Baz'art  : Des films, des livres...
1 septembre 2020

Rencontre cinéma : Interview d'Anne Fontaine, pour son film Police, au ciné le 2 septembre

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 Le cinquième roman de Hugo Boris  a été adapté  pour le grand écran par Anne Fontaine qui après 18 films, s'essaie à un genre inhabituel pour elle : le film policier. 

 Police est un très beau film,  avec Virginie Efira et Omar Sy en têtes d’affiche. Il sort dès demain dans un certain nombre de salles hexagonales. 

Voir notre chronique  du film publiée il y a déjà plusieurs semaines. 

On avait- juste avant le confinement- (c'est pour cela qu'on ne mentionne pas cet aspect là dans l'interview) rencontré sa cinéaste, la très talentueuse et très classe Anne Fontaine ...

Voici le compte rendu de notre échange avec la réalisatrice :  

itw Anne fontaine

Baz'art : Quel est l'élément déclencheur qui vous a poussé à adapter le roman d'Hugo Boris?

Anne Fontaine : Je pense que c'est le personnage de Virginie, et à travers elle, cette idée que la fragilité amène à se poser des questions différentes.

Quand j'ai lu le roman d'Hugo Boris pour la première fois, j'ai été très touchée par cette femme qui doit obéir à des règles  parfois un peu absurdes et qui va peu à peu vaciller. 

Cette thématique me semblait assez proche de celles qui m'intéressent en général.

 Il y avait aussi dans le roman des personnages très forts, dans leurs personnalités comme dans leurs trajectoires.

 Quand j'ai lu ce livre, la première phrase qui m'est venu à l'esprit c'est "c'est un peu Bergman chez les policiers" et ce mélange entre deux pôles a priori bien antimoniques, le film de genre policier et l'aspect très psychologique, presque métaphysique même, est un défi qui m'a vraiment excité .

J'ai rapidement senti que cela valait le coup d’en faire un film.

 Baz'art :  Justement, c'est bien cet aspect-là des choses qui a motivé votre envie d'adapter le livre? Le fait que l'action soit reléguée au second plan et que c'est l'intime et le métaphysique qui emportent le morceau, n'est-ce pas? 

Anne Fontaine : Oui tout à fait.  Sincèrement, le film policier classique, drainant son lot d'actions et d'adrénaline, je ne pense pas être tout à fait apte à le faire (sourires). 

Ici, on n'est pas vraiment dans le film policier mais bien plus dans une sorte de thriller métaphysique.

C'est évidemment cet aspect existentiel qui m'a interessé dans le projet et surtout aussi le fait d'essayer de deviner, ce que nous spectateurs, on ferait si on était dans leur situation.

 Derrière leur visage, et derrière leurs uniformes, on imagine facilement tous leurs combats intérieurs.

 J'avais un peu à gérer cette problématique-là dans un de mes films précédents "Les Innocentes" (voir notre chronique du film). 

L'uniforme était certes différent puisqu'on était chez des bonnes sœurs mais il y avait à peu près la même idée de la hiérarchie, de l'obéissance et surtout de la désobéissance.

DSC_4394 POLICE© F comme Film Ciné@ Thibault Grabherr

Baz'art :  Dans ce film, vous jouez beaucoup avec les non-dits,  les regards, les gestes, et forcément beaucoup moins sur les dialogues. Est-ce que cela est plus difficile à mettre en scène ce genre de film qu'un long métrage plus bavard?

Anne Fontaine :  Plus difficile, je ne sais pas. Disons qu'il ne faut pas se tromper et en premier lieu ne pas se tromper sur le choix des acteurs. 

Prenez le comédien Payman Moaadi qui joue le réfugié tadjik; c'est du reste un acteur très important en Iran,que j'avais découvert dans le film "La Séparation" d'Asghar Farhadi. Ici, il joue un personnage qui ne parle pas un mot de français, il faut qu'il s'appuie sur d'autres armes que le langage, et développer une ambiguïté, une intensité.

Même si on va le diriger, il faut que l'acteur ait en lui cette capacité d'exprimer cette humanité de manière forte. 

Le cinéma est justement un médium qui nous permet de sonder la complexité d'un visage. 

Souvent,  ne rien dire est bien plus fort que dire un truc banal qui va arrêter la pensée.

J'ai voulu faire ce film comme un voyage initiatique, un cheminement intérieur dans l'esprit de professionnels qui vont aller sur un terrain inédit, par rapport à tout ce qu'on leur a enseigné.

En faisant une chose qui est du domaine de la transgression- ouvrir le dossier d'un réfugié qu'elle doit simplement transporter- le personnage de Virginie va inciter les autres à se poser d'importantes questions de conscience morale.

Donc, comme vous le dites, il était nécessaire que les regards et les gestes prennent plus d'importance que le verbe.

190207-1344 POLICE© F comme Film Ciné@ Thibault Grabherr

Baz'art :  La fragilité du personnage de Virginie est peut être accentuée par le fait qu'elle vient d'apprendre sa grossesse. On peut supposer que si elle n'avait pas été dans cet état émotionnel-là, elle n'aurait pas pris cette décision, non?

 Anne Fontaine :   Oui, tout à fait. Il y a en elle quelque chose de fragilisé par cette situation.   

 Elle doit avorter le lendemain de ce collègue dont elle est tombée enceinte alors  même qu'elle est en couple avec un autre.

Bref, tout cela est extrêmement fragilisant pour elle, c'est indéniable.  Il y a paradoxalement en elle une plus grande vulnérabilité et une plus grande liberté dans ces faits et gestes. 

 Si cette situation professionnelle s'était posée deux jours avant, on peut parier qu'elle n'aurait pas réagi pareil ou en tout cas, elle n'aurait pas été sensible de la même façon.

annefontaine

Baz'art :  Par rapport à vos choix de casting, dans quel ordre le trio de comédiens a-t-il été choisi? 

 Anne Fontaine : Dans l’ordre, c'est Virginie (Effira) qui a été choisie en premier.  Comme c'est le personnage clé qui m'a amené à adapter ce roman, c'était assez logique que je trouve rapidement qui pouvait l'incarner.

Pour moi , Virginie m'a semblé très rapidement assez évidente dans ce rôle de policière en pleine crise existentielle.

Elle porte en elle quelque chose de populaire, de solaire, et en même temps une finesse de jeu incroyable.

Presque en même temps, Grégory Gadebois s'est imposé à moi. Pour moi c'est un comédien exceptionnel avec qui j'avais déjà travaillé sur le film  "Marvin".

Il a en lui une humanité qui confine, pour moi au génie,  n'ayons pas peur des mots (rires). J'ai été épaté par ce qu'il a proposé comme palette de jeu sur ce rôle .

Omar ( Sy); quant à lui, il est arrivé à moi un peu plus par hasard, si j'ose dire. 

On a été présentés dans un premier temps sans qu'il soit question du film. A cette occasion,  alors qu'on a parlé de tout sauf de cinéma- j'ai parlé de mon enfance au Portugal, lui de la sienne au Sénégal- j'ai vu en lui une douceur et une fragilité qui m'intéressait beaucoup pour ce rôle.

C'est vrai qu'on a l'habitude de le voir dans des rôles où il rit très fort, il est souvent quelqu'un de très exacerbé.

Là je lui demandais un peu l'exact contraire. J'ai exigé de lui qu'il ne sourit presque jamais. Il a eu certes un peu de mal au début puis ensuite, il m'a fait confiance.

Je trouve qu'il démontre une facette de son jeu que je n'avais pas forcément vu avant avec d'autres metteurs en scène.

190207-673 POLICE© F comme Film Ciné@ Thibault Grabherr

 Baz'art : La structure narrative du film, en trois chapitres bien distincts, mettant en avant chacun des personnages du trio, n'était pas dans le livre d'Hugo Boris. Pourquoi un tel parti pris d'adaptation?

 Anne Fontaine Disons que j'ai trouvé que cette construction en mosaïque, qui n'était en effet pas présente dans le roman original, créait une intimité intéressante. 

Avant d'entrer dans ce voyage qui les réuni, je trouvais cela pas mal de voir chacun  des trois protagonistes de façon un peu  plus intime. 

C'était une façon assez ludique de s'approprier leur emploi du temps.

Par ailleurs, le fait de pouvoir faire le flou sur un seul personnage  et le remettre ensuite en relief, de morceler une action était une façon de parler à la fois de leur métier et de leurs problématiques personnelles.

On sait ainsi que lorsqu'ils rentrent dans cette voiture ils sont chacun chargés de problèmes particulièrement complexes.

 Ce parti pris ne m'est pas forcément venu dans la seconde, mais en travaillant dessus il m'a semblé pertinent d'éviter les flash backs qui étaient présents dans le livre et qui au cinéma aurait alourdi l'intrigue.

  Sans la spoiler, j'ai modifié aussi beaucoup la fin du film qui ne me semblait pas possible en l'état pour une femme metteure en scène. Il y avait un coté "retour à l'ordre moral"  qui me paraissait bien décevant par rapport au cheminement qu'on venait de voir avant.

Et d'ailleurs, même l'auteur a trouvé ma fin meilleure que la sienne, ce que je crois en toute modestie (rires).

Police - Hugo Boris - Pocket - Poche - Le Hall du Livre NANCY

Baz'art :  Justement, en parlant de l'auteur, Hugo Boris, il n'est pas intervenu du tout dans le travail d'écriture du scénario?

 Anne Fontaine : Non, Hugo n'a pas collaboré du tout dans le processus d'écriture. Il a juste vu le film une fois terminé.

Vous savez, il connaissait bien mon cinéma, donc je pense qu'il avait pleinement confiance en ce que je pouvais faire avec son histoire.

J'ai tendance à penser qu'adapter, c’est porter un autre regard sur le roman, et non pas s’appliquer à simplement le retranscrire.

Donc, forcément, d’une certaine manière, c’est être infidèle et trahir.

Si on travaille trop avec l'écrivain, je considère qu'il va plus freiner qu'autre chose notre processus créatif, j'ai eu d'ailleurs quelques expériences dans ce domaine, je sais de quoi je parle (sourires).

Bref, à  mes yeux,  c’est une bonne chose que l’auteur de l’œuvre originale ne soit pas impliqué dans le processus d’adaptation.

 Baz'art :  Je trouve d'ailleurs que vos partis pris d'adaptation sont particulièrement judicieux. Par rapport au roman, il me semble que vous avez épaissi la psychologie de certains personnages. Je pense à celui d'Aristide joué par Omar Sy, qui m'avait semblé un peu superficiel, pas très finaud, dans le livre. Cela, j'imagine, est à porter au crédit de votre écriture et sans doute aussi au jeu d'Omar Sy qui lui redonne une belle humanité dans votre film, non?

 Anne Fontaine :  Merci, je dois vous avouer que je suis  tout à fait d'accord avec vous (rires).

Le personnage dans le livre était assez lourd, trop stéréotypé et trop conforme à l'image qu'on a d'un policier un peu "plouc".

Le personnage est tout le long du roman, bien  trop superficiel .

Je ne pouvais décemment pas le laisser en l'état dans le scénario. J'ai ainsi cherché à conserver cet aspect superficiel au début de l'intrigue pour tenter de l'amener dans quelque chose de plus profond.  

Quand il dit qu'il "a du vent dans sa tête et qu'il ne pense parfois à rien", je trouve que c'est une phrase qui, paradoxalement, lui donne de l'humanité et de l'humilité.

Et en effet, comme vous dites, Omar apporte à ce personnage quelque chose d'assez sensuel, d'assez émouvant.

Le réfugié dans la voiture, ça aurait pu être lui dans une autre vie, dans un autre destin, on voit qu'il a cette idée dans un coin de la tête quand il est avec lui dans la voiture.  

190207-1893 POLICE© F comme Film Ciné@ Thibault Grabherr

Baz'art :  Vous y amenez également une dimension plus onirique, presque surnaturelle qui n'est pas forcément prégnante dans le roman, non? 

  Anne Fontaine : Oui, en effet,  par rapport au roman d'Hugo Boris , j'ai voulu amener un peu d'onirisme- avec ce cheval notamment que le personnage joué par Grégory Gadebois voit dans le centre de rétention ou cette scène finale à la mer, amène en effet, une dimension presque  surnaturelle 

Dans l'absolu, j'ai cherché, avec Yaves Angelo, mon chef opérateur pour ce film une grande styalisation qui transcende avec un naturalisme qui pourrait sembler trop évident dans une enquête policière.

 C'est un peu pareil pour la musique, avec ces notes de Bach qui viennent surprendre le spectateur, je voulais éviter une musique de tension qu'on entend trop souvent dans les films policiers et qui pléonasme la question.

Bref, voici un peu ce qui a guidé mes choix de mise en scène dans l'adaptation du roman.

Baz'art : L’histoire est concentrée sur un temps précis, sur 24 heures.  Est-ce particulièrement compliqué de travailler sur une unité de temps comme celle-ci?

 Anne Fontaine : Oui bien sûr, il faut savoir au départ qu'être dans une voiture pendant plus de 45 minutes de film, c'est  quand même une gageure pas possible (rires).

Le huis clos dans une voiture est un vrai défi, mais c'est aussi cela qui est stimulant. Les scènes dans la voiture sont filmées en studio, ce qui permettait de faire des plans variés.

Cela m'a aussi donné l'opportunité de réaliser un travail sur la lumière plus intéressant afin de rendre les visages des comédiens certainement plus complexes que si j'avais travaillé avec une lumière naturelle.

Pour préparer  ces scènes là,  j'ai aussi dû faire plusieurs jours de nuit sur les autoroutes, plus de dix, je m'en souviens très  bien, ce n'est pas forcément le souvenir le plus agréable du tournage (sourires)...

Filmer en studio permettait de travailler avec pas mal de précision sur les non-dits ainsi que sur ce travail sur la pensée intérieure des personnages dont on discutait tout à l'heure et je pense que c'est vraiment cela qui m'a semblé essentiel dans mon approche globale autour de ce film.    

  Interview avec la cinéaste Anne Fontaine réalisé le 12 mars 2020 - Merci au cinéma le Comoedia et à Studio Canal 

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