"Seules les bêtes", le nouveau long métrage de Dominik Moll , que le réalisateur "d'Harry un ami qui vous veut du bien" ou du trop méséstimé "Des nouvelles de la planète Mars") a adapté du roman de Niel avec son fidèle complice Gilles Marchand, sort en salles ce mercredi.
On a beaucoup apprécié le film, dont on vous a longuement parlé ici même.
Ainsi, on a voulu rencontrer son cinéaste venu sur Lyon le 13 novembre dernier pour échanger un peu avec nous sur ce projet, qui est assurément un des meilleurs films de son auteur.
Baz'art : Comment le roman de Colin Niel est-il arrivé entre vos mains?
Dominik Moll: Ma réponse devrait vous plaire, chers lyonnais, car figurez vous qu'au départ du projet, il y a Lyon et surtout le festival Quais du Polar.
Le roman de Colin Niel avait recu un prix là bas en 2017 (NDLR: le prix 20 minutes/ quais du polar )et était alors bien mis en avant.
Je n'étais pas présent mais une amie proche était présente a acheté le livre et dès qu'elle l'a lu elle a pensé que ce roman pouvait correspondre à mon univers.
Je l’ai rapidement lu et j'ai du reconnaitre qu'elle avait entièrement raison, ce roman était tout à fait pour moi! Je n'ai pu m'empecher de le lire en songeant déjà son adaptation!
Baz'art : Et pour quelle raison avez vous cette envie immédiate de l'adapter à part pour donner raison à votre amie?
Dominik Moll (sourires) : Disons en premier lieu que Colin Niel sait rendre ses personnages si vibrants et attachants que j’avais envie de les voir en chair et en os.
Par ailleurs, j'aimais énormément la construction du récit, à savoir ces visions successives différentes d'une même situation ou d'un même fait- qui apporte un éclairage neuf sur les circonstances tragiques qu'on a au début de l'intrigue.
Alors, évidemment, cette construction rendait le travail d'adaptation pas forcément évidente puisque le roman est basé sur des récits sont à la première personne donc avec beaucoup de monologues intérieurs mais c'est aussi le genre de défis qui me plait beaucoup quand je me lance dans un film.
Baz'art : Et plus particulièrement, quelles ont été les difficultés auxquels vous avez été confrontées avec Gilles Marchand, votre fidèle co-scénariste, lors de l'exercice d'adaptation de ce roman?
Dominik Moll: Comme je vous l'ai dit, il fallait absolument conserver le dispositif présent dans le roman d'origine.
La grande difficulté de cette adaptation était donc de conserver cette structure assez ludique composée de plusieurs parties, et en distillant ces indices progressivement pour qu'on arrive peu à peu à la résolution de l'énigme.
Ce qu’il fallait, c’était correctement relancer l’histoire à chaque changement de point de vue, que le spectateur reste intéressé par le nouveau personnage qui arrive et qui fait un peu oublier le précédent..
Mais cela n'a pas été si compliqué que cela en fin de compte: on se connait suffisamment avec Gilles (il collabore sur mes films je fais de même avec les siens) pour qu'on s'interroge régulièrement sur la manière de relever ce challenge...
Baz'art : Aussi différents soient les 5 personnages principaux que l'on suit au fur et à mesure de l'histoire, ils semblent tous réunis par un même point commun : le besoin irrépréssible d’échapper à leur triste quotidien, et de s'accrocher à un idéal qui se refuse à eux, vous avez également eu cette perception là comme fil conducteur de vos personnages?
Dominik Moll: Oui, tout à fait.. chacun des personnages du roman et donc du film sont portés par une quête un peu ridicule mais estimable d'un idéal et du désir d’aimer et d’être aimé. Malgré le froid des Causses ou la chaleur d'Abidjan, ces personnages ne se résignent pas à leur misère sociale, affective, culturelle et aspirent à un autre ailleurs.
Mais évidemment, la cruauté dans le fait qu’ils se trompent tous est évidente, cela donne un aspect de comédie noire; une ironie qui rend cette noirceur à la fois terrible et jubilatoire.
Tout film noir essaie de sonder les failles, les névroses du monde qu'il décrit et c'est interessant de voir que l'agriculteur perdu au fond du Morvan ou le jeune africain qui cherche à survivre dans la frénésie d'Abidjan se rencontrent grâce à un même obscur objet du désir...
Baz'art : Quel comédien de cet épatant casting hétéroclite et complémentaire vous a semblé être de suite assez incontournable?
Dominik Moll: Denis Ménochet est venu de suite dans mon esprit, sans doute parce que la lecture du roman a coiencidé avec ma vision de "Jusqu’à la garde" que j’avais beaucoup aimé et dans lequel je le trouve exceptionnel .
Je voulais absolument qu’il joue Michel, je ne voyais aucun autre acteur, et heureusement il a autant aimé le personnage que le scénario donc a vite accepté.
Il faut voir comment il joué les scènes de chat par écran interposé, de façon vraiment jubilatoire, on voit tout ce qui se passe dans sa tête et cela transparait sur l'écran alors qu'au départ, j'avoue, ces scènes étaient celles qui faisaient le plus peur à filmer.
Baz'art : Et a contrario, quel a été le personnage le plus difficile à caster?
Dominik Moll: Le personnage de Joseph nous a posé le plus de problème pour trouver le comédien qui pouvait l'incarner.
A l’écriture avec Gilles, on s’est dit qu’il fallait trouver un moyen de le différencier de Michel parce que tous les deux sont éleveurs, cherchent l’amour et on avait imaginé un Joseph plus âgé, d’environ 60 ans
Mais comme on faisait quelques allers retours de nos version à Colin Niel l'auteur du roman celui ci nous a confié que ce n'était pas une bonne idée et qu'il fallait vraiment penser à revenir à un comédien plus jeune.
De fait, on a rencontré Damien Bonnard qui s'est vite imposé à nous, même si on ne l'avait pas encore vu autant au cinéma que cette année.
Il dégage une noirceur, une folie étrange et contenue qui colle parfaitement au personnage de Joseph. et transcendela misère affective de son personnage de façon assez inattendue !
Baz'art : Pourquoi avoir pris de vrais " brouteurs" pour les incarner, pour augmenter le coté authentique du récit?
Dominik Moll:
Il me tenait en effet particulièrement à cœur que les jeunes cyber-arnaqueurs soient interprétés par de vrais brouteurs.
Quand j’ai lu le roman je ne connaissais pas Abidjan et encore moins le milieu des brouteurs , j'en avais certainement une vision quelque peu folklorique.
C’était important pour moi de ne pas caricaturer ce monde là et ainsi de vérifier sur place si ça correspondait à une réalité, et d'aller reperer puis tourner sur place.
J'ai donc rencontré des brouteurs, des cyber arnaqueurs sur place, et de fil en aiguille j'en ai sélectionné pour mon casting. Dans le rôle d'Armand le "brouteur" qui va piéger Michel, Bibisse m’a plu dès les premiers essais grâce à son filou malin et sympathique qui permet d’être en empathie avec lui malgré le fait qu'il est en infraction avec la loi et qu'il va faire du mal un peu malgré lui.
Dominik Moll: Oui, c’est un titre qui m’a toujours plu par sa beauté très mystérieuse et d'ailleurs, je n'ai jamais voulu demander à Colin Niel son sens exact.
Mais sincèrement, ce qui me séduit le plus dans ce titre, c’est qu’il est comme le début d’une phrase auquel il manque un bout.
Pour moi, c'est pas si mal que cela de préserver la beauté de ce mystère et laisser chacun y voir sa propre interprétation ....
Même si les productrices ont cherché à modifier ce titre au moins au début du projet car ils le trouvaient trop opaque et trop proche d'un titre de documentaire, je n'ai jamais cillé la dessus, car je l'aime beaucoup, et d'après les retours que j'en ai eu les spectateurs aussi!!
Propos recueillis le 13 novembre 2019 au Cinéma Comoedia
Merci à eux et au Distributeur Haut et Court