEW DE RAYMOND DEPARDON, REALISATEUR DU FILM "DOUZE JOURS",
EN SALLES CE MERCREDI 29 NOVEMBRE
Baz'art : Comment est né ce nouveau projet cinématographique qu'est 12 jours ?
Raymond Depardon : A l'origine, l'idée du film est née de la rencontre avec une magistrate, Marion Primevert, et une psychiatre, Nathalie Giloux, que je connaissais un peu de mes tournages précédents, et qui sont venues me voir pour me parler d'une loi dont elles s'étaient occupées de l'élaboration.
Cette loi de 2013, dont j'ignorais alors, comme beaucoup de gens je pense, totalement l'existence, a obligé les psychiatres à soumettre avant douze jours, au juge des libertés, l’ensemble de leurs décisions concernant les hospitalisations sous contrainte.
Depuis cette loi, l’hôpital dispose de douze jours, à compter de l’admission du patient, pour saisir le juge des libertés et de la détention qui doit valider ou non le programme de soins.
Pour permettre au malade de parler librement, son psychiatre n’est pas présent à l’audience. Le patient peut en outre faire appel de la décision du juge, mais celui ci n’exerce pas une contre-expertise psychiatrique, et a seulement pour mission de vérifier que le dossier médical est complet et argumenté.
Marion Primevert et Natalie Giloux m'ont proposé de mettre en image l' application concrète de ce dispositif légistlatif , ou plus concrètement, de filmer un face-à-face entre des personnes internées sous contrainte et un juge.
Baz'art : Et pourquoi, selon vous, ont elles considéré que vous étiez le réalisateur le plus habilité à filmer ce face à face?
Raymond Depardon : Ah ça c'est plutôt à elles qu'il faudrait le leur demander (sourires)..
Disons que, comme j’avais déjà fait deux films sur la psychiatrie ( San Clemente en 1980, Urgences en 1987) et deux sur la justice (Délits flagrants en 1994 et 10e chambre en 2004), cela m'a certainement donné une certaine légitimité par rapport à mes confrères.
Marion et Nathalie ont du se faire la même reflexion que moi, à savoir que cette loi se situait au croisement de deux des thématiques qui ont aiguillé plusieurs de mes précédentes réalisations et qui m'ont toujours passioné , la psychiatrie et la justice.
Très rapidement, je me suis dit que leur projet me paraissait un bon compromis pour aborder ces deux thèmes sous un angle inédit par rapport à ce que j'avais déjà fait . Et puis cela faisait trente ans avec Urgences, que je n'avais plus filmé l’institution psychiatrique je me suis dit que depuis pas mal de choses avaient changé et que c'était pas mal de voir ce qu'il y avait de neuf.
Du coup, nous sommes les tous premiers à filmer l’arrivée du juge des libertés dans l’institution psychiatrique et à rendre publique une parole qui avant cette loi était seulement réservée aux psychiatres et forcément on en tire une certaine fierté.
Avec ce film, il était important d'apporter un point de vue universel et nouveau sur ce problème particulièrement complexe de la santé mentale.
Baz'art : Pourquoi avoir choisi comme endroit pour filmer l'hôpital du Vinatier, à Bron, près de Lyon ? Est ce pour des raisons de solidarité locale, vous qui êtes de la région?
Raymond Depardon : En partie, mais pas uniquement... En fait, il faut savoir que Le Vinatier un des hôpitaux les plus en avance sur l’application de cette loi.
Il n'y a que 70% des établissements qui possèdent une salle d’audience permettant à ce que le juge puisse venir dans l'hôpital entendre le patient, et Le Vinatier fut un des premiers à mettre en place une salle d’audience dans l’hôpital.
Ensuite on les a vite contacté et il nous a semble que l'établissement avait parfaitement compris, voire meme encouragé notre démarche.
Et du coup, tout l'établissement a joué le jeu de la transparence totale, y compris pour l’Unité des malades difficiles.
Et puis c'est vrai que j'ai pris un vrai plaisir à filmer le brouillard du matin et le faible soleil d’hiver de ma région pour capter les lumières de mon enfance., plaisir que je pense avoir réussi à retranscrire dans les scènes en extérieur -où les malades circulent librement entre les pavillons.
J'ai tenu à montrer des scènes extérieures entre les différentes audiences pour construire des sortes de pauses, de "temps suspendu" qui dégagent une sorte de douceur mis en valeur par la musique originale particulièrement inspirée d'Alexandre Desplat.
Baz'art : Quel a été votre dispositif de tournage pour réussir à vous fondre totalement dans le décor et faire en sorte que les patients et les juges ne se rendent plus compte de la caméra?
Raymond Depardon:,En fait j'ai toujours opté pour un travail en équipe le plus resseré possible avec en l'occurence simplement 7 personnes en tout et pour tout sur le tournage.
Concrètement, à l’extérieur, de la salle c'était Claudine (NLDR Nougaret, sa fidèle comparse depuis plus de trente ans) qui était chargée d’accueillir et d’expliquer aux patients notre démarche avant leur comparution et ils étaient alors tout à fait libres d'accepter ou non de se laisser filmer.
La grande nouveauté pour moi par rapport à mes précédents films, c'est que nous avions installé trois caméras dans la salle d'audience : l’une pour le patient, l’autre pour le magistrat et une troisième pour un plan général, autrement dit .deux caméras pour les gros plans, et une pour le plan d’ensemble.
Avec ce dispositif là, on a pu établir une sorte d'équidistance entre le patient et le magistrat, ce qui permettait de ne pas imposer un point de vue dominant au spectateur qui peut ainsi se faire librement sa propre opinion;c'est un principe qui nous gouverne depuis longtemps mais avec ces trois caméras, c'était encore plus évident à nos yeux.
Nous nous sommes efforcés de nous faire toujours le plus discrets possible pour que personne ni le patient ni le magistrat ne donne l'impression de jouer un rôle.
Et sincèrement, je pense avoir suffisamment d’expérience dans ce domaine pour que l'on ne se rende plus compte de ma présence, un peu comme si j'étais un portemanteau ou une sorte de abat jour, bref un truc que personne ne remarque ( sourires)...
Baz'art : Comment avez vous procédé pour sélectionner les 10 portraits présentés dans le film sur tous les entretiens que vous avez filmés? Souhaitiez vous un panel représentatif des patients et des pathologies les plus parlantes de notre société actuelle?
Raymond Depardon :Ah non, nous n'avons vraiment pas voulu choisir un catalogue de pathologies en lien avec l'époque. Le choix que l'on a fait est bien plus artistique que sociologique, c'est un peu la même démarche que lorsque je m’arrête sur une photo et pas sur une autre pour une exposition.
Alors, certes, le film couvre des thèmes comme les tentatives de suicide, les attaques inexpliquées dans la rue, la dépression au travail, les drames familiaux mais tout cela s'est construit naturellement et aucunement pour avoir un panel de souffrances, mais uniquement car ce sont les souffrances que ces patients exprimaient qui me semblaient le plus interessantes d'un point de vue artistique.
La seule consession sociologique, à la rigueur que je peux concéder, c'est concernant le cas de souffrance sur le lieu de travail, pour moi c'était important qu'il y en ait un dans mon film, car je trouve cela très représentatif de notre société actuelle, le burn out est quelque chose de très présent et l'on connaît tous des gens qui en souffrent.
Il se trouve que dans les 72 personnes qui ont accepté d'être filmées, un seul cas de souffrance au travail s'est présenté, c'est cette femme qui travaille chez Orange et qui est présente dans le film, si d'autres cas s'étaient présentés, il aurait sans doute fallu faire un choix, même si la souffrance de cette dame, au bord du précipce me semble particulièrement parlant.
Baz'art : Dans votre oeuvre, on peut trouver quelques thématiques réccurentes, notamment un vif intérêt pour les institutions et les administrations et une obsession sur la question de l'enfermement. Est ce que "12 jours" vous permettait de condenser ces constantes?
Raymond Depardon: Il parait d'après ce que disent les observateurs, que l'enfermement constitue en effet un thème récurrent chez moi..
Par exemple, récemment un musée avait organisé une rétrospective de mes photos et parmi les 5 grands thèmes de cet expo, l'enfermement en faisait partie. Il est vrai que j'ai connu l'expérience du mitard, notamment un mois au Tchad lors d'un reportage , mais après, j'aurais tendance à penser que la liberté et son opposé l'enfermement est quelque chose qui est important pour tout le monde, non?
Et puis pour moi, même si on parle d’enfermement, ce n'est pas la liberté le sujet principal de mon film.
Quant à notre attirance pour les institutions, même si nos films pourraient laisser penser le contraire, ce n'est pas vraiment cela qui détermine notre choix de faire un film. Notre vrai moteur, c'est notre curiosité, notre candeur pourrait on dire.
Ce que nous voulons avant tout c'est de donner la parole à ceux qui sont momentanément enfermés dans leur esprit et en ont perdu l’usage, et de rester le plus possible à l'écoute de l'autre, pour restituer des moments, des paroles, des émotions.
Ces personnes vulnérables témoignent de leur histoire intime mais aussi, à leur façon, de l’histoire politique, sociale et morale de la France.
Et nous avons été très touchés par certains de leurs mots et de leurs formulations qui venaient souvent de très loin qui étaient assez incroyables et que le film, je l'espère en tout cas, montre plutôt fidélement...
Baz'art : En tout cas, avec ce film, vous prouvez à ceux qui en doutez encore que vous êtes un immense humaniste vous êtes d'accord avec cela?
Raymond Depardon : Vous pensez bien que ce n'est pas à moi de répondre à cette question (sourires).. De toute facon, sur ce sujet, depuis que j'ai commencé à travailler j'entends tout et son contraire : j'ai eu le retour de personnes qui trouvent que je suis un immense humaniste et d'autres qui considérent que je pose sur les individus que je filme un regard particulièrement froid et distancié donc je ne vois pas comment mettre tout le monde d'accord ...
Ce que je m'efforce simplement de faire quand je réalise un documentaire, c'est d'être à la bonne distance et de donner la parole à tout le monde, sans jamais qu'il n'y ait de différence dans le traitement entre le patient et le représentant de l'institution..
Il fallait surtout veiller à ne pas déformer la parole du patient et de rendre le film le plus grand public et accessible au plus grand nombre... on verra, avec les réactions à la sortie du film, si j'ai réussi mon pari (sourires)..
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