Dans le cadre du nouveau numéro de l'émission d'Arte, Square Artiste, Felix Moati n'a pas hésité un instant à choisir son très célèbre père Serge Moati, homme de télévision bien connu, comme sujet ( voir notre chronique ici même de son film) .
On avait pu échanger la semaine passée par visio avec le rejeton de la famille Moati .
Et même si l'heure était matinale (on entendait la machine à café couler en fond sonore) et que Felix était d'humeur un peu chaffouine, car il venait de se faire voler sa moto la veille au soir , il a pris largement le temps qu'il fallait pour nous expliquer les grandes lignes de son beau projet
Parler de l'intime pour aller à l'universel
« Quand Arte m’a proposé de faire un numéro de Square Artiste, avec une carte blanche de mon choix sur une personne permettant de mieux comprendre le monde et la société qui nous entoure en 20 minutes, j’ai quasiment de suite pensé que mon père était la personne la plus appropriée au projet, celle aussi que j’avais le plus envie de filmer. C’était ainsi l’occasion idéale de parler de l’intime pour aller ensuite un peu plus à l’universel."
Le désir d'archiver pour mieux être surpris
"J'avais envie avec ce film de capter ce visage que je connais pourtant si bien, qui m’est évidemment si familier. Mon père a désormais cet age, 75 ans, qui fait que c'est le moment de prendre un peu son temps pour archiver pour connaître toujours plus toutes les identités de mon père – mais archiver, aussi, pour être surpris.
Lui qui a connu les grands engagements de l’époque et ses possibles désillusions, la réussite professionnelle et ses inéluctables ralentissements, se laisse ici saisir dans la plus grande simplicité.
Filmer son père et le découvrir, le questionner, c'est aussi assembler le puzzle de sa propre vie .
Une vie sans examen est une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue."
Un dispositif très léger qui permet l'impudeur
" Toutes les séquences à la maison sont filmées dans l’intimité la plus stricte, avec le téléphone de mon père et cette légèreté des dispositifs permettaient à la fois toutes les pudeurs et toutes les impudeurs.
J’ai notamment filmé mon père parfois à son insu et il ne s’est aperçu qu’une fois le film monté …"
Serge Moati, ou une vie entouré de fantômes
"Il y a avait plein de films possibles autour de mon père mais très vite, une fois qu’on a commencé avec mon monteur, Martin Roux, à travailler sur les scènes filmées, un seul angle de tir semblait s’imposer à nous.
Il fallait insister évidemment sur cette vision un peu crépusculaire que mon père portait sur lui et sur cette carrière, une perception totalement subjective même si évidemment on ne peut écarter le fait …
Mon père est entré dans sa vie d’homme en prenant l’identité de son père défunt, c’est quand même fou quand on y pense et il a dû ensuite assumer de vivre avec ce fantôme là tout au long de sa vie et puis tous les autres fantômes, ceux de la Mitterandie qu'il a tellement fréquenté, c'était impossible de ne pas lui en parler non plus ."
Inventer sa vérité à travers l'image d'un père fantasmé
"Personne ne détient la vérité et ce film permettait d'inventer sa propre vérité, de prolonger le fantasme que chaque enfant fait de ses propres parents…
J’ai inventé plus ou moins consciemment l’image d’un père et j’essaie ici de la confronter à la réalité et à l’image publique qu’il renvoie.
Et en même temps, mon père à mes yeux, ce n’est pas une personnalité publique : c’est un père avant tout, celui qui me tenait la main à 6 ans quand il venait me chercher à l’école et que tout le monde approchait pour lui dire qu’il l’aimait beaucoup.
Je ne comprenais pas grand-chose à ce moment là évidemment de ce qu'il représentait pour les gens, mais je ressentais déjà une vraie fierté qui ne m’a jamais quitté en fait."
Le dernier des éléphants?
"Évidemment mon père incarne une gauche qui a jadis été très puissante et qui désormais vit avec ses regrets et ses désillusions.
J’adore la phrase d’un de ces éléphants du PS que j’ai pas mal côtoyé qui m’a dit un jour « avant j’avais la rose au poing, maintenant j’ai de l’arthrose partout", c'est à la fois très drôle, tres cruel et très vrai j'en ai bien peur…
Cette idéologie triomphante a vécu elle a laissé des milliers d’orphelins ..Le grand drame de cette gauche-là c’est de ne plus réussir à parler aux classes populaires, contrairement au Rassemblement National.
Toutefois, c’est à notre génération de trouver un moyen de reprendre le flambeau et de nous réinventer, c'est une question que je ne cesse de poser avec les amis de ma génération …"
Serge Moati, un sympathique filou?
"Dans mon film je taquine un peu mon père sur le côté « filou » qu’il a pu avoir parfois, mais très sincèrement je n’ai rien contre eux (rires) tant que leur filouterie ne met pas à mal l’intégrité d’autrui et que c’est juste pour arriver plus facilement à ses fins.
En tant que réalisateur, il nous arrive parfois de « mentir » en disant qu’on connait parfaitement tel ou tel sujet alors qu’on ne le maitrise pas du tout, mais cela fait partie du truc
Et le concernant, c'est souvent fait avec une mauvaise foi assumée et finalement une telle bonne volonté qu'on ne peut jamais vraiment le détester pour cela ( rires) "
Filmer son père, la marque des grands cinéastes ?
"Je me suis rendu compte que pas mal de cinéastes que j’aimais particulièrement, Woody Allen, Scorsese notamment, ont, à un moment ou à un autre de leur vie filmé leurs propres parents.
J’aimais l’idée de m’inscrire dans cette mythologie-là, à mon humble niveau évidemment…
Et puis entre "Télé Gaucho", mon premier grand rôle au cinéma où je parlais du monde de la télé des années 80 incarné par des hommes comme mon père ou mon premier film de fiction deux fils j’ai toujours tourné autour de ce sujet-là.
J’ai l’impression que je ne saurais pas vraiment tourner autre chose; en fait (rires)!
Avec ce film, j'ai eu surtout envie d’honorer mon nom, celui des Moati, de les rendre fiers .
C’est une immense chance qu’il m’a faite de me laisser le filmer en toute confiance, alors j'en profite ici pour le remercier une bonne fois pour toutes!"
"Portraits de mon père" : carte blanche à Félix Moati dans Square Artiste, ce samedi 15 mai sur ARTE et sur arte.tv
https://www.arte.tv/fr/videos/073049-062-A/square-artiste/