Rentrée littéraire 2019 : Le plus fou des deux ; Sophie Bassignac : un conte cruel et décalé sur la manipulation
" Alexandre Lanier est très fort à ce jeu là. Je l'ai appris depuis à mes dépens. Il venait d'évoquer mes probables fantasmes et en prime un intérêt pour sa personne qu'il jugeait équivoque. Royal dans le rapport de force, il sous entendait quoi au juste? Que j'éprouvais à son égard des sentiments qui dépassaient les limites de nos rapports professionnels.
Marionnettiste célèbre, Lucie Paugham ne se remet pas de ne pas avoir réussi à sauver son père d'un suicide qu'il avait annoncé il y a trente ans.
Alors, lorsqu'un inconnu l'aborde dans un cinéma un 31 décembre, en la mettant au défi de lui trouver une seule raison de ne pas passer à l'acte, Lucie va sentir les affres de la culpabilité remonter à la surface et va se croire obligée de veiller sur ce candidat au suicide.
Elle décide alors de l'embaucher comme voix de sa marionnette fétiche lors de son prochain spectacle, décision qui va faire s'écrouler tout son édifice professionnel et familial.
"Sans Théodora, je n'étais plus marionnettiste, sans mon mari je n'étais plus une femme sans mes enfants, je n'étais plus une mère, j'ai éteint mon portable. Sans téléphone je n'étais plus là pour personne. Je n'avais rien vu de Lisbonne mais j'étais en quelques heures devenue une machine de guerre lancée sur ma cible, Alexandre Lanier. "
"Le plus fou des deux "de Sophie Bassignac ( qui nous avait déjà séduit avec son précédent roman, "Séduire Isabelle A") est un roman étonnant, au ton singulier et déroutant, qui intrigue déjà par le métier du personnage principal, celui de marionnettiste loin ici de l'image traditionnelle du spectacle de Guignol (et évidemment loin de l'image dressée par Pierre Bachelet dans la chanson éponyme que personne (?) n'aura oublié :
05-14 Pierre Bachelet - Marionnetiste
Ici, la romancière choisit une profession qui n'a rien d'anodin puisqu'il est abondamment fait question de manipulation et de savoir en fait qui tire les ficelles dans un jeu de chat et de la souris.
Lucie, l'héroïne du roman de Sophie Bassignac, est un personnage aussi complexe que peu sympathique, dont la culpabilité et les réactions étranges suite à l'irruption de ce personnage pasolinien en diable qu'est Alexandre Lanier va l'amener dans une spirale aussi infernale qu'homérique.
Un portrait d'une femme attachante, malgré ( grâce à ) ses maladresses et ses défauts , et une description toute en finesse d'un milieu peu usité par la fiction. Un ton mi décalé, mi cruel, et une jolie découverte de cette rentrée littéraire.
"Ce qui chez elle n'est pas humain a une valeur inestimable, car c'est là que la fascination entre en jeu. Dans cet interstice où chacun se demande qui est cette apparition ni tout à fait humaine ni tout à fait objet."
Le plus fou des deux;Sophie Bassignac ( JC Lattès ; le 22 août 2019)