Baz'art  : Des films, des livres...
21 septembre 2020

Rencontre avec Emmanuel Mouret, cinéaste subtil et délicat

 Le jeudi 10 septembre dernier, une semaine avant  la sortie de son film en salles, on a  eu la chance avec deux autres comparses des médias lyonnais d'interroger le cinéaste Emmanuel Mouret  venu présenter son nouveau film Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait - voir notre chronique ici même . 

Un film qu'on peut actuellement admirer en salles et qui marche plutôt pas mal vu le contexte ambiant. 

Voici des extraits de notre passionnant échange avec ce cinéaste dont l'amour pour un cinéma de mots et des questions sentimentales de grande importance ne peuvent que nous toucher :

 

Mouret rencontre

Pourquoi cette obsession pour les histoires d'amour ?

"Personnellement, les films qui m'ont toujours le plus passionné sont ceux qui passent l'épreuve du temps et qui racontent des histoires à forte densité romanesque.

Alors sans doute que comme les films de Rohmer, de Woody Allen d'Ernst Lubitsh, des cinéastes qui m'ont marqué et auxquels on a souvent tendance à me raccrocher,  j'ai une obsession qui est celle de la fluctuation des sentiments, un thème qui a obsédé ces cinéastes et d'autres avant moi.

Depuis l'Antiquité j'ai le sentiment que les histoires d'amour sont une façon de créer une sorte de suspens autour du désir et de poser des questions qui sondent notre rapport à la morale, à ce qui nous semble mal ou bien.

Le cinéma, art de l'attente et du suspens, me parait le plus approprié pour interroger ces questions là.

Pour vous, les films romanesques tiennent mieux la distance du temps que les  films à visée plus sociale ou politique?

 "Certainement, les films plus anciens que nous voyons et aimons aujourd’hui sont ceux qui ont résisté à la bien-pensance qu’inflige chaque époque.

 J'ai a contrario le sentiment d’un souci chez un certain nombre de cinéastes qu’un film, aujourd’hui, se doit de traiter d’un sujet d’actualité, de délivrer, en priorité, un message clair sur notre société. 

 Comme si le cinéma et la fiction étaient devenus des médias d’information plutôt que des médiums pour raconter des histoires qui font pleurer ou qui font douter.

En cela, je m'inscris un peu en faux, c'est sans doute pour cela qu'on me classe parfois parmi les cinéastes un peu à part dans le cinéma actuel, même si je cherche aussi à décrire notre époque et à ne pas être complètement déconnecté de notre monde actuel." 

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Et pourquoi au dela de tout c'est la question du désir qui vous passionne?

On dit souvent qu’une histoire, c’est quelqu’un qui a un désir et qui rencontre un obstacle.

Pour ma part, j'aurais tendance à penser  que pour qu’il y ait une histoire intéressante, il faut qu’un personnage ait deux désirs inconciliables. 

Et c’est pour cela que certaines histoires d’amours deviennent passionnantes, parce qu’il y a deux désirs qui ne peuvent se concilier, comme par exemple, dans ce film, désirer le cousin de son compagnon et désirer être quelqu’un de bien.

La violence intérieure me semble beaucoup plus intense que la violence extérieure, dans les films sentimentaux tout comme dans les films mettant en scène des criminels : les moments les plus tragiques seront ceux où le héros, bien que meurtrier par profession, sera confronté à un conflit de désirs inaccordables, généralement l’attachement familial,  amoureux, amical et le devoir du groupe auquel il appartient.

Le souci de l’autre, c’est ce qui rend notre relation au monde aussi belle que cruelle et complexe.

Un personnage qui doit lutter contre lui-même, contre la violence de ses désirs, et qui se voit contraint par ses pulsions et désirs, voilà vraiment ce qui me passionne .

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Pourquoi cette construction particulière qui entremêle les récits?

 J’avais envie d’une fresque sentimentale où des histoires légères et des histoires plus graves pouvaient cohabiter, et je voulais que l’ensemble débouche sur une fin qui, dans un certain sens, les englobe toutes en les faisant résonner.

J'avais très envie d'écrire un film avec une multplicité de récits, avec de façon implicite cette idée que l'ensemble de ces histoires peuvent en créer encore d'autres. 

Cette structure en forme d’entonnoir où les différents récits se condensent soudainement en un seul était vraiment le point de départ du projet. Alors que les séries actuelles  développent leur narration sur des heures de fiction, mon film avait cette ambition en deux heures de raconter un entrelas d'histoires, et de champs des possibles. 

Quand deux personnes se rencontrent,  souvent ils se racontent mutuellement des histoires qui leur sont respectivement arrivées, et le récit de ces histoires peut créer de nouvelles histoires, c'est ce que j'ai voulu montrer à travers ce dispositif..

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Un film comme une ode à notre inconstance?

"L'idée du film c'est quand même de confronter les actes des  personnage à  ses paroles  : fera-t-il ce qu’il a dit ? est-il vraiment celui qu’il prétend être ?

Le suspense au cinéma peut aussi être créé par la parole et c’est au spectateur de s’amuser à mesurer l’écart entre celle-ci et les actions qui suivront. La psychologie ne m’intéresse pas beaucoup au cinéma, parce qu’elle cherche à synthétiser, à expliquer, à réduire un personnage à une définition.

La vertu du cinéma est d’observer le monde dans sa complexité et les personnages dans leurs contradictions. Il faut également entendre ce titre avec un sourire aux lèvres, une tendre ironie dans l’œil. C'est en cela que j'ai voulu que Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait soit une ode à notre inconstance.

À une époque où nous sommes constamment, sévèrement, appelés à être cohérents, à mettre en rapport nos paroles et nos actes, je prends le parti de la douceur et de l’indulgence plutôt que celui de l’accusation.

Ce n’est pas une position idéologique, c’est mon tempérament, et je dois avouer que je me contredis si souvent que je n’oserais en faire le reproche à mes semblables."

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Votre cinéma est très lettré, très littéraire, c'est quelque chose que vous assumez?

"Non, pas vraiment... A mes yeux, mon gout pour le romanesque vient  avant tout largement de la cinéphilie et assurément pas de la littérature. Ce ne sont pas vraiment les romans qui inspirent mes films.

J'avais adapté Diderot pour Mademoiselle de Jonquières , mais plus le philosophe  et l'essayiste que le romancier .

Ici, Diderot et Jacques le Fataliste m'ont encore inspiré, avec cette idée de specticisme joyeux qui me tient particulièrement à coeur. L'inconstance revendiquée également chez Montaigne me parle aussi beaucoup, tous ceux qui font l'éloge de l'inconstance et du doute, et il se trouve que dans le mone actuel où une grande majorité a tendance à clamer haut et fort ses convictions sans le moindre doute, cet éloge de la douceur et de l'inconstance continue à me parler énormément. "

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Niels Schneider dans un rôle à contre emploi?

La prestation de Niels fut une surprise pour moi  qui m'étonne encore aujourd'hui  car  c’était loin d’être une évidence, c'est ma directrice de casting qui a insisté comme pour Camélia Jordana d'ailleurs .

Initialement, je pensais que ce n’était pas un rôle pour lui, qu’il était trop beau, qu’il avait trop de prestance et d’assurance.

Mais il a fallu une seule lecture pour que je découvre l’ampleur de ses talents d’interprète.

Plus tard, il m’a avoué que ce rôle lui collait à la peau et que cette timidité et cette réserve correspondent davantage à ce qu’il est personnellement." 

 Pourquoi ce  choix musical composé de grands morceaux classiques?

"Une musique entièrement composée pour  le  film  aurait  eu du  mal à  suivre la  diversité des personnages. On  a  donc passé énormément de temps avec les choix musicaux, puis avec la  musique au montage. 

La musique permet une sorte d’accélération émotionnelle, c’est comme une voix off purement sentimentale. 

 Toutes ces musiques différentes, Purcell, Mozart, Chopin, Tchaïkovski, Poulenc, Satie, cohabitent pour donner à ressentir la variété des sentiments."

 

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