Alors que Jonathan Safran Foer dont on a parlé ce matin est le fruit de son époque et nous décrit une Amérique complètement contemporaine, d'autres grands romanciers américains dont on a pu lire les récents écrits évoquent une autre Amérique, soit celle de l'âge d'or d'Hollywood, soit celle de la ségrégation raciale des années 60 , soit celle de l'économie prévue dans plusieurs décennies... Le point sur ces 3 grands romans de suite :
.Stewart O’Nan, "Derniers feux sur Sunset", ( Points)
"Des bougies sur la cheminée, son père découpant la dinde que sa grand-mère McQuillan avait achetée, et sa mère lui demandant de réciter le bénédicité – ces mêmes rituels tout simples pratiqués dans le monde entier et qui lui paraissaient aujourd’hui d’autant plus émouvants qu’ils avaient disparu. Toutefois dans le vent léger du désert portant le parfum des bougainvilliers en fleur, ce paisible passé éclairé à la lueur des bougies semblait irrémédiablement lointain, comme si rien de tout cela n’avait jamais eu lieu."
"Mi-plage, mi-désert, ces lieux n’avaient jamais été faits pour être habités. La chaleur y était impitoyable. Contre toute attente, il faisait désormais partie de cette horde de déracinés, condamné à errer au long des boulevards, et une fois de plus il s’étonna d’être tombé si bas et de sa capacité à mesurer sa propre chute. "
Sur le mode de la biographie romancée, Stewart O’Nan revisite ici les trois dernières années de la vie de Francis Scott Fitgzerald, entre 1937 et 1940 cette l’expérience hollywoodienne d'un Francis Scott Fitzgerald ne le sait pas encore mais il vit ses dernières années. où il a tenté d'être scénariste.
O’Nan recrée avec précision et une belle plume l’Hollywood d’avant-guerre ; et nous propose une excellente biographie romancée, hyper-documentée et pourtant d’une lecture fluide et montre avec justesse les états d’âme de Fitzgerald, surtout par rapport à son épouse Zelda, entre deux séjours à l'hôpital et deux crisesn'est plus que l'ombre de la légende qu'elle a été
Pendant près de quatre cents pages, on est plongé dans l’intimité vibrante d’un homme et d’un auteur et se crée devant nos yeux ébahis, la très réussie rencontre entre deux grands auteurs.
Ces beaux et fragiles Derniers Feux sur Sunset est donc un passionnant roman sur le Hollywood de la seconde moitié des années trente dont le personnage principal est un certain Francis Scott Fitzgerald.
2. Les Mandible , Une famille, 2029 – 2047, Lionel Shriver ( Belfond)
« Que penses-tu de l’affirmation selon laquelle une société réellement libre est un endroit où quelque chose peut encore rester impuni ? »
Faillite pour tous, dans tout le pays. L’harmonieuse famille Mandible, d’une lignée de riches industrielles avec à son bord, professeurs, écrivains, psychologues, travailleurs sociaux et des jeunes enfants précoces et bien nourris, cette famille « Ricoré » américaine prend, comme toute les familles américaines, la crise de 2029 de plein fouet. La Chine et la Russie s’unissent et créent une monnaie commune qui ne fait qu’une bouchée de l’Euro et déclare la guerre au Dollar. Marche après marche, les Mandible vont descendre les escaliers de la survie jusqu’à atteindre le chaos universel. Du Brooklyn de Woody Allen ou de Paul Auster nous arrivons dans l’univers de Stephen King. La famille, après s’être entassée dans la dernière maison qu’elle possède, finira-t-elle sous les ponts ?
: Lionel Shriver nous livre une formidable leçon d'économie! Forte de ses connaissances en économie mondiale, véritable Thomas Piketty pour les Nuls, Lionel Shriver observe non sans ironie la chute financière mais aussi morale de la société américaine. Quelle formidable conteuse !
En quelques phrases les personnages sont croqués et prennent vie, en bonne humaniste, la romancière démonte méthodiquement tout ce qui fait le socle de l’économie américaine : surconsommation et libéralisme. Une fois cela fait, elle regarde tendrement une famille bourgeoise se débattre pour sa survie et prend un malin plaisir à retourner les situations.
En 2050 le Mexique devient un Eldorado à la croissance fulgurante, obligeant le gouvernement mexicain à construire un mur frontalier pour empêcher les américains blancs d’émigrer. Dans les films asiatiques, les personnages américains sont des bouffons incompétents ou malchanceux dont on se moque. C’est tragique et désespérément drôle. 2029, réveillons-nous la dystopie est pour bientôt.
3. Un intrus; Charles Beaumont ( Belfond)
" Partir de zéro, c'est autre chose mais ajouter un glace supplémentaire à un gâteau déa) trop riche..non. Deux millions placés et une fixe de100 000 dollars par an suffisent bien."
Charles Beaumont, de son vrai nom Charles Leroy Nutt, fut un romancier et scénariste (1929-1967), œuvrant plus largement dans les récits de science-fiction, policiers et fantastiques.
Paru en France en 1960 "L'intrus" est un de ses romans les plus percutants et les plus étonnants, adapté au cinéma en 1962 par Roger Corman, un cinéaste plus céléèbres pour ses séries Z mais qui livrait avec ce The Intrude un film étonnant hélas boudé par le public à sa sortie,
Mais le film de Corman doit beaucoup à ce roman intéressant et précis que Belfond dans sa fameuse collection Vintage exhume à nouveau avec une vraie actualité dans une amérique de Trump aux abois sur la question de la ségrégation raciale aux États-Unis.
Ce roman est d'autant plus curieux à lire aujourd'hui qu’il étudie la montée de l’intérieur, par l’intermédiaire du personnage d’Adam Cramer qui s’installe dans une petite ville américaine pour attiser la haine raciale envers les habitants contre la nouvelle loi d’intégration des élèves noirs dans les écoles publiques.
Avec des discours, des manipulations psychologiques et l’appui du Ku Klux Klan, il parvient à ses fins et prépare la foule à commettre un lynchage.
Un roman éprouvant qui n'a malheureusement pas perdu une once de son actualité dans lequel Charles Beaumont, disparu à moins de 40 ans, creuse le thème du panurgisme et de l'intolérance collective.