Baz'art  : Des films, des livres...
2 février 2018

Rencontre cinéma - Interview de Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur du film "Une saison en France "

 24 heures à peine après notre chronique du film Une saison en France, prolongeons le débat avec des explications de son auteur. En effet, comme je le disais hier, j''ai eu la chance de rencontrer  Mahamat-Saleh Haroun ( ainsi que son actrice la luminieuse Sandrine Bonnaire) lors de l’avant-première au Comoedia et j'ai pu lui poser un certain nombre de questions autour de son projet. De suite, voici les réponses détailles du réalisateur d'Une saison en France, artiste et citoyen plus qu'éclairé..

mahamat saleh

INTERVIEW Baz'art " Une saison en France"

10 Questions au cinéaste Mahamat-Saleh Haroun

  Baz'art : Vous êtes un des cinéastes africains les plus connus -et reconnus- internationalement parlant, pourquoi avoir voulu « tâter « du cinéma français en axant votre intrigue à Paris pour votrenouveau film ? Aviez-vous le sentiment d’avoir fait le tour de ce que vous pouviez dire sur la société tchadienne ?

 Mahamat-Saleh Haroun : Je ne pense vraiment que mon intention était de « tâter du cinéma français",  comme vous dites, et ce n’est pas parce que j’ai fait quelques films se déroulant en Afrique que je suis pieds et mains liés avec ce continent (sourire).

 Disons que je vis désormais en France depuis pas mal d’années, puisque je suis arrivé sur Paris en 1982 , et que j’avais pas mal de choses à dire il me semble sur la société française et plus particulièrement sur la question de l’exil.

  Baz'art : Et en quoi justement, cette thématique de l'exil résonne-t-elle particulièrement en vous ?

  Mahamat-Saleh Haroun : À cette époque- 1982 donc-  j’ai été totalement chassé de mon pays et je me suis réfugié alors en France. Naturellement, lorsque j’ai réfléchi à un nouveau projet, je suis revenu un peu dans mes souvenirs personnels et j’ai repensé à toutes ces personnes qui cheminent dans le désert ou même dans la neige, pour venir s'installer à Paris.

Et puis, même si je ne suis plus vraiment un réfugié moi-même,  je continue d’en côtoyer un certain nombre et j’ai toujours trouvé la réalité de ce que vivent ces exilés, un mot que je préfère à celui des migrants,  était bien différente de l’image que l’on renvoyait d’eux à travers les médias ou même certaines fictions. 

 Quand on parle de migrants, qui est à mon sens un mot un peu fourre-tout, qu’on emploie un peu à tort et à travers,  on a toujours tendance à les uniformiser, à considérer qu’il s’agit d’une masse informe homogène.

On a toujours l'impression d'avoir sous les yeux des hordes de gens ou des  groupes qui se déplacent en mer, qui risquent leur vie, mais toujours sous le prisme de l'anonymat le plus total.

UNE SAISON EN FRANCE 3 - ©Franck Verdier – Pili Films

 Baz'art : C'est quoi le vrai point de départ de votre film si on revient au tout début de la génèse du projet?

Mahamat-Saleh Haroun : Au tout départ de mon intrigue,  il y a un fait divers qui s’est réellement passé : un Tchadien demandeur d'asile  s'est immolé par le feu à la Cour nationale du droit d'asile à Montreuil , et même s’il a survécu, ce geste fort m’a profondément marqué.

J'ai  ainsi tenu à ce qu’on les montre dans leur vie de tous les jours pour tenter de comprendre ce qu’ils vivent et comment on peut être amené à réagir de façon aussi extrême que cela.

Mon propos était donc de tenter de les individualiser, de leur redonner en quelque sorte un peu de dignité et d’humanité. Je voulais montrer des personnes qui vivent au quotidien avec nous et se fonde dans notre communauté.

Car souvent, on  croise ces personnes-là, sans vraiment connaitre  la vie qu’elles mènent.

L’important  pour moi, est le regard qu’on porte sur elles et d'essayer de toucher du doigt leur réalité au jour le jour.

Baz'art: Du coup, quels choix narratifs et cinématographiques avaient vous choisi pour suivre ce parti pris qui étaient le vôtre ?

 Mahamat-Saleh Haroun :  J’ai vraiment essayé d’aller en rupture avec  un certain cinéma ( français car c'est sans doute celui que je connais le mieux),  qui ne traitait pas cette question des « migrants » comme j’aimerais qu’elle soit.

Pour donner un vrai visage à ces gens  qu’on appelle les migrants  j’ai voulu réaliser une chronique, à leur hauteur  si je peux dire. 

Et rompre aussi avec  certaines représentations qu’on peut avoir sur  les migrants et notamment ceux d’Afrique Subsaharienne et c’est pour cela que mes deux personnages centraux sont des intellectuels, professeur de français et de philosophie  qui s’exprime parfaitement et sans accent prononcé, de telle sorte qu’on ne puisse pas imaginer en les voyant que ce sont des migrants.

Du coup, niveau mise en scène,j’ai voulu rester le plus possible dans  une approche assez naturaliste, presque documentaire, en m’intéressant à des petites choses de la vie de tous les jours, comme ces omelettes que l’on déguste en famille, ou le bain qu’on donne à son enfant, c’est avec ce genre de petits détails réalistes qu’on peut s’attacher à ces personnages et leur rendre toute leur dignité et révèlent toute leur humanité pour les comprendre et pouvoir éprouver de l’empathie à leur encontre.

Cela passe aussi par une attention à leurs visages, leurs regards, leurs corps, et par privilégier le plus possible les gros plans.

 Baz'art- Pourquoi avoir choisi la Centrafrique comme pays d’origine de votre personnage central Abbas et non pas le Tchad que vous connaissez sans doute encore mieux ?

  Mahamat-Saleh Haroun : J’ai choisi ce pays en premier lieu pour des raisons d’actualité… On parle assez peu de cette Centrafrique  dans les médias qui ont tendance à focaliser leur attention sur la Syrie mais c'est un pays qui est actuellement encore en guerre civile, enfin disons que leur équilibre est particulièrement précaire, et que la violence y est vraiment prégnante.

Je connais pas mal de réfugiés en France car il y en 400 000 actuellement qui vivent au Tchad, et je sais la violence  et la souffrance qu’ils ont subis la bas.

En second plan,  j’ai voulu choisir ce pays pour son lien particulier  avec la France.

Comme le dit Etienne, un des personnages du film, "la Centrafrique n'existe pas vraiment, c'est une fiction ", à savoir que c’est un pays inventé de toute pièces par la France qui lui a donné un nom, une monnaie, une langue, ses frontières également…

L'État français y est beaucoup intervenu là-bas, notamment ses militaires forcément et l’histoire du pays est étroitement relié avec celle de la France, l’affaire des diamants de Bokassa en est le meilleur exemple…

Il était donc logique qu’Abbas, professeur de français en Centrafrique, vienne demander l’asile en France, de par le lien qu’il avait avec ce pays et notamment avec la langue française qu’il chérit plus que tout.

Et mon film essaie aussi de montrer que la France a du mal à 'assumer cette histoire tissée depuis de longues années entre la France et certains pays d'Afrique en n’acceptant pas d’accorder leurs visas aux  réfugiés venus de ces pays-là.

UNE SAISON EN FRANCE 1

  Baz'art/ Et pourquoi avez-vous choisi de ne jamais filmer l’administration et du coup ne montrer qu’un seul côté, celui des demandeurs ?

  Mahamat-Saleh Haroun :  C’est un parti pris clairement assumé de ma part. Vous savez, quand on montre, on porte déjà un regard, négatif ou positif, sur quelqu’un et quelque chose et je ne voulais pas porter ce regard.

Je n’avais pas envie de montrer du doigt tel ou tel employé administratif, assis derrière son guichet et dire au spectateur: regardez comme il  est froid,  comme il est méchant", mais au contraire, mon objectif était de mettre en avant  administration sans affects ni aucun lien humain.

 Du coup, j’ai choisi  de montrer seulement des courriers de décision largement  inspirés des vrais, adressés à ceux menacés d'expulsion , des courriers d’une grande froideur administrative qui donnent l’impression qu’ils ne s’adressent pas vraiment à des êtres humains..

  Baz'art : Pas mal d'éléments du film sont dévoilés en voix off par Yacine, un des enfants d'Abbas. Dès le début il était évident qu'il y aurait un narrateur de l’histoire  et que ça serait le fils du héros?

 Mahamat-Saleh Haroun : Non, c’est quelque chose qui m'est venu après, qui n’était  pas du tout dans les premières versions de l’écriture.

A vrai dire, cela m’a aussi été guidé par la personnalité du jeune acteur qui joue Yacine, un garçon très réservé qui intériorise beaucoup. J’ai eu envie de préserver sa nature introvertie et pour qu’il n’ait pas trop de dialogues à dire, je me suis dit  que faire de lui le narrateur de cette histoire était une belle idée.

Le prendre comme un témoin de cette histoire est une façon  de s’inscrire dans la réalité des immigrations : si la première  génération est dans l’action, vit l’histoire, la  deuxième génération  est souvent celle qui la raconte qui va pouvoir ainsi documenter son époque. Yacine, malgré son jeune âge  a déjà compris la situation  difficile que vit son père et cette prise de conscience passe par l’écriture de cette histoire qu’on entend en voix off .

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 Baz'art : La sortie du film coïncide avec l’actualité et notamment avec des discours gouvernementaux assez durs sur la question des migrants. Est ce que, selon vous, votre film arrive à point nommé pour donner un autre son de cloche sur ce sujet? 

 Mahamat-Saleh Haroun : Cela fait déjà plusieurs années qu’on parle beaucoup des migrants dans les médias, et notamment avec l’histoire de cet agriculteur jugé il y a quelques mois pour avoir fait preuve d’un délit de solidarité en ayant fait traverser la frontière italienne à des exilés.

Mais vous savez, ce durcissement actuel dont vous parlez, n’arrive pas comme cela, mais dépend de toute des directives datant depuis plusieurs générations… De mon point de vue,  les discours politiques ont toujours cherché à  stigmatiser la figure de l'étranger. Mitterrand est le premier  d'entre eux,  lorsqu’il parle de « seuil de tolérance », puis, Chirac et Sarkozy, bien évidemment, donc ce qu’on entend actuellement est dans cette droite lignée.

Moi ce que j’ai essayé de faire avec "Une saison en France" , c’est de poser un autre regard  sur ces réfugiés et de dépassionner les débats,  de lutter contre cette représentation faussée de cette figure qui perdure dans  les médias et même je le répète un certain cinéma français.

Une-saison-en-France-autre-regard-migrantsBaz'art: Mais, à vos yeux, il ressemblerait à quoi ce regard différent que vous avez envie qu'on- les poliiques ou les artistes- porte sur ces migrants?

 Mahamat-Saleh Haroun :Comme je vous le disais au début de l’entretien, il ne faut pas aborder ce sujet d’un point de vue politique et dogmatique mais  vraiment d'un point de vue humain, afin de tenter de l'inscrire dans l'histoire de l'humanité.  

De mon côté,  j'essaie de le faire à ma manière, à savoir celui d’un conteur, d’un raconteur d’histoires, mais j’aimerais que les politiques le fassent à leur manière en dictant des lois et des mesures certes, mais prises  sous le prisme de l’humain et non pas d’intérêts économiques ou politiques.  

Ce qui est certain,  c’est que la fermeture des frontières ne pourra constituer une réponse valable à cette problématique. Depuis toujours, les populations ont bougé et çela, nul ne pourra pas l’arrêter.

Il faut vraiment trouver une solution autre que celle de la fermeture de frontières, j'en suis vraiment convaincu.

Baz'art  : Pensez-vous que ce télescopage du sujet de votre film avec l’actualité est une bonne ou mauvaise chose pour votre film ? 

Mahamat-Saleh Haroun : Il est difficile pour moi de  réussir à déterminer si les gens ont envie de voir une fiction qui aborde cette question d’un point de vue différent de ce qu’ils ont l’habitude de voir, j’aurais bien évidemment tendance à répondre par l’affirmative, mais je ne suis pas dans leurs têtes et ne peux influer sur leur libre arbitre..

Si le public n'a pas envie de voir une histoire qui résonne trop fortement avec leur actualité et qu'ils préfèrent avant tout se divertir, je ne peux pas grand chose pour cela, au moins j'aurais conçu un film qui reste en adéquation avec ma vision de l'humanité, c'est déjà pas mal je trouve ( sourires).

 Baz'art: Espérons chez Mahamat Saleh que les gens ont tous envie de voir votre beau film et se rue dans les salles pour faire leur propre opinion sur ce sujet o combien d'actualité

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