Critique : HUMAN FLOW d'AI WEIWEI, transhumances vues du ciel
Petits point noirs sur font ocre, rectangles oranges sur immensité bleue, patchwork en camaïeu de gris...
En prenant de la hauteur, le réalisateur Ai Weiwei soigne à la fois l'esthétique et la thématique de son film « Human flow », sorti mercredi dernier en salles.
Mais il n'oublie pas pour autant de faire redescendre sa caméra sur terre, à hauteur d'hommes, pour traiter un sujet actuel et historique, à la fois politique, scientifique, humanitaire, mais surtout humain : la situation des réfugiés à travers le monde.
Pour cela, il convoque une large palette des supports que permet le film documentaire. Les portraits intimes s’immiscent entre des scènes de vies laissées là-bas ou bricolées ici, et des paysages à la fois beaux et désolés.
Documenté, le travail d'enquête du réalisateur nourrit ses images d'analyses politiques ou médiatiques, de données scientifiques et chiffrées, mais aussi de témoignages de ceux qui voudraient partir, de ceux qui voudraient être arrivés ; sans oublier quelques vers de poètes intemporels de l'exil. Le cinéma se sert ici avec intelligence du visuel pour redonner du sens aux mots.
Ces mots que les médias bâclent et déforment sont ici réincarnés et questionnés : immigrés, réfugiés, exilés... l'amalgame couvre des situations si différentes : d'où viennent-ils, où vont-ils, pourquoi ? Les chiffres officiels aussi sont mis à mal : milliers et millions perdent tout signifiant tandis qu'on prend conscience de ce qui n'est jamais renseigné: les températures extrêmes, les kilomètres parcourus, le temps de l'attente...
Et de tout ce que les chiffres ne diront jamais : la peur et le courage ; l'espoir et la désillusion, la faim, la fatigue...
Les images et témoignages nous revoient aussi, comme par ricoché, à la position de témoin de ces déplacements humains : ceux qui voient leurs villages se vider sans pouvoir ou vouloir suivre le mouvement, et ceux qui assistent à l'arrivée de ces cortèges et à l'installation de camps de fortunes qui rappellent ceux de la seconde Guerre Mondiale.
Mais la vue aérienne utilisée par Ai Weiwei sert aussi à jeter une vision-monde sur la question, et à s'éloigner du discours qui polarise le « problème » autour de l'Europe contemporaine. Les Ulysses quittant leur foyer pour prendre le chemin se l'exil sont nombreux, anciens, viennent et vont de partout dans le monde.
Qu'il filme les rohingyas chassés de Birmanie, les syriens installés au Liban, les éthiopiens sur les côtes grecques ou les mexicains devant le mur étasunien ; Ai Weiwei rappelle une seule et fondamentale évidence : l'exil est un fardeau d'une extrême violence qu'on charge sur son dos bien malgré soi.
Politiques, religieux, climatiques, le nombre de déplacés ne cesse de croitre et les murs frontaliers de s'élever.
Et maintenant ils vont où? Et maintenant, on fait quoi?