Dernier vendredi lecture de l'année 2017 et on conclut forcément en beauté avec une romancière culte, qui fait sans doute partie des plus grandes de notre époque, j'ai nommé Joyce Carol Oates qui aura particulièrement marqué cette année littéraire.
"Ce que nous imaginons être la vie, mais que nous ne pouvons expliquer, ne pouvons "mettre en mots" en dépit de tout notre vocabulaire ; ce que nous ne pouvons, n'osons dire à haute voix, cette succession de petits moments parfaits comme le mouvement de l'aiguille ,rouge des minutes sur la pendule General Electric de la cuisine, des moments liés les uns aux autres comme les perles pour constituer un collier, liées par contact, fil invisible, le mystère intérieur. Nous avons eu de la chance, et nous avons été heureux, et je crois que nous l'avons toujours su.
Membre de l’Académie américaine des arts et des lettres, Joyce Carol Oates occupe depuis longtemps une place au tout premier rang des écrivains contemporains avec de nombreux romans épatants dont Les Chutes (prix Femina étranger en 2005) ou le génial Mudwoman (meilleur livre étranger en 2013 pour le magazine Lire) et Sacrifice.
A baz'art comme chez d'autres blogueurs littéraires il faut savoir que tous les ans, on attend le nouveau Joyce Carol Oates avec impatience et tous les ans, on pense qu'elle va enfin gagner le prix Nobel et tous les ans, on se trompe .
Et pourtant, Oates sait tout écrire ou presque que ce soit des poésies, nouvelles, romans, essais...
Deux livres en librairie sortis à la rentrée littéraire de l'automne 2017 nous le prouvent en nous donnant quelques clés sur son œuvre.
On pense d'abord au texte magnifique intitulé "Paysage perdu" paru aux éditions Philippe Rey. Un ouvrage fabuleux et un peu hybride dans lequel la romancière revient sur ses années d’enfance et d’adolescence via une trentaine de textes rassemblés par ses soins, sans jamais se départir du tout de son immense talent de conteuse.
L’ouvrage est découpé en trois parties : l’enfance, l’adolescence, et quelques textes quand elle était jeune adulte. Des photos en noir et blanc de sa famille parsèment l’ouvrage.Joyce Carol Oates opte pour une composition en forme de patchwork, avec des éléments hétéroclites, mais néanmoins chronologiques.
Ce livre rassemble des textes déjà publiés mais "considérablement remaniés" et d'autres, écrits pour l'occasion.
Dans ces souvenirs d’enfance, tout en honnêteté , car la mémoire lui joue forcément des tours qu'elle n'éludera pas, on dégagera ses souvenirs de la ferme dans laquelle elle a vécu étant petite, sa découverte de la littérature grâce à sa grand mère qui lui offre un exemplaire d’"Alice au pays des merveilles" qui changera tout ou encore le portrait de sa petite sœur gravement atteinte d’autisme, ou bien encore, le bouleversant « un mystère inexpliqué : l’amie perdue » où Joyce Carol nous parle du suicide de son amie Cynthia.
Joyce Carol Oates explore le monde à travers les yeux de l’enfant et de la jeune fille qu’elle était en prenant la vie comme une succession d’aventures sans fin, qui voit se mêler comédie et tragédie, réalité et rêverie.
Portrait en mosaïque d'une femme accomplie, d'une écrivaine particulièrement et forcément exigeante, ce très beau livre révèle, si besoin était, la puissance littéraire de Joyce Carol Oates, capable d'emporter le lecteur comme dans une œuvre romanesque, avec un livre qui n'est pas à proprement parler un roman.
Mais assurément Une oeuvre dans laquelle Oates réussit cette prouesse de trouver une forme littéraire épousant majestueusement cette chose "impalpable" qu'est la mémoire.
"Au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance."
La plume toujours ciselée paysage perdu illustre la puissance littéraire de Oates autant qu'il éclaire son œuvre, posant un regard singulier sur le monde, et Paysage perdu a le grand mérite de nous donner quelques clés pour tenter de percer le mystère Oates et de comprendre la genèse d'une œuvre protéiforme et immense.

Parrallélement à ce"Paysage perdu" (Philippe Rey), et pour en enrichir la lecture , les Cahiers de l'Herne ont récemment consacré un ouvrage dense et roboratif à la romancière américaine.
Un cahier de grande qualité qui offre une vision kaléidoscopique d'une auteure et d'une œuvre, à travers le regard de spécialistes, d'écrivains (Russell Banks, Eric Neuhoff, Nancy Houston…) mais aussi de ses proches.
Des articles, des archives des textes inédits, des extraits de sa correspondance (avec Russell Banks, avec sa grand-mère Blanche…). Une vraie mine d'or!!
Je note ce livre dans un coin !