Même si Loach a raté la passe de trois en étant absent au palmarès final, son Sorry we missed you a ébarqué à point nommé sur la croisette, au coeur d’une grogne sociale persistante en France et en Europe.
Nous avons pu voir le film dimanche soir dans le cadre du festival première vague du Comoedia ( eh oui on ne parle pas que d'annecy cette semaine sur baz'art) et il nous a particulièrement retourné et rendu aussi un peu en colère d'impuissance :
Il a fallu vendre la voiture familiale pour acheter à crédit un camion de livraison mais Ricky en est sûr en devenant chauffeur à son propre compte pour une plateforme de livraison, il pourra s’acheter un pavillon et mettre ainsi sa famille à l’abri. Mais pour la famille Turner le nouveau travail du père sera une véritable descente aux enfers.
Sous-traitants de commanditaire extrêmement exigeants, les chauffeurs cumulent les inconvénients d’un employé maltraité subissant des obligations de rendement impossibles et la précarité d’un artisan à son compte prenant en charge tous les inconvénients de la profession de livreur dans une grande ville : embouteillages, retards, amendes, journées à rallonge éreintantes et stress maximum.
Des conditions de travail dignes des travailleurs journaliers au XIXe siècle.
Film coup de poing sur l’ubérisation d’une société de plus en plus libérale. Ken Loach nous décrit avec une précision chirurgicale les conséquences d’un travail déshumanisé sur le corps et la cellule familiale. Toujours au plus près de ces personnages le réalisateur pose un regard tendre et lucide sur des êtres humains victimes de la cupidité d’autres êtres humains.
Depuis plus de vingt ans le réalisateur et Paul Laverty son scénariste nous donne à voir et nous questionne sur l’insécurité et l’amoralité d’un monde gouverné par le profit.
Comme « Moi Daniel Blake », « It’s a free world », My name is Joe », Bread and roses », ou “Sweet sixteen”, Sorry we missed you » nous interpelle et nous questionne:” comment et pourquoi en sommes nous arrive là”.
Présenter un énième film de Loach à Cannes est peut-être le seul moyen pour lui d’être vu et écouté., mais hélas les choses ne changent pas....et on a l’impression un peu amère en regardant sa filmographie d’assister au combat final de la chèvre de monsieur Seguin.
Le nouveau film de Ken Loach illustre à merveille la citation de Warren Buffet:” ...La lutte des classe existe bien sûr et nous sommes en train de la gagner...”
Ce qui est certain, c'est que le nouveau film de Loach film décrit une réalité particulièrement éprouvante, mais jamais le réalisateur n’oublie d’humaniser ses personnages et jamais il ne tombe dans la caricature larmoyante.. c’est cru et très dur, mais c’est une réalité quotidienne pour beaucoup de gens....
Du cinéma libre et engagé, un film nécessaire.
« Sorry we missed you », drame britannique de Ken Loach. Avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone… 1h40.
Sortie en salles le 23 octobre 2019
3.5/5
A noter que dans le cadre du festival Lumière 2019 ( on revient dessus prochainement), Ken Loach prix Lumière 2012 revient à Lyon pour une masterclass (qu'il n'avait pas pu donner en 2012) pour l’avant-première de "Sorry we missed you"