Pearl/ Monsieur Amerique : Gros bras; coeur tendre
Hasard de nos lectures et sorties cinéma: deux œuvres, un long métrage et un livre, nous ont offert en cette fin janvier une immersion totale dans l'univers fascinant et assez méconnu du culturisme.
Le bodybuilding est en effet un monde singulier, milieu a priori asexué, où un nouveau genre semble avoir été inventé, celui de « la créature ». Un univers très codifié, qui fascine et fait peur en même temps, et deux œuvres qui nous proposent pour chacun des deux une vision à rebours des clichés et des stéréotypes avec deux œuvres qui étudient la fragilité humaine en l’opposant à ces corps qui incarne l’absolu inverse :
Commençons cette revue par parler de 1/ Pearl, un étonnant premier film d’Elsa Amiel, chronique esthétique et envoutante , qui explore les coulisses du monde secret du bodybuilding féminin.
Partant d'une série de photographies du photographe allemand Martin Schoeller consacré à ces bodybuildeuses américaines avant qu'elles ne montent sur scène, Elsa Amiel , qui fut l'assistante de Bertrand Bonello et Mathieu Amalric, pose un intéressant regard sur ce monde singulier à travers un personnage, Pearl , esthète qui va être rattrapée par son passé le jour où elle doit livrer une compétition importante .
Le film s’apparente ainsi à un huis-clos dans un hôtel où se déroule une finale pour un prestigieux titre, avec les derniers préparatifs des différentes femmes en compétition prêtes à exposer leurs corps très musclé à un jury.
Le film d'Elsa Amiel, s’éloignant totalement du naturalisme, s'appuie ainsi sur une mise en scène très formelle, très charnelle (qui ,fait pas mal penser au film Bullhead sur un thème proche), et qui joue beaucoup sur le saisissant contraste sont entre ce visage féminin, massif et quelques fois enfantin, et ce corps tout en puissance.
On voit ainsi à quel point le monde du culturisme n'est fait que d'’apparence, entre ces individus remplis de stéroïdes, luisants de produits bronzants, affichants des sourires crispés pour les juges de compétition alors que ces colosses aux pieds d’argile semblent souvent profondément rongés de l’intérieur.
Dans sa manière de filmer les corps au-delà du naturalisme, la mise en scène impressionniste d'Elsa Amiel exerce un certain pouvoir d’envoutement, surtout lorsqu’elle scrute le corps de cette héroïne hors norme qu’est Pearl , vraie plus-value du film d’Amiel et interprétée avec talent par la culturiste Julia Föry.
Cette héroïne captive notamment par l’attention portée par la réalisatrice à son corps mais également à son visage avec ces regards qui cherchent parfois une échappatoire et ses sourires qui semblent si contraints.
Qu’importe si le scénario -et la psychologie des personnages- est un peu ténu et les personnages secondaires peu développés (malgré le beau casting, de Peter Mullan à Arieh Worthalter), le film, organique, charnel et esthétique, est un objet assez captivant et fascinant.
Le même désir de sonder la fragilité de ces gros bras est également au cœur du livre de Nicolas Chemla, "Monsieur Amerique", autour d’une personnalité qui elle a vraiment existé: Mike Mentzer, sans doute un des plus inspirants Bodybuildeur de tous les temps.
Mentzer apparait tout au long des 600 pages que lui consacre l’auteur une personnalité complexe dans un corps hors-norme et le livre comme le film d’Amiel, fait également ressentir une fascination pour ces corps métamorphosés.
Le livre de Chemla s’inscrit un peu de la veine de l’auto fiction de William Giraldi dont on avait parlé l’an passé. Et donne une vision fort différente du culturisme que celle que nous pourrions en avoir, loin des a priori, un peu comme l'avait également fait Rochdzy Zem dans le fort réussi Bodybuilders.
L’auteur dresse le portrait d'un athlète atypique, homme controversé, philosophe amateur et théoricien de l'entraînement sportif.
Soulever des fontes, Mike le fait depuis qu'il est petit, dans son garage familial alors même que cette activité était très mal vue par son père et les hommes qui trouvaient que ça ne faisait pas très viril.
Mentzer remporte ensuite le titre de Monsieur Univers à Acapulco au Mexique en 1978 avant de devenir bodybuilder professionnel, et deviendra aussi par la même occasion le rival d' un certain Arnold Schwarzenegger qui apparait sous la plume de Chemla sous un jour particulièrement peu avenant, cynique, mauvais, coureur de jupons, pas bien malin, prêt à tout pour gagner la mise..
Sportif reconnu, inspirant, passionné et jusqu'au-boutiste, Mentzer en revanche apparait comme aussi un véritable érudit. Et le livre dépasse très vite la simple peinture clinique d’un monde et ses rouages, pour aller sonder la psyché d’un personnage complexe et étonnant, loin de ne se consacrer qu’au relief bombé de leur musculation avec une discipline très exigeante.
Le mythique Mike Mentzer, et son corps spectaculaire, qu’il affichait à la une des magazines est un vrai symbole du rêve américain des années 70-80 à travers un personnage hors du commun, qui cultivait certes le culte de la virilité propre tout en étant honnête passionné de culture orientale et de philosophie
À travers ce roman de l'adoration du corps, Mentzer semble être un personnage assez anachronique dans un milieu, dont on découvre tout au long des 600 pages, la petite cuisine pas reluisante: médecins peu scrupuleux, manageurs véreux, groupies sans cervelle...
Cette immersion dans l'univers fascinant du culturisme nous fait vivre l'époque bénie des gros bras plein de testostérone, luisants de produits bronzants.
On est épaté par le travail documentaire de Nicolas Chemla rendant ce livre très riche et coloré pour raconter la naissance d’un monstres sacrés de ce qui était alors une toute jeune discipline, le bodybuilding.
Ce récit, qui n’affiche jamais le cynisme ou le second degrés qu’on aurait pu craindre sur le sujet est au final une plongée fascinante aux pays des souleveurs de fonte, pour le plus grand plaisir du lecteur culte du corps et existentialisme montrant qu'on peut autant cultiver le corps et l'esprit dans un seul et même élan.