Papa : Regis Jauffret réinvente la destinée de son paternel dans un geste littéraire touchant !
" J'imagine qu'il faisait aussi beau le jour de leur rencontre dans une bilbiothèque de la rue Montgrand qu'au moment de l'arrestation d'Alfred huit ans plus tôt. Drôle de lieu pour un premier contact quand on s'apprête à mettre au monde un écrivain. J'aurais trouvé plus romantique qu'ils se soient rencontrés dans un bal populaire et m'aient conçu pompettes la nuit mêmeau cul de la charrette d'un marchand de boisd ans une impasse sombre du Vieux Port. Tant pis. Alfred faisait souvent des réponses un peu vagues pour cacher sa surdité lorsque certains mots lui échappaient."
Il y a deux ans, totalement par hasard, le romancier Regis Jauffret regarde un documentaire sur le Régime de Vichy et tombe sur une séquence très courte- à peine 7 secondes- dans laquelle il reconnait immédiatement son propre père, qui est emmené menotté par deux agents de la Gestapo.
N'ayant jamais eu vent de cet épisode pourtant important dans la vie de son père, Régis Jauffret, qui n'avait jamais beaucoup considéré son géniteur, être effacé et peu aimant, se met à enquêter sur lui en recueillant des témoignages de son famille encore vivante ou en consultant des archives et surtout se met à avoir une image différente de son père et lui réinventer un destin plus romanesque que l'image qu'il avait de lui.
Régis Jauffret a éprouvé ainsi le désir ( le besoin?) que son père soit autre chose que ce qu’il a montré, et et c’est là tout l'objet de cette enquête qui prendra sa source dans la maison familiale de l’enfance du narrateur à Marseille.
Il faut dire qu'Alfred Jauffret était a priori un être d'une envergure assez médiocre: sourd, effacé, bipolaire, assommé par les médicaments, avare en mots et en geste d'affection : on ne peut pas dire que le portrait que l'auteur de "Micro-Fictions" fait de son père avant qu'il ne découvre ces images modifiant sa perpection de lui soit des plus flatteuses.
Et c'est grâce à ce roman, et donc à la littérature que Jauffret, par petites touches non dépourvues d'humour mais complètement délestées de pathos et de sentimentalisme, repart à la rencontre de son géniteur et lui offre une seconde chance et parvient in fine à utiliser ce mot qu'il n'avait jamais osé pour parler de lui: ce "papa" dont le titre du roman est totalement légitime.
Plus intime et touchante qu'à l'accoutumée, la plume, toujours épurée et à l'os de Jauffret réussit son challenge. La littérature comme seconde chance pour redorer l'image d'un être a priori sans histoire: le défi était de taille sur le papier et Jauffret le réussit haut la main !
"Papa", Régis Jauffret, Editions du Seuil ( janvier 2020 )
NB : Régis Jauffret viendra présenter son livre Papa dans le cadre de la Fête du livre de Bron la semaine prochaine lors d'un gand entretien / Vendredi 14 à 16h, salle des Parieurs.
Sans pathos, et avec des pointes d’humour bienvenues, Regis Jauffret redonne vie à son père et lui réinvente en quelque sorte une nouvelle destinée. La littérature comme possibilité de donner une 2nde chance à un être a priori médiocre et sans histoire, quel bien beau challenge! pic.twitter.com/ha2ePMIaeZ
— Baz'art (@blog_bazart) February 6, 2020