"J’ai grandi dans ce qu’on appelle la folie, ce mal étrange dont a toujours souffert mon père. La folie, c’était ma normalité. L’histoire de ce film vient de la prise de conscience de cette frontière entre la normalité et la folie, que j’ai peu à peu appréhendée en grandissant. Ce moment où, gamine, je me suis aperçue que les choses n’étaient pas si normales que ça. Il y a donc au départ mon vécu personnel."
Vero Cratzborn ne s'en cache pas: pour son premier long métrage, cette jeune cinéaste belge, issue de la FEMIS, a puisé dans un récit énormément autobiographique pour écrire le scénario de La forêt de mon père, qui sort en salles le 8 juillet prochain.
Car on imagine bien que Gina, la jeune adolescente qui est l'héroïne de son premier long métrage, c'est forcément Vero Cratzborn en personne.
C'est elle, au moment où elle a pris conscience que ce père un peu hors norme qu'elle idolatrait jusque là, a passé le cap déclencheur de sa folie et a commencé à être considéré par la société comme une personne atteinte d'une maladie grave qu'on a trop tendance à mettre sous le terme de "folie", notion trop large et trop connotée.
Les dérapages de plus en plus fréquents de Jimmy , le père de Gina, joué par un étonnant Alban Lenoir, bien loin de ses rôles de gros bras qu'on peut voir actuellement notamment dans "Balle Perdue" sur Netflix, pousseront sa femme à s'inquiéter de plus en plus sous le regard mi anxieux mi amusé de sa progéniture.
L'adolescence est souvent le moment où les parents tombent du piédestal sur lequels les enfants les ont placé, et cela donne souvent de beaux films comme récemment "Les Eblouis" ou "Au nom de la terre", où à chaque fois, un jeune assistait impuissant à la chute d'un ou des deux de ses parents.
Cela est d'autant plus frappant ici quand le père que Gina pourrait voir comme un héros qui s'affranchit des conventions et des règles sociétales va finir interné et assommé par les médicaments.
C'est ce basculement du regard que Vero Cratzborn montre avec beaucoup de finesse et de subtilité, avec des scènes souvent très émouvantes, qui sentent la sincérité et le vécu.
Alors certes, la mise en scène de Vero Cratzborn semble parfois un peu timide, parfois un peu fonctionnelle, mais l'essentiel est ailleurs.
Il l'est ans cette direction d'acteurs assez éblouissante- outre Alban Lenoir, Ludivine Sagnier dans le rôle de la mère au bout du rouleau est parfaite alors que la jeune Léonie Souchaud porte tout le film sur ses frèles épaules avec un naturel confondant- mais aussi (surtout?) dans ce talent d’écriture évident qui dévoile des qualités de rigueur et de pudeur indéniables.
Comment vivre avec un membre de la famille ayant des troubles mentaux évidents?
Sans schématiser ni verser dans le film à thèse, "La forêt de mon père"- on notera la double lecture du titre, car la forêt fait référence à la folie qui enferme l'esprit du père mais aussi à celle, littérale, qui borde la maison des parents et qui va se montrer aussi effrayante que protectrice - répond à cette problématique délicate avec des trésors d'humanité et de sobriété bienvenues.
LA FORÊT DE MON PÈRE- un film de Vero Cratzborn
avec Ludivine Sagnier, Léonie Souchaud et Alban Lenoir
à voir au cinéma le 8 juillet 2020.