Baz'art  : Des films, des livres...
9 janvier 2018

Ma rencontre avec Marion Montaigne : "pour devenir Thomas Pesquet, il faut beaucoup bosser "!!

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Avant d'être une bande dessinée  puis une série sur France 5,  Tu mourras moins bête était avant tout le nom d'un  blog de vulgarisation scientifique en illustration.  Son auteure, Marion Montaigne, y abordait la science sous un angle humoristique, mais toujours dans un effort d'exactitude scientifique et un vrai souci pédagogique. 

Rebelote fin 2017 avec son nouveau projet puisque Marion Montaigne s’est en effet glissée comme elle le titre dans son titre pas moins que dans la combi de Thomas Pesquet ( un titre publié chez Dargaud).

L’astronaute Thomas Pesquet qui a rejoint en novembre 2016 la Station spatiale internationale , pour revenir  sur terre six mois plus tard , a offert à l’autrice un accès privilégié et vraiment inédit aux coulisses de cet exploit, et s’est volontiers laissé croquer par l'humour décapant et le  trait allègre de Miss Montaigne,  toujours jubilatoire et pertinent.

Marion Montaigne a voulu déconstruire ce mythe du héros de la conquête de l’espace autour de 200 pages absolument jubilatoires.

Ce qu'elle a  tenu à faire en se lancant dans ce projet et comme elle l'a fait dans les précédents albums, c'est de chercher à vulgariser la science,  toujours  sous le ton de l'humour,  et de démonter les standards et autres aberrations des films de science fiction et de démêler le vrai du faux de la fiction cinématographique et télévisuelle.

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A travers ce docu-fiction  aussi drôle que captivant, l’artiste offre une plongée rigoureusement documentée pour concevoir une merveilleuse oeuvre de pédagogie et de divertissement à la fois : on savoure chaque planche et chaque bulle  et on  y apprend beaucoup!

Dans cet  album  drôle et passionnant, Marion Montaigne nous livre toutes les réponses aux questions que l’on ne soupçonnait même pas,  problèmes mathématiques, scientifiques et logiques à résoudre; tests psychologiques; batterie d’examens médicaux, Marion  Montaigne raconte de l'intérieur ces héros (même si elle réfute le terme comme on le verra dans l'interview) qui ont  marqué l’histoire en flottant là-haut, tout là-haut ..

Et pour notre toute première interview de l'année 2018, c'est donc cette si talentueuse artiste que j'ai  eu la grande chance de rencontrer sur Lyon (sans Thomas bien sûr, mais c'était quand même un super chouette moment); une Marion Montaigne qui me raconte tout sur la génèse de cette expérience si singulière .

 

INTERVIEW DE MARION MONTAIGNE , AUTEURE ET ILLUSTRATRICE DE LA BD "DANS LA COMBI DE THOMAS PESQUET"

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  Baz'art :  À l’origine de Dans la combi de Thomas Pesquet, j’ai cru savoir qu’il y avait  un commentaire que notre superstar nationale avait laissé sur votre blog il y a deux ans. Est-ce que, dès que vous avez vu ce commentaire, vous vous êtes dit : c'est bon je tiens ma prochaine BD"?

Marion Montaigne :Non, cela ne s’est pas passé exactement passé comme cela. Thomas a bien écrit un commentaire sur un de mes articles de mon blog, il y a maintenant trois ans de cela, mais à vrai dire  je ne m’en suis même pas rendu compte immédiatement, il faut dire que je ne suis pas non plus tous les commentaires que je reçois chaque jour avec une grande assiduité.

Ce n’est que 7 mois que plus tard que je me suis aperçu qu’il m’avait écrit, grâce à un ingénieur du CNES (centre National d’Études Spatiales) qui  a attiré mon attention dessus.

En fait, je  cherchais justement à faire un sujet sur l’espace, et je me documentais pas mal dessus, et c’est en parlant à des gens du CNES que cet ingénieur m’a dit que Thomas Pesquet, l’astronaute en entrainement chez eux, avait laissé un commentaire chez moi et que ca serait sans doute pas mal que je le rencontre  ( sourires)…

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Baz'art : Mais vous n’aviez jamais entendu parler de lui auparavant ?… Vous dites pourtant dans la BD que, dès 2009, quand l’ESA avait retenu ses 6 astronautes, il y avait eu une conférence de presse présentant tous ces astronautes dont Thomas, du coup ce n'était pas le type le plus anonyme qui soit…

Marion Montaigne : Oui bien sûr, mais je pense que Thomas  était connu des gens qui s’intéressaient  vraiment au sujet du spatial.

Pour ma part, ce nom m’était vaguement arrivé aux oreilles une ou deux fois avant, notamment quand j’ai fait ma BD "Riche pourquoi pas moi ?", mais en fait, il existait un grand fossé entre l’image que je me faisais de lui et la réalité.

J’avais tendance à m’imaginer une sorte d’ingénieur froid, militaire et pas très drôle (sourires), donc ce n’était pas forcément une évidence pour moi de faire de lui le sujet de mon projet à venir, car je ne voyais pas forcément sous quel angle l’aborder …

Ce projet  s’est concrétisé vraiment petit à petit, et au moment de la réception de ce commentaire, je ne savais pas du tout à quoi allait ressembler mon projet.

Et c’est amusant car, pour en revenir à ce commentaire , je me suis récemment aperçu que je ne lui avais jamais répondu directement (sourires) car comme j’étais en contact avec les gens du CNES et les attachés de presse de Thomas, je me suis dit que ça serait plus simple de passer par ce biais là pour le rencontrer; ce qui a d’ailleurs été assez rapide.

Baz'art : Et justement, par rapport à ces rencontres pour préparer l'album, Thomas était-il assez disponible et surtout disposé pour vous rencontrer comme vous le souhaitiez, notamment avec la pression qu’il devait commencer à y avoir autour de lui et de son départ dans l’espace ?

Marion Montaigne :On a commencé à se rencontrer fin 2015-  début 2016, il commençait juste à faire de la com pour son décollage  mais ça restait assez cool …

Je suis allé à Cologne pour le voir à l’entrainement et il était vraiment disponible en terme de temps, je pense que cela aurait été plus compliqué si je l’avais approché, ne serait-ce qu’un mois avant son départ c’est sur…

Thomas m’a toujours semblé très demandeur pour raconter son histoire sous l’angle humoristique, ce qui est un peu ma marque de fabrique si j'ose dire.

Sensiblement au même moment où je l’ai approché, un documentaire très sérieux  se préparait autour de lui et des autres astronautes, et je crois savoir que mon projet  servait de contrepoids à toute cette communication très institutionnelle et que cette idée lui plaisait  pas mal (sourires).

Pour réaliser la BD, j'ai pu  suivre les deux dernières années de préparation au voyage de Thomas, l’accompagner  au centre d’entraînement de Cologne, donc, mais aussi à la Nasa à Houston et à Baïkonour au Kazakhstan, et forcément, j'ai trouvé tout ce périple terriblement  passionnant et impressionnant.

Thomas  savait pertinemment que je n’allais pas faire quelque chose d’institutionnel, comme il connaissait un peu mon blog, il savait déjà cela, et il a parfaitement validé l’esprit avec lequel je souhaitais aborder le sujet ;  j’ai donc pu opter pour cette liberté de ton avec laquelle j’ai toujours souhaité travailler.

Baz'art :  Mais  du coup, il était donc essentiel que Thomas possède un vrai sens de l’humour pour adhérer à votre projet, n’est-ce pas? Et cela renvoie justement à ce que vous écrivez dans la BD, à savoir que désormais et, contrairement à plusieurs décennies en arrière où l’on recrutait des astronautes  très viril et sans second degrés, désormais l’humour est une des qualités requises pour partir dans l’espace, non ?

Marion Montaigne :Il y a trente ans, effectivement, je ne pense pas que les astronautes lisaient les BD ou les blogs, si ceux-ci avaient existé. (Sourires)

Plus sérieusement, ce qui est certain c’est qu’avant, on recherchait surtout des profils assez militaires.

Thomas est de la même génération que moi, il a grandi avec les réseaux sociaux, et donc, il n’est pas de la même génération que celle de ces héros sans peur et sans reproche, ceux que Tom Wolfe décrit dans "l’étoffe des héros", ces héros des "Missions Appolo",  comme on aurait tendance à les appeller.

Désormais les recruteurs recherchent des gens plus cool socialement car,  contrairement à avant, ces missions sont très longues,- elles durent six mois alors qu’avant c’était une mission qui ne dépassait pas une semaine-  et pour pouvoir cohabiter ensemble pendant six mois, il faut vraiment des gens aux personnalités d’adaptation évidente.

Personnellement, si on m’enfermerait six mois 24h sur 24 avec un collègue de travail, je crois que je deviendrais complètement folle (sourires),  on se taperait vite dessus,  donc c’est pour cela qu’ils ont besoin de bien choisir leurs gars pour ce genre de mission.

Baz'art : Oui, d'accord, mais pourquoi faut il précisemment avoir le sens de l'humour pour "aller plus haut ",comme chantait l'autre?

Marion MontaigneVous savez, plusieurs études ont prouvé que l’on travaillait mieux si on parvient à certains moments à relâcher la pression. 

Il faut un mental solide, très bien s’entendre avec les autres, avoir un égo équilibré et un bon sens de l'humour,   et du coup, forcément ils recherchent des gens qui sont plus dans le civil au départ, non pas qu’il n’existe pas de militaires cool et facile à vivre (sourire) mais c’est peut –être moins évident au départ….

Et c'est vrai que, lorsque j'ai pu assister aux entrainements des astronautes, j'ai vu qu'entre eux il avaient vraiment l'humeur taquine , déconnante,  par exemple, ils préparent sur terre des blagues qu’ils se feront  plus tard dans l’espace ( sourire) …

 

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Baz'art :  Mais est-ce que vous pensez que Thomas lui-même tenait absolument  à collaborer à ce genre de projet cherchant à "dé- glamouriser" l’image de l’astronaute ou bien qu’il  aurait également accepté une BD plus classique, plus institutionnelle ? Autrement dit, est que c’est vous Marion Montaigne qui avez poussé Thomas Pesquet à se moquer de lui ou bien est ce qu’il avait déjà cette autodérision ancrée en lui ?

Marion Montaigne : Je ne sais pas. C’est une bonne question en tout cas (sourires)…je crois que Thomas avait très bien compris les enjeux de ce projet il connaissait très bien les détails qui allaient m’intéresser  et du coup allait très vite sur ce genre d’anecdotes quand on se rencontrait et ne se perdait pas forcément en détail superflu…

Thomas voyait assez vite dans mon œil les détails un peu scatos, un peu incongrus qui allaient me faire marrer et sur lesquels j’avais plus ou moins lourdement insister :o)

Maintenant que je le connais un peu mieux, je pense que Thomas tenait vraiment à faire un truc un peu drôle qui sorte un peu du coté parfait de l'astronaute.

 Quand il a été acté que je ferais cette BD avec Thomas,  il m’a dit que ce qu’il voulait vraiment, c'était montrer autre chose que les images renvoyées par les médias. Du coup il ne voulait pas qu'on montre uniquement et  forcément le courage,  la bravoure,  mais aussi ces moments où la dignité n’est plus vraiment là ou les médecins les suivent partout, tous ces détails que le grand public ne connaissait pas forcément, et que moi même j’ai appris au fur et à mesure que je le suivais.

Les médias avaient tendance à renvoyer de Thomas, pendant son périple,  et même après, une image sans doute un peu trop lisse, un peu trop parfaite, et je pense qu'il était ravi que j'aille un peu écorner cette image là,  tout en gardant évidemment énormément de respect pour son aventure exceptionnelle..

 Baz'art : Pour la première fois dans votre oeuvre, vous écrivez à la première personne, en vous mettant dans la peau de quelqu'un qui n'est pas vous. Pourquoi cette fois-ci ne pas voir repris le fameux "professeur Moustache" qui est un peu votre double?

Marion Montaigne : Ah, ce fameux professeur Moustache,  il n'était pas trop question qu'il arrive dans cette histoire, déjà car  je n'ai pas signé pour ce projet avec le même éditeur que pour "Tu mourras moins bête"...

Mais c'est vrai que le  plus difficile ca a été d’écrire à la première personne..J'ai réfléchi un petit peu à propos de l'angle que je voulais pour cette BD , et une chose est certaine : je n’avais pas envie de me dessiner la goutte de sueur au front en train de  l’interroger derrière un bureau.

La BD est constituée d'un mélange de choses que j’ai pu voir moi-même, en le suivant dans les entrainements; d’autres qu’il m’a racontées. et une petite partie de choses- comme l'histoire des sanitaires en apesanteur - que j'ai pu lire dans des témoignages d'autres astronautes.

Mais sincèrement, ce n’est pas évident d'arriver à  mettre à sa place, d'autant plus qu'il a une vie pas  vraiment banale, et se mettre dans la peau de quelqu'un à qui il arrive une aventure exceptionnelle, ce n'est pas forcément quelque chose d'inné.

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Baz'art : Surtout que là, contrairement à vos albums précédents,  il y a peu d'explications et  bien plus de dialogues, c'était  un parti pris établi dès le départ?

Marion Montaigne : Oui , j’avais vraiment  envie qu’il n’y ait pas beaucoup de voix off dans cette bédé. Je voulais au contraire faire vivre les personnages.

Quand Thomas me racontait sa formation longue durée ,  ou les tests d'évulation assez surréalistes qu'ils ont du faire pour être sélectionnés , sans oublier  toutes les procédures qu'ils doivent ingurgiter, je me disais qu’il fallait vraiment mettre tout cela en scène. 

Mais bien sûr, tout ce qui se passe dans la station, j'ai du "broder" un peu  plus car comme je n'y ai pas assisté, et qu'on a eu moins le temps d'échanger dessus, il fallait un peu plus d'imagination tout en restant quand même collée à la réalité des faits, un vrai travail d'équilibriste en quelque sorte . 

Baz'art : La grande spécificité de votre BD, c'est que, contrairement à tous les récits qu'on a pu lire sur l'espace, vous parvenez totalement à  déconstruire cette image de superhéros inhérent à l'image de l'astronaute  : pourquoi une telle volonté d'écorner le mythe ?

Marion Montaigne :Tout simplement pour enrober d'un peu d’humanité tout cet héroisme dont vous parlez : cette image de héros infaillible, je trouve que c’est un raccourci  plutôt  injuste pour lui.

Comme Thomas  a un peu  collée à la peau cette image d’icone dont je parlais  tout à l'heure, et sert de modèle à beaucoup de jeunes,  je ne suis pas certaine qu'on lui rende vraiment  service en le présentant comme un être parfait, alors qu'on sait bien que personne ne l’est jamais.

Pour tous les jeunes qui rêveraient d'être astonautes, je trouve que c'est un peu décourageant de se dire que seul un héros peut le devenir.

Et quand  on parle de héros, on a  quand même tendance à penser que c'est une sorte de "don du ciel", et donc à occulter le travail monstre  qu’il y a derrière et celui qu'il abat avec toute son équipe.

Thomas, je l'admire énormément pour pleins de raisons que j'ai appris à découvrir en le suivant :  il passe sa vie dans les avions, il doit gérer sa vie de famille, un emploi de temps de fou, et aussi, et j'insiste pas mal là dessus dans mon album, avoir une patience énorme pour saisir ce moment où il va enfin partir, et surtout  il doit bosser, bosser  et  encore bosser.....

Pour se comporter comme un héros, il est important de retenir la dose de travail  qu'il y a derrrière, car personne n'est exceptionnel par nature.

Si ma BD cherche avant tout à montrer quelque chose, qu'avec un peu d'humour, le portrait de ces héros de l'espace gagnent en humanité et sans doute en réalisme,  par rapport à tous les blockbusters américains qu'on a pu voir dessus. Et je pense que ça serait pas mal que l'on retienne avant tout ceci de ma BD....

 Baz'art : On va retenir bien plus de choses sur votre BD, très chère Marion, une BD  qui connait d'ailleurs un succès énorme en librairies.. et pour ceux qui ne l'ont pas encore découvert, foncez lire cette formidable Dans la combi de Thomas Pesquet pour apprendre plein de choses passionnantes et rigolotes sur cet homme qui est bien plus qu'un simple héros !

Commentaires
R
Itw vraiment très interessante et enrichissante :)
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