Petit focus en ce vendredi lecture sur trois romans français de jeunes auteurs, dont c'est le premier ou second roman.
Des récits souvent très autobiographiques qui dénotent une sensibilité et une justesse évidente :
1/ Le fumoir, Marius Jauffret ( Editions Anne Carrière)
" La vie, même merdique et sans saveur, ne veut plus de moi. Je dois peut-être me rendre à l’évidence : le destin existe et il est face à moi."
Chaque année en France près de 100 000 000 personnes sont hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement.
C’est cette terrible expérience de privation de liberté que raconte Marius Jauffret, fils du grand romancier français Régis Jauffret qui et nous raconte comment son alcoolisme incontrolable l'a jour conduit aux urgences de Saint Anne par son frère qui ne pouvait plus rester sans agir.
.Le voici prisonnier, isolé, dans ce huis clos totalement marge de la société.
Car être enfermé dans une structure psychiatrique sans date de sortie est une expérience assez traumatisante que Jauffret raconte de façon crue mais avec une sincérité et un certain humour désarmants .
Marius Jauffret n'élude rien ni le doute, la peur, les rencontres cocasses, tristes, ou tendres et aussi l'après.
Réflexion profonde sur la question de l'hospitalisation à la demande d'un tiers, ce vol au dessus d’un nid de coucou. version 2020 n'est sans doute pas la lecture idéale d'apres confinement mais il touche évidemment par cette mise à nu littéraire dont on ressent énormément le pouvoir cathartique évident.
Le Fumoir, en librairie le 4 septembre 2020.
2/Quitter Madrid ; Sarah Manigne ( Mercure de France)
"Après Sainte Lucie, il y avait eu une sainte Dorothée, une sainte Catherine d'Alexandrie, une sainte Agnès ou encore une sainte Mathilde. Certaines étaient de Zurbaran,, d'autres de son atelier ou tout simplement de disciples. Les propriétaires ou vendeurs souhaitaient dans un premier temps obtenir un constat d'état et l'ouverture d'un dossier scientifique étapyé par de multiples photographies et constatations ainsi que des clichés en rayonnement infrarouge et en rayons X."
Alice, jeune trentenaire, restauratrice de tableau de profession, est envoyée à Madrid pour tenter de rendre tout son éclat à une peinture de sainte peinte par Franciso de Zurbaran, illustre peintre religieux du 17e siècle dont elle est la gande spécialiste.
On est en 2004, année des tragiques attentats de Madrid à la gare d'Atocha et Alice se trouve justement être dans un des trains victimes des attentats.
Indemne physiquement, Alice va se retrouver totalement ébranlée émotionnellement et remettre en question toute la beauté et le spirituel dont elle était imprégnée grâce à son amour pour l'art.
Remettant tout en question, Alice va tenter de sortir de ce traumatisme et cela passe par son départ de la capitale espagnole.
C'est ce chemin de croix que décrit avec sobriété et pudeur Sarah Manigne dans un court et beau récit qui sonde la représentation de la souffrance dans l'art et qui interroge la dimension catharistique de la peinture dans une tragédie.
Un roman érudit, très documenté sur la question- comme Caroles Thives dont le dernier roman nous a récemment ému, l'auteure connait bien le monde de l'art
Récit d'une résilience artistique singulière et touchante, "Quitter Madrid" est le second roman de Sarah Manigne, justement sélectionné pour la première liste du Prix Fémina.
3/ Le Monde du vivant, Florent Marchet ( Stock)
"En perdant sa ferme, Patureau perdait son identité et éteignait une longue lignée d'agriculteurs. Il avait prévenu ce jour-là à la chasse : il fallait que ça cesse, sinon ils allaient bien voir."
Jérôe , ancien ingénieur à Orléans décide de se reconvertir en agriculteur et s'installe avec Marion son épouse et leurs deux enfants dans la ferme qu'il ont acheté.
Solène, qui passe le brevet en fin d'année n'en peut plus de cette vie d'autant plus qu'elle est de plus en plus sollicitée pour remplacer sa mère dans les champs.
Auteur, de plusieurs albums, dont le formidable Courchevel en 2010 , Florent Marchet s'est révélé l'une des plumes les plus attachantes de ce qu'on avait appellé "la nouvelle vague de la chanson française" apparue dans les années 2000 qui n'a pas forcément la reconnaissance qu'il mérite.
Berrichon exilé dans la capitale, Marchet s'essaie en cette rentrée littéraire au roman et cela lui réussit vraiment bien affichant une même qualité de plume que dans ses chansons.
En nous racontant la vie d'une famille à la campagne, suite à la reconversion d'un ancien ingénieur agronome qui a quitté la ville, c'est une jolie plongée dans un monde rural aussi impirtoyable que bienveillant qui nous est proposé,
Le projet professionnel de Jérome et ses rapports compliqués avec ses enfants fait un un peu penser au film au nom de la terre d'Edouard Bergeron mais en moins sombre et plus militant.
On sent que Florent Marchet est très partisan d'une industrie engagée en faveur de l'environnement mais ne nous asseène pas son discours à la truelle à travers cette génération d'agriculteurs qui essaie d'être plus productif et plus responsable du monde qui l'entoure .
Un bien bel hommage rendu par Florent Marchet à sa terre natale et au monde des paysans d'où il vient.
Stock (La Bleue) – 288 pages ; Parution le 19 août 2020
L'excellent auteur compositeur @FlorentMarchet fait une entrée remarquée en littérature avec Le Monde des vivants, en rendant un bel hommage à sa terre natale, le Berry, et au monde des paysans @EditionsStock pic.twitter.com/U2TrLLEYlP
— Baz'art (@blog_bazart) September 7, 2020