On en a déjà parlé un peu avant sa sortie, mais on remet une couche avant que les films de début 2019 ne fassent complètement oublier la sortie de ce très beau Monsieur
En effet, c'est au tour de Michel de chanter les louanges de ce beau film indien :
Pour son premier film, Rohena Gera a choisi de s'attaquer aux tabous de la société indienne, tout en faisant en sorte que l'histoire de Monsieur soit comprise en dehors de l'Inde.
Ashwin, traine son spleen dans un grand et bel appartement au décor moderne, nous pourrions-être à New-York, Londres ou Paris. Le jeune homme vient d’annulé son mariage et n’a pas du tout envie de reprendre l’entreprise familiale. C’est auprès de Ratna, sa servante qu’il trouve un vrai réconfort moral.
La jeune femme a quitté son village pour réalisé un rêve, devenir styliste. Un amour ancillaire rien de neuf! Oui mais nous sommes à Bombay et le sentiment amoureux entre un maitre et son employée est absolument inconcevable même en se début de XXIe siècle où le poids des traditions perdurent.
Bon sang : quel beau film, grâce à un scénario tout en délicatesse, “Monsieur” nous touche au cœur, et comptez pas sur moi pour vous dévoiler l’épilogue de cette belle et mélancolique histoire d’amour.
INTERVIEW DE ROHENA GERA, REALISATRICE DU FILM "MONSIEUR"
Baz'art: Rohena, qu'est qui est au départ le tout premier point de de départ de votre film ?
Rohena Gera : En fait, lorsque j’étais enfant en Inde , une nounou s’occupait de moi : elle faisait partie de la famille et en même temps en était exclue : c’est ce conflit qui m’a agitée toute ma vie, m’inspirant ainsi ce premier long-métrage .
Je me suis étonnée devant la cohabitation très intime des maîtres et de leurs serviteurs au sein d’une même demeure,.
Car il faut savoir que même les gens qui travaillent à la maison actuellement mangeaient et mange encore séparément , un peu comme si les uns et les autres n’appartenaient pas à la même catégorie d’êtres humains..
Baz'art : Mais ce shisme entre ceux deux mondes que vous avez perçu dans votre enfance perdure il encore aujourd'hui?
Rohena Gera : Oui, totalement, ce que vous voyez dans le film correspond à ce qui se passe en Inde aujourd'hui encore .
Mais si j'ai en eu personnellement très jeune conscience , ce n'en est pas forcément un probleme pour les autres, c'est même considéré comme très normal, et il fallait donc aborder ce sujet de manière non-manichéenne, car d'une certaine façon j'éprouve une certaine culpabilité d'avoir fait partie de ce système.
À 18 ans, je suis allée étudier en Californie, mais je rentrais souvent chez moi en vacances, c'était donc l'occasion de voir de l'extérieur les inégalités flagrantes de notre mode de vie mais ce n'est qu'avec la maturité que j'ai trouvé l'angle et le moyen de faire un film dessus .
Baz'art : Comment personnellement vous définiriez "Monsieur" en deux lignes ?
Rohena Gera :Disons que j'ai conçu "monsieur" avant tout comme l'histoire de deux mondes distincts et contrastés coexistant dans un même espace.
L'histoire des deux personnes habitant ces deux mondes, qui commencent lentement à se connecter l'une à l'autre... là où des frontières invisibles, mais intransigeantes, commencent à s'estomper.
Baz'art : Le film épouse les contours de la comédie romantique, mais s'en éloigne assez vite. Est- ce une façon pour vous d'occidentaliser votre propos pour le rendre plus acessible aux non indiens du moins dans un premier abord, avant de surprendre votre public?
Rohena Gera : Vous savez, je n'ai pas forcément pensé mon film en terme de public indien ou occidental, c'est un peu trop marketing, cela comme idée, non? et le marketing, c'est pas trop ma spécialité à la base ( sourires) ..
Disons que j'aime les films qui vous séduisent en créant un monde dans lequel vous avez envie de vous transporter.
Car même si vos attentes sont déçues, cette séduction va tout de même persister, mais loin de moi l'idée de manipuler le public, cela se fait de manière inconsciente, disons simplement que j'ai eu envie de faire un film que les gens auraient envie de voir et non un film qu'ils se seraient sentis obligés de voir.
Baz'art : Et d'ailleurs contrairement aux comédies romantiques américaines classiques, vos deux acteurs sont loin d'être des gravures de mode, loin justement des carcans de la comédie romantique américaine, c'était aussi un parti pris assumé dès le départ et vous avez cherché des comédiens qui soient dans cette lignée là ?
Rohena Gera ; Ah, oui bien sûr, il fallait prendre soin d'écrire des personnages dans lesquels on pouvait s'identifier, donc ne pas choisir des acteurs qui fassent comme des clichés de magazine.
Ratna est une veuve, qui a eu une vie difficile, mais qui ne pose jamais en victime., Elle est optimiste. mais ne devait pas avoir l'air un peu crucruche ou naïve.
Je voulais montrer un personnage qui n'avait pas été regardé depuis longtemps comme une femme. Or je sentais que Tillotama ( l'actrice qui joue le rôle de Ratna) capable d'apporter cette complexité et cette profondeur à son personnage.
Au début, nous ne la remarquons pas, tout comme Ashwin. Et peu à peu, il va l'avoir dans la peau. Je voulais que leur relation découle d'une lente découverte de l'autre, quelle ne passe pas par une attirance physique rapide.
En ce qui concerne Vivek, choisi pour le rôle d'Ashwin, c'est un acteur très peu connu qui a très peu joué au cinéma en Inde, mais il m'a tout simplement époustouflée lors du casting. Il était bien préparé et il a pris le contrôle de la scène.
Son personnage est habitué à porter un masque, jouant le rôle du bon fils. Et lentement, ce masque devait fondre. Vivek et Tillotama sont tous deux des acteurs travailleurs et entiers qui ont cherché la façon de comprendre le plus profondément possible leurs personnages.
Cela étant, votre question laisserait entendre qu'aucun des deux acteurs principaux n’est bouleversant de beauté et je ne suis pas d'accord, je les trouve très beaux quand même mes comédiens ( sourire)...
Baz'art : En plus de votre duo d'acteurs, le troisième personnage clé du film, c'est assurément l'appartement car Monsieur est presque un huis clos. Cela a t- il été particulièrement difficile de trouver ce lieu de tournage dans Bombay?
Rohena Gera : Oui, énormément, nous avons passé beaucoup de temps à chercher le bon appartement pour tourner le film , sans lui il est évident qu'il ne pouvait y avoir de film ( sourires).
Pour la petite anecdote, l'appartement que nous avons retenu était parfait mais il y avait juste un petit problème : . à je n'arrivais pas du tout à réaliser une série de plans que je sentais être la clé du film dans le scénario,
J'avais besoin d'un plan de l'extérieur, de deux fenêtres illuminées avec les deux personnages dans leurs mondes respectifs. Un plan qui se répétait à différents moments. Mais il n'y avait aucun moyen de le tourner à cause de la géographie du lieu. Nous avons donc décidé d'utiliser un travelling à travers le mur, pour relier ces deux espaces.
Et je pense que cela apporte quelque chose de différent, quelque chose de plus intime et de moins familier. Souvent, les contraintes vous obligent à trouver la meilleure idée possible....
Baz'art "Monsieur" est un film qui critique de façon subtile certes la société indienne actuelle, il est intéressant de vous demander quelles ont été les réactions de la population en voyant le film?
Rohena Gera : Je ne peux pas vous répondre, tout simplement, car à ce jour, je n’ai pas encore fait de projection en Inde.
La sortie est assez compliquée là-bas, comme tout ce qui est catalogué " cinéma indépendant", ce qui est le cas vu notre petit budget et les conditions de tournages , on est très loin du cinéma de Bollywood, comme vous avez pu vous rendre compte en voyant le film ( sourires).
Dans les prochains mois , j'ai prévu d'aller passer pas mal de temps en Inde pour essayer d'aider sa sortie du mieux possible, mais je n'ai aucune garantie en la matière, j'ai l'impression que les distributeurs sont très frileux.
Et pourtant, en mon fort intérieur, je sais que les spectateurs sont prêts à voir "Monsieur " .
C'est un film qui invite le spectateur à se remettre en question et je suis sur que les spectateurs indiens comme ceux des autres pays sont prets à se remettre en question.
Baz'art : Et concernant la sortie en salle en France, n'espérez vous pas au fond de vous, un succès triomphal à la LunchBox (NDLR : l'interview a été réalisée un peu avant sa sortie, hélas, le film n'aura pas connu le même destin que le film de Ritesh Batra) ?
Rohena Gera : Oh non, comme je vous l'ai dit, je ne suis pas dans le calcul et le marketing moi ( sourires)...c'est mon premier film ca a été une aventure difficile mais formidable à réaliser et j'espère simplement que les gens vont s'attacher au film et à son histoire.
Comme je vous le disais un peu avant, j'ai la naiveté de penser que mon film soulève des questions sur la société indienne qu'il est important de se poser, qu'on connaisse intimement ou pas ce pays.
Baz'art :à coup sur, cet objectif est pleinement atteint, chère Rohena, merci à vous et longue vie à Monsieur !