an40

 Avant "Histoire de J"  son avant dernier album paru en 2014 (déjà!),  je reconnais avoir eu un peu de mal à adhérer à l'univers de Jeanne Cherhal, qui est pourtant de la même famille artistique que Delerm et Biolay, deux de mes artistes cultes, car les morceaux que j'avais écouté d'elle  me semblaient trop superficiels, trop second degrès, trop conceptuel, trop minimaliste pour me toucher durablement.

Mais "Histoire de J",  merveille de raffinement, d'ambition, d'intelligence et d'audace, a tout bouleversé, tant et si bien que j'ai complètement changé d'avis depuis cinq ans sur  cette immense artiste de la scène française
En même temps ce  dernier album (Histoire de J) volait tellement haut qu'on pouvait redouter que son nouvel album l'an 40, sorti il ya un mois ne soit exactement  pas du même niveau...
C'est sans compter sur les ressources insoupsonnées de Miss Cheral capables de  nous livrer à nouveau un millésime exceptionnel  et vraiment emballant d'une artiste qui  qui sait se  réinventer tout en prolongeant un univers bien singulier.
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Si  Histoire de J. lui avait été inspiré par Véronique Sanson ou William Sheller ce dernier opus semble plus  détaché  de toute références musicales, même si l'artiste revendique la filiation évidente à  Fiona Apple, à qui elle emprunte les musiciens qui avaient travaillé sur l'album When the pawn. 
Car avec son sixième album studio, enregistré entre Paris et Los Angeles, avec l'ingénieur du son Ryan Freeland, Jeanne Cherhal aborde la quarantaine pleine de promesses et d'exaltation, loin du discours standardisé des magazines féminins ou de la morosité ambiante .
L’an 40, c’est d'après les propres mots de Jeanne, " le point d’équilibre entre ce qu’on a déjà accompli et tous les possibles."
Ainsi, dans  le titre inaugural et éponyme,  elle clame : "D’où vient cette lumière au-dessus d’elle/Et ce pas de louve caressante/Ces hanches qui roulent facile, naturelles ?" 
Mais ce seul ce titre d'ouverture est à la troisième personne, avant que le je à la manière d'une Annie Ernaux qu'elle dit adorer, ne l'emporte pour imposer sa vision  aussi universelle que singulière,  de la femme de 40 ans,

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 L'aritste nous  livre ici un disque de bonheur et de sérénité avec son audace et son énergie en bandoulière évitant évidemment les discours trop faciles ou gnan gnan .

Jeanne Cherhal se permet toutes des audaces, comme cette chorale gospel  et ces  deux batteurs américains sur plusieurs titres, comme sur le très beau  Racines d’or  au groove subtil et  au texte poignant ("Oh racines d'or je me souviens de vous/ Les cailloux, les trésors, et les gens tatoués de boue/ Oh racines d'or je me souviens de tout/ Combien d'années encore me ferez-vous tenir debout?

Ces arrangements particulièrement travaillés habillent un piano sensuel et enfiévré et des textes sensibles et d'une profondeur inouïe. 

Entre la naissance (le titre César raconte sa césarienne) et la mort, Jeanne chante surtout, dans L’An 40, le temps qui passe  et les proches qui nous quittent comme cet « Un adieu » à celui qu'on vient de nommer l'enchanteur  qui raconte avec énormément de sensibilité la cérémonie d'adieu au créateur de Tombé du ciel, manifestation pleine d'émotion célébrée au Cirque d'hiver.

 Jeanne Cherhal jongle  tout au long de l'album en toute subtilité avec les thématiques intimes et profondes comme l'illustre ce très réussi « César », pour cet enfant dont elle garde à vie la cicatrice  de la césarienne, ou « Fausse Parisienne " où tous les provinciaux exilés à Paris sauront reconnaitre ce mélange de fascination/ distance pour la capitale.

Jeanne Cherhal  est visiblement en pleine forme, ses quarante ans lui inspire un bilan pour le moins épanoui. Bref, cet « L’An 40 » (« dédié à toutes les femmes de 40 ans ») trace un sillon de dix plages d’amour et d’humour, et avec cet an 40, on peut dire que  Jeanne Cherhal nous livre une quarantaine pleine de promesses !!

 

 

Jeanne Cherhal L’an 40 (Barclay) 2019
Crédit photo Universal