Rencontre Cinéma : Notre interview de Fred Cavayé et Suzanne Clément pour le film LE JEU
Cela fait déjà plus d'un mois que le long métrage "Le jeu "est sorti en salles (voir notre critique ici même), il attaque ce mercredi sa déjà cinquième semaine à l'affiche, mais il reste sur le devant de l'actualité, car il vient juste de dépasser le cap du million et demi d'entrées (ce qui est un excellent score dans la moyenne des sorties françaises, surtout pour un film vendu comme une comédie mais qui n'est pas vraiment).
Bref, voilà l'occasion idéale de faire le point avec son réalisateur, Fred Cavayé, que l'on avait rencontré quelques semaines avant la sortie du film en présence d’une des comédiennes du film, la délicieuse et très talentueuse Suzanne Clément (qui m’a même servi le thé pendant la rencontre, la grande classe, n'est ce pas?) .
INTERVIEW DE FRED CAVAYÉ ET DE SUZANNE CLÉMENT
POUR LE FILM "LE JEU"
Baz'art : "Le Jeu" est un remake d’un film italien Perfetti sconosciuti qui a cartonné dans son pays d’origine. Comment vous vous êtes intéressé à ce projet de remake, ce qui est une première pour vous ?
FRED CAVAYÉ : En fait, c’est mon agent qui m’a fait découvrir le film d’origine car elle était certaine de son potentiel d’adaptation.
J’avoue au départ avoir été moyennement emballé par l’idée, les remakes, je m’étais refusé ça depuis que j’ai commencé à faire des films, et même des adaptations de romans, alors que j’ai moi-même été adapté cinq fois.
Mais avec le recul, je me dis que c’était un peu une réaction idiote (rires), maintenant que j’y touché, j’ai bien envie de recommencer : le plaisir est pareil que pour un scenario original, c’est juste qu’on part pas d’une page blanche et qu’il faut juste rajouter quelques feuilles au mille feuilles, si j’ose dire :o)
Baz'art : Et comment s'est concrètement déroulé le travail d'adaptation proprement dit, autrement dit quelles feuilles avaient vous rajouté (rires??)
FRED CAVAYÉ : Disons que, dès que j'ai vu le film italien, j’ai commencé à bosser dessus, et très vite, c’est comme si c’était mon film et que j’avais moi-même inventé le concept. J’ai senti que j’avais là l’opportunité de faire un film avec une certaine épaisseur, d’y apporter un regard personnel sur les rapports d’amitié et de couple.
L’original était une base formidable pour traiter et développer des thèmes qui m’intéressaient beaucoup.
J’ai modifié un peu certains personnages, leurs professions et leurs réactions face aux appels ou aux messages téléphoniques.
J'ai également voulu modifier certains éléments notamment certaines professions histoire de les rendre le film crédible dans le contexte français. Il y a des petites choses qui paraissent très anecdotiques qui n’auraient pas fonctionné, (comme par exemple les courgettes que l’on fait frit en Italie et au four en France) car ce sont des choses très italiens qui n’auraient pas marché ici.
Et chose importante à mes yeux : j’ai totalement interdit aux comédiens de voir l’original, car ça ne sert à rien de prendre des références, l’important c’est qu’ils essaient de créer leur propre vérité.
Baz art : La particularité du Jeu, c’est que c’est une comédie qui fait beaucoup penser à un thriller. Est-ce que vous pensez apporter un regard différent d’un metteur en scène de comédie qui n’aurait pas réalisé de thriller d’action ? Autrement dit, est ce que vous pensez qu’un réalisateur qui n’aurait jamais tourné de thriller contrairement à vous aurait pu faire le même film que vous ?
Fred Cavayé : Ah j’espère que non, que mon film est un peu personnel quand même :o) Ce qui est certain c’est que, dès l’écriture, je l'’ai réellement envisagé comme un thriller. Pour moi "Le jeu", c’est avant tout une « comédie à suspense ». Ma principale inquiétude était de réussir à rendre ce huis clos, cette unité de temps, cette unité de lieu, aussi passionnante que si c’était un film « normal » dans lequel les décors varient et les actions aussi.
Et c’est vrai que d’avoir tourné quelques polars (NDLR : "Pour elle", "À bout portant" ou" Mea Culpa") dans le passé, ça m’a un peu aidé pour savoir placer ma caméra et trouver le rythme adéquat.
Baz'art : Au niveau de la mise en scène, quels partis pris qui vous semblait particulièrement important de suivre pour réalisercette « comédie à suspense » comme vous l'appelez vous-même ?
FRED CAVAYÉ : Je devais réussir à varier ce que le spectateur reçoit visuellement.
Je devais donc, tout le temps, découper et mettre en scène pour éviter la répétition, varier les axes.
Comme on était tous cinq semaines et demie autour de la table avec les autres, il fallait vraiment penser à les varier pas mal ces axes de caméra. Je souhaitais que le spectateur n’ait pas l’impression que les plans se répètent, afin qu’il oublie que c’est un huis clos.
Une vraie réflexion préparatoire et une grande méticulosité de réalisation étaient ainsi nécessaires pour aboutir à un rendu simple et naturel.
À vrai dire, "Le jeu", c’est sans doute mon film le plus compliqué à faire, car par rapport à mes thrillers, il fallait que ça paraisse simple, que le spectateur oublie la mise en scène, que ce soit immersif, et qu’on soit vraiment avec les personnages.
Baz'art: Qu’est qui vous intéressaient justement dans ces personnages, qui ne sont finalement pas très glorieux dans l’ensemble ?
Fred Cavayé : Ces personnages me semblent être à la fois universels et passionnants : c’est en cela aussi que ce film m’a intéressé.
Je me suis saisi de ces sept personnages aux facettes très différentes, tous dotés d’une vraie humanité avec des manies et des défauts qui m’agacent, et des émotions et des qualités qui me touchent.
Chacun peut s’y reconnaître dans mes personnages, je pense.
Mais c’est un vrai film choral et chaque rôle a la même importance : ce sont sept solistes et ils ont tous une partition égale.
C’est d’ailleurs exactement ce que j’ai dit à chaque comédien quand je les ai approchés pour le rôle : même si certains ont moins de texte, cela ne signifie pas une importance moindre
À mes yeux, les sept rôles sont égaux, il n’y a pas de personnages plus importants que d’autres dans l’histoire, ni de pivots.
Baz'art : Pour le casting, comment avez-vous opérez pour trouver cette alchimie entre ces acteurs issus de famille et de formation différente ?
Fred Cavayé :Avec Michaël Laguens, le directeur de casting, on a élaboré une liste d’excellents comédiens avec qui j’avais envie de travailler depuis très longtemps, humainement capables d’assumer le challenge.
Nous avions sept rôles à pourvoir, avec une sacrée partition à jouer, et nous avons donc fait des listes pour établir qui pouvait correspondre à qui. L’objectif était de créer une vraie équipe qui trouverait son équilibre à sept, accepterait de tourner cinq semaines pendant toute la journée, dans un studio de 30m2.
Le facteur humain était très important car il fallait une certaine alchimie pour créer une véritable convivialité.
Certains n’étaient pas dans la liste, même d’excellents comédiens parce que je savais qu’ils n’auraient pas la patience d’être deux jours et demi de dos à ne rien dire, pour leur égo ce n’était juste pas possible (rires).
Baz'art: A ce propos, est-ce que tous les acteurs étaient présents en même temps pendant le tournage, ou vous les avez fait jouer chacun dans leurs coins ?
Fred Cavayé :Ah non ils ont tous joué ensemble : c’était un luxe terrible, mais auquel je tenais particulièrement
C’était pour moi la première fois que j’avais la chance de tourner un film dans l’ordre logique des séquences, pendant sept semaines, avec sept acters dans la même pièce.
Ça demande beaucoup de travail, il est nécessaire de débriefer tous les soirs mais c’est formidable à faire en même temps. On peut améliorer sans cesse et préciser la direction.
Baz'art : Et vous, Suzanne; qu’est qui vous a intéressé particulièrement dans ce projet ?
:Suzanne Clément : Je dirais d’abord que c'est le personnage, cette partition à l’intérieur d’un film tel que "Le jeu" qui m’a vraiment séduite.
Ensuite, la rencontre avec Fred qui s’est faite simplement et spontanément, et j'ai eu avec lui une discussion très enrichissante, notamment autour du thème du couple que je préfère garder secret si vous ne voyez pas trop d'inconvénients à cela (sourires.)
Et enfin, troisième point qui a compté dans mon choix , l’équipe d’acteurs avec qui j'avais très envie de jouer.
Parmi eux, je connaissais déjà Grégory (Gadebois) avec qui j’avais eu beaucoup de plaisir à travailler, dans le film de Gilles Bourdos "Espèces menacées" et c’était une vraie chance de le retrouver un an et demi après, Grégory c'est un type génial, aussi bien en tant que comédien qu'en tant qu'homme.
Baz'art: La mise en lien avec vos partenaires s'est déroulé de quelle façon sur le tournage, elle fut plutôt libre ou directive?
Suzanne Clément : oh, c'était plutôt en mode très libre. Il y a eu une lecture avec tout le groupe, mais pour préserver la spontanéité, Fred ne voulait pas de répétitions. Nos échanges étaient assez informels et l’alchimie entre nous a pris.
Il y a eu un moment intéressant en préparation pendant les essais costumes dans le décor où on a remis en question nos places respectives autour de la table ce qui a amené Fred à les changer.
A priori, cela peut sembler un détail mais ici on savait que ça affectait 5 semaines de tournage.
Baz'art: Mais vous avez quand même rencontré Fred avant le tournage pour préparer le rôle?
Suzanne Clément :Oui, chacun d'entre nous, on a rencontré Fred seul à seul : pour ma part, j’ai passé une journée avec lui à éplucher ma partition. Fred a un enthousiasme communicatif : on sent sa passion du travail et du plateau.
Il a aussi un côté enjoué, joueur, ce qui est fort à propos avec le thème du film et notamment la question des portables au centre du film à la fois objets utiles de communication et ce sont aussi carrément des jouets.
Baz'art: Fred, comme on a la chance d’avoir à notre table le compositeur Christophe Julien, quelle était votre intention de départ concernant vos choix musicaux ?
Fred Cavayé : Pour moi, la musique ne doit jamais être illustrative mais accompagner l’action, les sentiments et le rythme. Dans tous mes films, la musique, comme le montage son, ont une importance primordiale car, pour moi, ces deux éléments sont aussi narratifs que l’image, cela doit donner l’impression d’être à table avec les personnages, notamment sur le « hors champ ».
Christophe est un formidable mélodiste, très talentueux, que j’ai découvert grâce à son sublime travail dans le magnifique film de Dupontel "AU REVOIR LÀ-HAUT".
Notre collaboration a été passionnante : nous partagions l’idée d’aborder ce film de la même façon qu’un film d’action, chaque note ayant pour but d’entraîner, de donner l’impulsion.
Christophe a vraiment réussi à traduire musicalement ce que je voulais et m’a même parfois donné le sentiment d’être moi-même musicien alors que pas du tout hélas (sourires).
Baz'art : Comment votre film est-il actuellement reçu par le public, à quelques semaines de la sortie du film ?
Fred Cavayé : Disons que, contrairement à mes films précédents, les gens parlent plus d’eux que du film. Vu qu’il y a 7 personnages, il y a une sorte d’ effet miroir, ou chacun peut trouver un peu soi
Alors évidemment, comme il y a quelques points communs entre nos deux films, j’entends pas mal parler du film « Le prénom » .
"Le Prénom", on y pense forcément un peu au début du film, de ce huis clos entre amis, mais j’ose espérer que ceux qui pensent voir un copier-coller du prénom seront agréablement surpris.
En effet, je pense que j’amène le film un peu ailleurs et que chaque spectateur peut y trouver autre chose que ce qu’il pensait y trouver
Le spectateur vient au départ pour voir une comédie et l peut se retrouver un peu ailleurs, et c'est une idée qui me réjouit forcément.
Baz'art : Et sinon, pour finir un mot de vos futurs projets : depuis dix ans à chaque interview ou presque, vous parlez d'un mystérieux projet d’un film qui se déroulerait au Canada avec des bûcherons! C’est un projet que vous avez totalement abandonné ou vous esperez encore le tourner un jour ou l'autre?
Fred Cavayé : Figurez-vous que c’est un projet que j’ai toujours en tête : j'ai dû faire une trentaine de versions différentes : parfois cela se passe au Canada sans bûcherons et parfois et où le personnage principal est une femme bûcheron ou pas.
Peut –être que je ne le ferais jamais ce film, mais tant pis, tant que je peux faire des films, je vais m’accrocher à ce projet car je le trouve vraiment formidable, même si j’ai la facheuse impression, au fil des années, que je suis le seul à le penser (rires).