Sélection lecture en poche : du noir pâle au noir foncé
Entre famille brisée dont il faut recoller les morceaux , meurtres en Islande, traumatisme de guerre, chronique de la misère anglaise et mésaventures d'une nettoyeuse de crime, notre sélection de lectures en poches propose toute une palette de noire... Sombre mais addictif forcément, non?
1/ La Dame de Reykjavik de Ragnar Jonasson, Points
« Naturellement vous conserverez votre salaire. Vous n’êtes pas virée, Hulda. Vous prenez juste un congé de quelques mois, et vous enchainez sur votre retraite. Ça ne changera rien au montant de votre pension. Vous avez l’air surprise… C’est un bon arrangement que je vous propose. Vous n’y perdez pas au change. Vous aurez plus de temps pour vos loisirs, plus de temps pour…Á son expression, il était évident qu’il n’avait pas la moindre idée de ce que Hulda pouvait bien faire de son temps libre. »
Il ne lui reste plus que quinze jours à travailler. Elle ne s’attendait pas à cela Hulda, enquêtrice dans un poste de police de Reykjavik depuis des années, mais à soixante-quatre ans passés elle devait bien se douter qu’on allait bientôt se passer d’elle. Alors elle négocie, quinze jours pour s’occuper d’une affaire classée et après elle met les bouts. Petur ce gentil veuf qui lui fait les yeux doux n’attend qu’elle.
Elle l’a bien mérité sa retraite car Hulda n’a pas été épargnée par la vie. Difficile pour une petite fille d’être élevée par une mère seule en Islande dans les années cinquante. Pour Hulda, la Police c’est tout ce qui lui reste alors cette dernière enquête elle ne va pas la bâcler. Plus que quinze jours…encore quinze jours.
Quel beau personnage dramatique que cette Hulda , une enquêtrice au seuil de la retraite, à la recherche d’un meurtrier dans les rues de Reykjavik.
Une femme pas si vieille que cela finalement, qui tente d’oublier sa vie en enquêtant sur la disparition d’une jeune russe. Ragnar Jonasson dont on connait l’efficacité à mener le lecteur par le bout du nez, réussi le pari de nous surprendre encore.
Evidemment la disparition de la jeune demandeuse d’asile va nous emmener beaucoup plus loin mais alors pas du tout où le lecteur, même très connaisseur de polar nordique, l’imaginait.
Car le vrai sujet n’est plus l’enquête mais l’enquêtrice et en suivant pas à pas Hulda nous imaginons quelle formidable héroïne récurrente elle pourrait être.
Hilda est une policière poussée à prendre sa retraite et qui veut résoudre une dernière affaire avant de partir. Ragnar Jónasson confie s’être imaginé toute sa vie avant cette ultime enquête. Il a construit une série à l’envers en empruntant des éléments aux personnes qui l’entourent (sa belle mère, mécontente d’être à la retraite).
Si avec ce titre, on quitte un coin perdu pour une grande ville, la nature (plutôt hostile) est toujours présente (et tant mieux !).
Pour ce portrait de femme à la fois forte et fragile, loin des stéréotypes, pour sa construction et pour sa fin pour le moins inattendue, menez l’enquête avec Hilda sur cette jeune demandeuse d’asile retrouvée noyée.
2/ Nous étions nés pour être heureux, de Lionel Duroy, J'ai Lu
." En fait, je n'arrive pas à comprendre comment vous avez pu vous remettre de notre enfance."
Un premier livre, il y a trente ans, à fait exploser sa famille. Après la publication de " Priez pour nous", Lionel Duroy ne reverra plus ses frères et soeurs.
Lionel Duroy transcende l'autofiction à travers le personnage de Paul, double littéraire évident et protagoniste principal d'une réunion de familiale tendue qui voit une famille se réunir après une trentaine d'années de silence
Nous étions nés pour être heureux est avant tout un roman qui parle de résilience et de paix familiale qu'il faut tenter de creuser. pour un récit formidable d'humanité et de profondeur.
"Priez pour nous" "Le chagrin" et son dernier roman "Nous étions nés pour être heureux" forment une trilogie des relations familiales, où blessures filiales et fraternelles et sens catharsitique de l'écriture se mêlent dans un seul et même élan.
3/ Mon coeur restera de glace; Eric Cherrière; Mon Poche éditions
"C'est à l'aube que l'enfant pénètre dans les bois, leurs tronc alignés dressent une muraille que peu de villageois franchissent et le coeur de la forêt demeure un refuge ."
On avait plus trop de nouvelles du cinéaste et romancier Eric Cherrière que j'avais rencontré en 2015 au festival du film policier de Baune pour son long métrage "Cruel "mais il revient en force en cette année 2021 .
Il a finalisé il y a peu ," Ni dieux ni maitres, un film d'aventures médiéval qui devrait arriver sur nos écrans d'ici quelques temps si le salles rouvrent un jour , et surtout il a publié un formidable roman "Mon coeur restera de glace", qui vient de sortir aux récentes éditions Mon poche.
Ce roman traite de l'horreur de la guerre et de la barbarie à visage humain, mais sous la forme d'un conte poétique et naturaliste qui se déroule au fond d'une foret sombre et dense de Haute Corrèze.
En jouant sur trois temporalités différentes : 1918, 1944 et 2020, et sur un personnage de légende, le Croquemitaine, figure du mal par excellence hante cette forêt qui traque les soldats allemands, Eric Cherrière fait de son récit une sorte de film très visuel qui joue avec les montages et les temporalités sur plusieurs générations .
Usant de la métaphore poétique pour contrer le réalisme le plus cru , "Mon coeur restera de glace " a la grande originalité de tisser en fonction de ces trois histoires parralèles et sa mécanique narrative parvient à lever progressivement les mystères qui lient ces trois récits entre eux.
De quelle sauvagerie sont capables les hommes? Inspiré par le livre de Christopher Browning "des hommes ordinaires", Eric Cherrière tente de sonder l'animalité qui se cache derrière le soldat le plus lambda pour arriver au crime le plus barbare.
Gardant sa part de mystère à la fin de la lecture, "Mon coeur restera de glace " raconte la fabrique des bourreaux mais le fait non pas de manière frontale, mais avec la poésie et le sens de la mépahorie qui réussisent à nous tenir à distance et en même temps à nous forcer l'admiration.
4/ Les oublies de Londres, Eva Dolan, Points
Parce qu’Hella Riordan est un trophée qu’aucun flic ne peux laisser passer. Et ce n’est pas par vanité que je dis ça mais je ferais moi-même un bonus non négligeable. »
depuis jeudi, dans toutes les librairies lun bandeau nous fera connaitre à tous les fous de polars... Merci encore à Liana Levi et aux éditions Points pour cette très belle reconnaissance !! surtout quandon pense que derrière le bandeau il y a Le Canard enchainé et The Times inutile de dire que nos chevilles ont un peu enflé avec cette bonne nouvelle !! Surtout qu'on adore l'auteur qu'on met ainsi en avant
Nous avions découvert Eva Dolan avec « Les chemins de la haine » un polar de très bonne facture, l’année suivante « Haine pour haine » avait confirmé son immense talent.
Avec « Les oubliés de Londres » Eva Dolan rentre avec fracas dans la cour des grand(e)s.
Deux formidables portraits de femmes, une vraie étude sociologique et politique d’une ville dans son époque, c’est déjà alléchant mais il y a aussi et surtout une construction romanesque diabolique et complètement addictive.
Eva Dolan devient une écrivaine incontournable. Pris dans une intrigue surprenante de bout en bout, le lecteur se met à imaginer la formidable mini-série que l’on pourrait réaliser avec un tel matériau.
Une idée de casting ? Mes deux Emma préférées, Thompson et Watson.
God Saves Eva Dolan, la correspondante anglaise de Virginie Despentes comme le bandeau l'explique donc sans ambiguïté aucune!!
5/ Madame B, Sandrine Destoombes; Pocket
Elle avait refusé tout dédommagement pour cette mission. Ni par grandeur d'âme, ni parce qu'elle trouvait l'homme attirant. Elle savait parfois être pragmatique. Compter un ingénieur en informatique parmi ces débiteurs pouvait être utile à l'occasion et cette occasion venait justement de se présenter."
Blanche Barjac est nettoyeuse de profession, mais pas aide ménagère. Car ce qu'elle est chargé de nettoyer ce sont les scènes de crimes.
Adrian, son beau-père a appris toutes les ficelles du métier à Blanche. Et sa société « RécureNet & associés » lui donne une clientèle fidèle qui l’appelle à chaque scène de crime ( vous savez ces fameuses scènes de crime chères à Val Mc Dermid), afin qu'elle puisse faire disparaître le corps, tous les indices qui vont avec et prendre toutes les dispositions nécessaire pour que ce crime n'ait jamais existé …
La dernière mission, commandée par le Limier, ne se déroule pas comme prévu : des choses inexpliquées se produisent et Blanche se sent persécutée et surtout en danger? Qui veut absolument la faire chanter et surtout sur qui peut elle vraiment compter ?
Personnalité atypique de par sa profession quelque peu transgressive et néanmoins attachante , cette nettoyeuse qu'est Madame B arbore un coté madame tout le monde qui a juste le tort de trainer dans un milieu pas vraiment fait pour elle.
On sent que l'auteure aime son protagoniste principale et la regarde avec une bienveillance assumée aux prises avec ses démons et sa paranoia galopante.
La plume de Sandrine Destombes possède cette pointe de dérision assez salvatrice qui rendant son thriller pleinement addictif et son intrigue assez machiavélique.
Sandrine Destombes, parfaitement rouée à l'exercice du polar, parvient à instiller le climat assez paranoiaque qui ne ménage pas son suspens et ses fausses pistes souvent jubilatoires .
Tout ceci donne envie de suivre cette aventure jusqu'à la dernière page et un épilogue assez jouissif .