ENTRETIEN AVEC CHARLENE FAVIER, RÉALISATRICE DE SLALOM
Son film Slalom doit (enfin normalement, si la date du 15 décembre pour la réouverture des salles n'est pas prochainement remise en cause) mercredi prochain et c'est une vraie joie tant il nous a enthousiasmé..
On avait rencontré juste avant le second confinement Chalène FAVIER, sa réalisatrice à Lyon et elle nous avait longuement parlé de son film et du sujet des violences sexuelles dans le milieu du sport :
Baz'art : Bonjour Charlène.. Ma première question concerne la pression que vous avez pu ressentir pour un premier long métrage avec ce sujet casse gueule et des acteurs qui ont finalement plus de métier que vous, elle est pas trop dure à encaisser ?
Charlène Favier : Non, ca va, merci de vous en inquiéter ( rires)... Certes, c'est un premier long, mais j'ai quand même réalisé cinq courts métrages auparavant. Je travaille toujours avec la même équipe, des amis avec qui j'ai l'habitude de travailler, donc là, on avait plus le sentiment de faire un comme mes courts, mais en plus long (rires).
Les thématiques qui sont présentes dans le film, ces histoires autour d'une résilience d'une jeune héroïne, je les remue depuis un certain temps déjà...
Slalom, c'est pour moi la poursuite d'un travail engagé depuis plusieurs années, ce n'est pas comme si je me lançais dans une aventure pareille sans aucune expérience!
Concernant les acteurs, Jérémie a certes énormément de bouteille mais Ava reste une jeune actrice qui n'est vraiment dans le métier que depuis 2017 et "Ava."
Depuis elle a fait quelques petites choses comme un rôle dans le Grand Bain ou Mes jours de Gloire, mais on ne peut pas dire quand même qu'elle a plus de métier que moi (rires).
Baz'art : Vous avez une histoire commune toutes les deux, car vous avez travaillé sur un court métrage ensemble non?
Charlène Favier : Oui tout à fait, on déjà tourné ensemble le court-métrage Odol Gorri, un film qui a eu un petit écho car il a notamment été nominé aux Césars en 2020.
Ce court, je l’avais écrit pendant l’écriture de Slalom, qui durait depuis 2014.
J'étais un peu fatiguée que cette expérience du long prenne autant de temps, pour X raisons et j'avais envie de me confronter à nouveau à un court et de tourner quelques séquences présentes dans le long, comme celle du viol. Réaliser Odol Gorri m’a permis de comprendre ce que je voulais mettre en scène.
J'ai donc rencontré Noée sur ce court métrage, on a eu un coup de foudre professionnel toutes les deux, elle a tout de suite compris les enjeux de ce court-métrage. On avait envie de porter le même message, elle s’est donc imposée pour le long.
Réaliser ce court-métrage vous a aidé sur le plan de la mise en scène. Est ce qu'il vous a également permis de le défendre plus facilement auprès des financeurs et partenaires associés au projet vu que les thématiques et la manière de les filmer étaient assez proches ?
Charlène Favier : Pas vraiment en fait, Slalom est un film qui a été très peu financé, il faut bien le dire (rires).
L'avance sur recettes, Rhone alpes cinéma et Ciné Plus sont les gros financeurs, mais à part cela on a eu peanuts c'est un tout petit budget, un million d'euros en cinq semaines, ce n’est franchement pas grand-chose vous vous en doutez.
Odol Gorri dérangeait pas mal en fait, même plus que le long, car il était davantage équivoque et ambigu.
À la fin de ce court, Eva, le personnage jouée par , Noée Abita est tellement esseulée qu’elle décide de rester avec celui qu’on pourrait appeler “son bourreau » car, à ce moment-là, lui seul lui offre de la liberté.
Vous imaginez bien qu'on est totalement hors la morale, mais j'aime cela en fait faire des choses qui balayent la morale, filmer des sentiments contradictoires, des pulsions.
Les gens ont commencé à vraiment s'emparer d'Odol Gorri qui a fait quelques festivals à partir du moment où j'ai pu faire le long, on ne peut donc pas dire qu'il m'ait beaucoup servi de carte de visite (sourires).
Après au niveau de la mise en scène, oui cela m'a quand même permis de prouver que j'avais les épaules pour tourner certaines séquences bien difficiles comme les scènes de relations sexuelles..
Mais comment vous expliquez cette telle frilosité de la part des financeurs?
Charlène Favier : Mais parce que le sujet faisait tellement peur, il faut savoir que j'ai écrit le film bien avant #Metoo, et ce sujet-là n'intéressait personne à l'époque.
Lorsque j'ai commencé à écrire le scénario et en parler autour de moi, j'ai entendu des trucs comme : “C’est trop subtil”. Ou encore : “Tu devrais faire un film beaucoup plus manichéen, un film à charge”. Ou bien encore un truc du style : “Les films de sport, ça ne marche pas…”
Bref j'ai senti que personne n’avait très envie d’aller sur ce terrain.
Sauf qu' entre l'écriture du scénario et le tournage les choses ont énormément changé, n'est-ce pas?
Charlène Favier : Totalement, juste après qu'on ait fini de tourner Slalom, est paru le témoignage de Sarah Abitbol, patineuse professionnelle qui a avoué avoir été violée par son entraîneur à l’âge de 15 ans
Juste après, on a eu le film autobiographique Les Chatouilles, d’Andréa Bescond qui raconte également une histoire d'attouchement sexuel quand elle était petite et comment la danse a permis de lui apporter la faculté de résilience nécessaire…
J’ai commencé alors à me renseigner. Ça a été par la lecture, d’abord, du livre d’Isabelle Demongeot, Service volé, qui est édifiant. Puis, j’ai épluché des journaux locaux, des plaintes déposées auprès d’entraîneurs et complètement cachées, étouffées….
J’ai ensuite découvert un rapport interministériel, commandé par Roselyne Bachelot en tant que Ministre des sports, qui dénonçait de nombreuses pratiques abusives dans le milieu du sport souvent qui n'ont pas abouti, d'ailleurs ..
Là vous avez du commencé à vous dire que vous touchiez du doigt un sujet brulant, non?
Charlène Favier : Oui complément, c'est avec ces différentes lectures que j’ai pris peu à peu conscience que ce que j’écrivais portait une cause. Car au départ je n'avais pas pleinement pris conscience de ce que j'étais en train d'écrire...
Je ne suis pas une intellectuelle, cette histoire est sortie de moi car c'était en partie autobiographique mais ce n'est qu’autour de moi que les gens m'ont dit : " mais Charlène, tu te rends compte de quel sujet tu parles?"
IL est évident que le filmest là pour ouvrir le débat, faire réfléchir.
La dénonciation d'abord inconsciente, a progressivement fait son chemin, jusqu’à devenir l’engagement principal du film : en écrivant, je voulais briser la loi du silence, car dans le sport, les abus et les agressions sexuelles sont le sujet tabou par excellence.
Les faits se susurrent mais reste le plus souvent à l’état de confidences .
Cependant, à mes yeux, SLALOM n’est pas un film à thèse plaidoyer, je l'ai bien plus concçu comme un voyage intime et sensoriel.
Certes, mais le fait que depuis quelques années la parole se libère ne peut que mettre le focus sur le sujet de votre film, non ?
Charlène Favier : Oui bien sûr, comme je vous le disais, ces histoires existent depuis longtemps et c'est bien que la parole se libère, cela a participé à mon envie de terminer ce long-métrage, je me suis dit que ce film allait pleinement dans ce mouvement-là.
J’ai appris très récemment que le film allait être soutenu par le Ministère des Sports. Roxana Maracineanu le juge d’intérêt général, ce qui nous a, à tous, fait un bien fou quand on sort de ce type de tournage.
Pouvez nous dire un mot sur la la dimension autobiographique du sujet, sans bien sûr trop entrer dans les détails intimes?
Un premier film est toujours, selon moi, nourri de choses très personnelles.
Il y a beaucoup de choses autobiographiques dans ce film, mais il y aussi plein de choses qui servent uniquement la fiction.
La question de l’abus, l’emprise, sont aussi des choses que j’ai pu connaître dans ma vie de femme, pas seulement dans le milieu du sport.
Sachez que j'ai bien connu toutefois cette relation entraineur entrainée qui peut être déviante pour la simple raison que j'ai pratiqué du ski à haut niveau jusqu’à mes quinze ans....
Et comment alors on traite d’un sujet très personnel pour son premier long-métrage, comment on arrive à prendre le recul et le détachement nécessaire pour en faire une fiction ?
Charlène Favier : Disons que la rencontre avec des tierces personnes m’a aidé à prendre le recul nécessaire sur cette histoire.
Je suis rentrée à la Fémis en 2014 et j’étais logée chez Marie Talon, scénariste et ancienne professeur de sport qui est devenue une amie : Marie m’a beaucoup aidé, à travers de nombreuses discussions, à accoucher de mon histoire.
J’ai été accompagnée aussi d’Antoine Lacomblez,que j’ai rencontré grâce à Claude Mouriéras, responsable des Ateliers de la Ciné Fabrique à Lyon.
Antoine m'a beaucoup aidé dans la construction des dialogues.
Le film est formidable aussi par son travail sur le son, afin de créer une sentiment d'étouffement autour de Liz. Vous avez travaillé comment de ce point de vue là ?
Charlène Favier : Le vrai parti pris de ma mise en scène c’est de tout rendre compte du point de vue de Liz.
Dès le départ, je voulais immerger le spectateur dans le monde intérieur de Lyz ; être au cœur de ses sensations et au plus près des visions qu’elle s’invente, dans une sorte de réalité hallucinée
Donc au niveau sonore il fallait qu’on entende ses respirations, le battement de son cœur, ce qu’elle peut entendre avant de commencer la compétition, pendant qu’elle skie…
Même la montagne est filmée comme un reflet de l’état mental de Liz. Mais le plus difficile au niveau de l'ambiance sonore cela aura été de trouver la bonne musique pour le film.
On a travaillé avec un collectif parisien, Low Entertainment, pour créer une musique aux tonalités années 80 avec des vieux synthés, du rock.
Ce qui avait aussi pour but de donner un aspect intemporel au film, et qui me rappelait les musiques que j’écoutais dans mon enfance, étant née en 1985. On a aussi ajouté du piano, du violon, pour apporter plus de dimension romanesque au récit.
Baz'art : Un dernier mot sur votre collaboration avec Jérémie Renier, vous la qualifierez comment ?
Charlène Favier : Elle fut formidable elle aussi.. Il a fait plein de films en effet, mais c'est quelqu'un de très simple qui sait se remettre en question à chaque rôle.
Jérémie, a passé beaucoup de temps en amont avec les entraîneurs des clubs de la région ; son investissement était impressionnant.
Pour être crédible, il a appris le jargon, les gestes, et les automatismes du métier
Un des défis de Jérémie était d’incarner un homme qui n’est pas un harceleur coutumier de l’abus sexuel mais qui, en agissant dans une pulsion, signe le début de sa chute.
Jérémie s’est complétement glissé dans le personnage et je le sentais bouleversé par ce qu’il était en train de vivre, de ressentir et de jouer.
Là il avait quand même pas mal d’interrogations sur ce rôle et sur ce personnage, donc il posait pas mal de questions avant d’attaquer certaines scènes.
Mais je pense avoir réussi à répondre à ces craintes et la prestation, qu’il donne dans le film, je la trouve vraiment formidable.