Entretien avec Naël Marandin, réalisateur du film "La terre des hommes "
Présenté en avant-première aux Arcs Film Festival et sélectionné à la Semaine de la Critique l'an dernier, La Terre des Hommes sort enfin en salles ce mercredi 25 août et la semaine passée, on vous a vivement conseillé d'aller le voir
A l'occasion de la sortie du film demain en salles, on vous propose de revenir sur les propos du scénariste et réalisateur Naël Marandin , rencontré sur Lyon courant du mois de juin :
Le marché au bestiau, point de départ du projet
J’ai fait partie pendant sept ans d’un collectif d’artistes,et dans le cadre d’un spectacle, j’ai filmé des éleveurs bovins en Bourgogne.
Ils m’ont emmené au marché à bestiaux et j’ai de suite été fasciné par le lieu. Il faut un peu imaginer ce contexte : une fois par semaine, les éleveurs de la région viennent y vendre leurs bêtes. Sous une grande halle, des centaines de vaches et de taureaux attendent dans un labyrinthe de métal avant de monter sur ce qui ressemble à un ring de boxe où ils sont vendus aux enchères.
Il se dégage de la multitude des bêtes une sensation de puissance assez formidable.
Dans cette arène, éleveurs et acheteurs s’observent, luttent et manigancent pour tirer les cours à la hausse ou à la baisse.
Les petits fermiers côtoient les patrons d’élevages industriels sous le regard des spéculateurs, des engraisseurs et des centrales d’achat de la grande distribution. Ça grouille. Ça crie. Ça vit.
A l’extérieur, des dizaines de poids lourds et de bétaillères, véritables monstres d’aciers, emportent les animaux aux quatre coins de l’Europe.
C’est un lieu extrêmement cinématographique, par sa beauté, « la théâtralité » de son dispositif, les enjeux et les rapports de forces qui s’y jouent et surtout l’énergie qui s’en dégage.
J’ai tout de suite pensé à en faire le point de départ de mon film.
Faire un film rural, c'était important?
Ca l'était en effet, car après mon premier long-métrage, La marcheuse, sorti en février 2016, un film très urbain qui ne quittait pas la grisaille des trottoirs parisiens, j’avais envie d’espace et de nature.
Dans mon films il y a évidemment un rapport important aux bêtes, à la nature, à l’environnement, à la durabilité qui est très différent dans les générations. Et ça vaut dans tous les milieux.
Je ne voulais pas faire un rapport exotisant, ce qui m’intéresse c’est ce qu’il y a en commun.
Les agriculteurs sont des gens qui vivent avec leur temps. Les jeunes agriculteurs sont des jeunes d’aujourd’hui.
Nous vivons dans le même monde.
La question de l'emprise et de la frontière entre consentement et non
Quand on a commencé à chercher des financements avec mon producteur Julien Rouch, les réactions au scénario étaient perplexes : « On ne comprend pas bien de quoi se plaint cette jeune femme ? C’est juste une relation trouble... » Or, c’était précisément cet aveuglement que je voulais interroger, mais ça n’arrangeait pas nos affaires.
Puis quelques mois après nos premières démarches, le scandale Weinstein a éclaté et le regard sur le film a radicalement changé. Alors que le scénario, lui, n’avait pas bougé !
J’ai désiré être accompagné à l’écriture par deux auteures, Marion Doussot et Marion Desseigne Ravel, et j’ai longuement discuté avec elles de cette ligne étroite sur laquelle je cheminais : je ne voulais pas faire de Sylvain un violeur caricatural, ni donner l’impression que Constance désirait ce rapport sexuel. C’était important pour moi d’avoir des co-auteures féminines.
J’avais également d’autres référentes, qui n’ont pas participé au scénario mais à qui je faisais lire ou que j’ai fait venir au montage, sans compter les dizaines de témoignages que j’ai recueilli.
J’ai beaucoup consulté, autant sur la question des rapports hommes/ femmes que sur la question du travail, notamment un couple de jeunes exploitants qui a en partie inspiré le couple du film.
Jalil Lespert ( présent lors de la rencontre), une évidence pour le rôle de Sylvain?
"J’ai vraiment été fasciné par Jalil Lespert, qui s’est emparé de suite de la complexité du personnage de Sylvain.
On en a beaucoup parlé. Mais il y a un moment où il faut faire, jouer, incarner.
Avec son physique d’homme qui travaille avec ses bras, Jalil a su dessiner un personnage charismatique, meneur d’hommes, qui sait emporter l’adhésion et qui n’a pas l’habitude qu’on lui dise non, mais qui est aussi capable d’une certaine douceur, même une part de candeur, bref tout cela qu'il fallait pour jouer cet homme qui oscille entre aveuglement et machiavélisme.
La finesse de sa compréhension de ce qui se joue pour Sylvain a énormément apporté au film."
Propos tirés de la rencontre à Lyon et du dossier de presse
Merci à Ad Vitam et aux cinémas Pathé de Lyon