Baz'art  : Des films, des livres...
30 juin 2021

Interview cinéma : nos 10 questions à Anne Fontaine, réalisatrice du film Présidents

Son film Présidents sort en salles ce mercredi (retrouvez notre chronique du film ).

Comme on avait déjà pu le faire l'an passé avec  son film Police, Anne Fontaine était de passage sur Lyon pour venir échanger avec nous sur cette comédie audacieuse et ambitieuse : 

//Attention : spoliers alert : il vaut mieux avoir déà vu le film avant de lire cette interview //

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 Baz'art  : C’était quoi votre parti pris au départ de projet : autrement dit, comment se décide-t-on à s’attaquer à ces monstres de la politique que sont Nicolas Sarkozy ou François Hollande ?

Anne Fontaine : Il est indéniable qu’on les connait bien, ces deux personnages.On a appris à vivre avec au film des années et on ne peut faire comme si personne  ne les connaissait (rires)!

Disons que ce qui était essentiel pour moi dès le départ du projet c’est que je ne voulais surtout pas être dans un documentaire ou un biopic.

C’était intéressant de faire un mélange entre ce que pouvait apporter le comédien et l’évocation de ces deux personnalités politiques.

Ce sont plus les souvenirs que tout un chacun ont de ces deux ex présidents qui m’ont inspiré. Mais vous savez, je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne par idéologie  et j’aime bien conserver quelques mystères dans la façon d’élaborer un projet.

Baz'art : Vous avez commencé à écrire ce scénario dès le premier jour du confinement. Ce n’était pas du tout un film qui était forcément prévu de longue date il me semble ?

 Anne Fontaine : Le deuxième jour en fait  pour être très précis (rires).

 Au moment où tout s'est arrété en mars 2020, j’avais en fait deux autres projets à l’esprit, des gros projets en termes de tournage et de financement qui se sont arrêtés par la force des choses. 

L’un notamment était tributaire d’un financement international  donc forcément il a été remis à plus tard.

 Et puis  au-delà de ces contingences matérielles, je crois que j’avais vraiment envie de faire quelque chose de joyeux, assez léger, vu le contexte.

 En fait, ce thème ne vient pas totalement de nulle part : il était déjà apparu plusieurs années avant mais de façon assez nébuleuse.

 Là, je me suis posé la question suivante : quels sont les gens les plus occupés de la planète qui peuvent se retrouver complètement déroutés par l’absence d’agitation quotidienne liée au confinement ?  Les Présidents de la république, pardi !

 Et quitte à prendre des présidents, autant choisir ceux qu’on connait bien pour les travailler de façon assez fantasmatique  avec humour si possible.

Anne Fontaine tourne Police - Cineuropa

.Baz'art : Le seul nom d’un homme politique qui apparait  de façon explicite dans votre film c’est celui d’Emmanuel macron, c’était volontaire ?

Anne Fontaine : Oui bien sûr, l’obsession du personnage de François est vraiment dans le nom de Macron. Le nom de Macron devient alors presque un concept.

Mais on entend également le prénom d’Emmanuel quand Nicolas reçoit son appel au restaurant indien et vient l’encourager d’une manière particulière.

On voit Nicolas prendre la défense de François lorsque celui-ci est traité de « tocard » par le président, je trouvais cela vraiment amusant comme situation.

Baz'art : Comment passe ton d’un film très urbain comme Police à celui très rural comme Présidents ?

Anne Fontaine  : Ah c’est simple.  Pour cela, on va en Corrèze et vous faites un film forcément très rural (rires). 

Il faut dire pour être plus sérieuse que tout le projet s’est fait dans un contexte  très particulier  on était en pleine pandémie dès que j’ai commencé à écrire le scénario.

J’ai écrit ce scénario dans un Paris  quasi désert, assez beau et on l’a tourné en Corrèze au cours de la seconde pandémie, donnant une dimension assez forte  et pleine d’inconnue.

Pendant toute cette période, on ignorait de quoi l’avenir serait fait, et cela avait un écho plutôt fort avec mes propres personnages, ces présidents sans ligne d’horizon devant eux qui savent pas trop où ils vont et comment ils vont.

Mais sinon, pour répondre plus précisément à votre question ce n’est pas le premier film rural que je fais : Gemma Bovary se déroulait dans le bocage normand, je ne suis pas du tout anti campagne, vous savez :o)

Baz'art : A quel moment du projet commencez- vous à avertir les présidents en question; ou leurs entourages respectifs, que vous allez tourner un film dans lequel ils jouent les personnages principaux ?

Anne Fontaine : On les prévient à la  toute fin de l’écriture du scénario en fait …

 J’ai rencontré François Hollande à ce moment là, car on m’avait fait savoir qu’il souhaitait me voir par rapport à ce film dont il avait entendu parler.

Ce qui l’importait vraiment, c’était de savoir comment le film se terminait (rires). 

On a parlé ensemble de la Corrèze, de manière très chaleureuse.

Quant au Président Sarkozy, je l’ai rencontré à la fin du tournage. 

Il nous a invités à boire un thé avec Jean (Dujardin), il souhaitait beaucoup le rencontrer et était très flatté que cela soit lui qui joue son rôle (sourires).

Je dois reconnaitre qu'aucun des deux présidents ne m’ont posé de questions indiscrètes sur le scénario, ils ont semblé me faire confiance, je ne sais pas pourquoi précisément (sourires).

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Baz'art :  D’où vient cette idée, saugrenue mais si efficace des professions des épouses (vétérinaire et chanteuse lyrique), qui apportent un vrai décalage par rapport à la réalité ?

Anne Fontaine : Ah ça justement j’y tenais beaucoup pour bien faire comprendre mon projet et surtout éviter tout le coté" copie conforme" du film.

Et si vous la jugez efficace, cette idée, c'est que j'ai eu le nez creux, non? (rires) 

L’épouse de mon François H est vétérinaire parce qu’en Corrèze c’est un métier très important. En plus, Nicolas a un petit chien et c’est par son intermédiaire que le contact se crée, donc la profession s’est vite imposée à moi…

Isabelle que joue Pascale Arbillot est une femme concrète, équilibrée qui n’a rien à voir avec la représentation, d’une actrice ou d’une femme politique.

Natalie, le personnage que joue Doria Tillier, est plus artiste, plus barrée…

On a pensé assez rapidement avec les producteurs à une chanteuse d’opéra pour décaler le regard avec la femme bien connue du vrai Sarkozy. 

Il y a juste ce petit clin d’œil à Carla Bruni dans la scène ou Natalie prend sa guitare et chante une chanson bien nihiliste (sourires).

J’aimais bien ce décalage entre le côté positif, un peu candide du personnage et ces paroles complètement à contrecourant.

Je trouvais ça aussi amusant, cette revendication qu’elle a d’être de gauche mais sans trop savoir pourquoi devant son mari qui semble pas apprécier outre mesure cette réflexion..

Plus globalement, les deux femmes ont un rôle important dans le film car elles arrivent à un moment où finalement elles relancent complètement la mécanique du scénario..

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Baz'art : Avez-vous songé à un moment du scénario à l’éventuelle interprétation politique que pourrait faire le spectateur, et qui est sans doute contradictoire avec ce que vous avez voulu faire avec ce film ?  

Anne Fontaine : En fait,  tout film est profondément politique et est de surcroit sujet à une quelconque interprétation de la part du spectateur potentiel.

En l’occurrence, Présidents, c’est un film où ces deux ex tentent un rapprochement humain avant tout. Évidemment, ce rapprochement s’appuie sur un constat fort, ce qu’on appelle le fameux front républicain face à une menace qui peut m’effrayer en effet, et je ne suis pas le seul.

Je ne crains pas cette interprétation dont vous parlez car à mon sens, je ne fais pas un film partisan. Je n’ai pas voulu faire un film idéologique, mais une comédie…

Vous savez, les gens qui me font des retours sur ce film lors des projections, c’est souvent pour me dire qu’ils ont beaucoup ri, donc je pense avoir réussi mon coup et ne pas avoir fait du tout un film sclérosé, un film de parti, c'était important pour moi !

Baz'art : Est ce qu'on peut dire que votre Présidents est surtout un film sur l’addiction au pouvoir ?

Anne Fontaine : Oui, bien sûr.

Comme me l’a expliqué un des Présidents que j’ai pu rencontrer pour le film, l’addiction au pouvoir est tellement forte que lorsqu’elle s’arrête, il y a une sorte de perte de repères et de vacances comme s’ils n’étaient plus  vraiment eux même.

On retrouve cela dans tous les postes soumis à une forte exposition, mais c’est à la puissance mille …

C’est vraiment cela qui m’a intéressé dans le projet : prendre un des deux présidents dans la zone dépressive.

À partir du moment où un de mes personnages émet un signal de faiblesse, de dépression, qu’il n’arrive pas à dépasser ce qu’il a été il devient attachant pour le spectateur.

Et c’est également source de comédie, un Président qui ne sait plus que faire des choses du quotidien comme passer l’aspirateur ou promener son chien, c’est un vrai potentiel comique il me semble..

Je voulais être drôle mais en évitant la caricature et la satire, en tout cas de façon trop mécanique

Baz'art : Les photos que l’on voit dans le générique de fin semblent refléter une ambiance de tournage très joyeuse, vous confirmez ?

Anne Fontaine : Ah oui,  tout à fait … Ce long métrage a été tourné dans une ambiance très joyeuse…

C’est la première fois que je tournais avec Jean Dujardin, je le connaissais très peu avant ce film et je me suis rendu compte que c’est quelqu’un de très rieur.

Le contexte particulier du film, le fait qu’on soit tous confinés en Corrèze et qu’on ne revienne jamais sur Paris pendant toutes les semaines de tournage a certainement contribué à cette ambiance très bon enfant aussi

C’est parfois un peu difficile même de tenter de canaliser tout cette bonne énergie (sourires) et, en même temps, Jean avait beaucoup travaillé en amont sur le personnage de Nicolas, donc ce n’était pas si difficile que cela…

 Jean Dujardin est très travailleur sur le moindre des détails, cela était vraiment impressionnant! 

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 Baz'art : Si on mentionne la prestation de Jean Dujardin, impossible non plus  d’éluder celle incroyable de Gregory Gadebois . C’est la troisième fois que vous tournez avec lui, et il semblerait qu’une quatrième collaboration est prévue pour bientôt. J’ai cru comprendre que le comédien  appréhendait un peu ce rôle de François Hollande qui l’amenait sur les rives de la comédie qu’il connaissait mal, c'est exact ?

Anne Fontaine : Oui en effet, ce que Grégory craignait surtout un peu c’était comment appréhender le personnage…

François H, comparé à Nicolas S, c’est  un personnage un peu plus délicat à jouer car il y a moins de d’accroche, d’évidence dans les gestes ou les mimiques…

J’avais donné comme simple  consigne  à Gregory qu’il devait être un peu comme un professeur de science po qui regarde un peu les gens d’un peu haut..

C’est quelque chose que j’avais remarqué en croisant le véritable François Hollande…

  Il ne fallait pas qu’il cherche à l’imiter vocalement, le Président Hollande à une syntaxe bien plus rapide que Gregory ce n’était pas vraiment compatible.

C'est vrai que mettre les deux pieds dans la comédie lui faisait un peu peur, mais Jean l’a très vite entrainé là dedans et ça a marché d’enfer.

Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de le voir sur scène au théâtre, Gregory, mais c’est vraiment un comédien extraordinaire …

Dans la vraie bonne comédie, il y a toujours une part de drame, de profondeur, sinon ce n’est pas intéressant

Bref,  un très bon acteur comme il est n’a forcément aucun souci à jouer dans des comédies :la scène où il donne des coups de pieds dans sa bibliothèque car il a entendu le nom de Macron, il fallait de suite se lancer dedans avec ce qu’il faut d’excès et il l'a joué comme cela dès la première prise.

Gregory a une palette de jeu exceptionnel, rien que sous ma direction il a joué un père homophobe et FN dans Marvin et un policier ultra rigide dans Police puis un ex président de la république colérique ici, c’est dire qu’il peut vraiment tout jouer, vous ne trouvez pas ?

Baz'art : Oh si, vraiment il est formidable et contribue pour beaucoup à la réussite du film.

Merci Anne et longue vie sur les écrans à ce Présidents ! 

  Merci à Universal et aux cinémas le Comoedia et Pathé Lyon Bellecour pour cet interview réalisée le 23 juin 2021 à Lyon .

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