"Il encaissa un frisson, regretta de ne pas avoir pris d'écharpe et enfila ses gants. Il aurait voulu poursuivre cette virée nocturne d'immeuble en immeuble, c'était presque un voyage. Avec son lieutenant, il pouvait relâcher la garde. Les autres officiers étaient adeptes des concours de testostérone. Stimulant au début, lassant sur la longueur."
On continue dans la dernière ligne droite de notre revue spéciale Quais du polar avec nos lectures concernant les auteurs invités présents à partir de vendredi.
Parmi eux, Dominique Sylvain une romancière qui s’est nettement imposée parmi nos auteurs de polar hexagonales qui comptent depuis "Passage du désir," prix du roman policier des lectrices de la revue Elle en 2004.
Après une embardée à Tokyo avec son dernier roman "Kabuchik"o , Dominique Sylvain, toujours fidèle à sa maison d'édition Viviane Hamy- dont elle est la maitresse incontestée du polar depuis le départ de Fred Vargas sous d’autres cieux- revient en France et reste comme dans son précédent roman sur une intrigue sans héros récurrent, contrairement à ses quinze premiers ouvrages.
Son intrigue, située entre Paris et la Bourgogne, prend son nerf dans une histoire très contemporaine à base de rencontres sur les réseaux sociaux et notamment d'une l’application love alibi.com.
Ce site internet, à l’instar des personnages de la comédie franchouillarde Alibi.com, fournit en effet des scénarios clés en mains aux clients adultérins qui le demandent.
On s’en doute, Dominique Sylvain n’est pas (du tout) la bande à Fifi, et sur cette thématique identique, va brosser un roman choral particulièrement sombre dans lequel tous les personnages, liés plus ou moins contre leur gré à ce site, vont se trouver confrontés à leurs mensonges et leurs faiblesses et à des pratiques situées entre (au mieux) immoralité et (au pire) criminalités.
Au départ, une jeune journaliste de TV24 (toute ressemblance avec une chaine d’informations en direct basé sur le scoop à tout va au fi de toute déontologie serait évidemment purement fortuite) qui enquêtait sur le marché de l’extra conjugalité est retrouvée assassinée, le corps jeté misérablement dans une poubelle…
Lorsque les enquêteurs chargés de l’enquête ( l’expérimenté mais un peu au bout du rouleau inspecteur Barbier et le plus jeune et très mystérieux lieutenant Maze) s’aperçoivent que la tante de la journaliste n’est autre que la créatrice de ce site alibi.com, ils se doutent que ce meurtre n’est pas uniquement crapuleux et pourrait toucher aussi quelques gros poissons qui nagent dans les eaux profondes du marché adultérin..
Une sphère particulièrement opaque où baignent les faux semblants, les dissimulations, la colère plus ou moins rentrée, et où même les chefs de la police ont tendance à se mentir à eux même et se révèlent particulièrement torturés...
Loin de surfer de façon uniquement opportuniste sur un sujet d’actualité- les amours au temps d’internet- Dominique Sylvain tisse un roman policier particulièrement sombre et parfaitement construit, dans lequel la plupart des protagonistes de l’histoire ont leur mot à dire et fera éclater leur propre vérité qui n’est on s’en doute, pas forcément celle de son voisin.
L’enquête que nous propose Dominique Sylvain sera ainsi loin d’être aussi évidente et linéaire qu'attendue, dynamitée notamment par les affres incontrôlables du désir, avec pour la servir, des personnages aussi ambigus que difficilement saisissables .
Voilà une partie des ingrédients qui font de ces "Infidèles" un excellent cru et l'un des rares romans policiers à avoir eu une belle vitrine dans l’excellente émission de la Grande Librairie lors d’une brillante intervention…
LES INFIDÈLES – Dominique Sylvain – Éditions Viviane Hamy – collection Chemins Nocturnes - 360 p. février 2018
Dominique Sylvain à Quais du Polar
Dominique Sylvain démarre comme journaliste, notamment pour Le Journal du Dimanche, avant d’entamer une carrière dans la communication pour le groupe Usinor. Elle part vivre en Asie au début des années 90. Tokyo, où elle a passé dix ans, lui a inspiré son premier roman Baka ! (1995). Plusieurs de ses romans ont été primés. Vox reçoit le Prix Sang d’encre 2000, Strad le prix Michel Lebrun 2001, Passage du Désir le Grand Prix des Lectrices de Elle 2005, Guerre sale est élu meilleur polar français 2011 par la rédaction du magazine Lire et Kabukicho obtient le prix Interpol’Art 2017. Ses dix-sept romans ont été publiés dans la collection Chemins Nocturnes, aux Éditions Viviane Hamy.
Autobiographie pour Quais du Polar
« Quand on me demande ce que je fais « comme livres », je réponds : « Je ne sais pas vraiment. Disons que j’écris ce qui me fait vibrer d’instinct ». Si j’avais été musicienne, je n’aurais pas choisi la musique contemporaine, mais le funk rock, le jazz, l’électro. Vaste programme. »
Polars fétiches
: Parmi les loups et les bandits, Atticus Lish.
: Bullitt, de Peter Yates.
: Patricia Highsmith.