Baz'art  : Des films, des livres...
4 octobre 2021

Rencontre cinéma : mes 10 questions à Emilie Dequenne, notre Rosetta pour toujours

 On l'avait annoncé dans notre récent retour en photos du festival : la  comédienne Émilie Dequenne était présente sur Montélimar le weekend dernier dans le cadre du festival de l'écrit à l'écran, en tant que présidente du jury Jeune  et invitée d'honneur de la cérémonie des 10 ans

Elle nous a très généreusement accordé un assez long entretien ; et comme c'était un entretien hors promo, ce fut bien évidemment l'occasion de revenir sur sa carrière et sa façon d'appréhender son métier.

Un échange naturel et spontané, bien en concordance avec l'image que renvoie toujours cette formidable comédienne, récemment césarisée pour le meilleur second rôle pour son incroyable parformance dans le dernier formidable film d'Emmanuel Mouret :

modele interview (10)

    Baz'art : Commençons pas une question qui me titille quand je regarde votre filmographie :  Pourquoi n'avoir plus jamais rejoué sous la direction des frères Dardenne, contrairement à d’autres de vos compatriotes, comme Olivier Gourmet ou Jérémy Renier qui ont été plus fidèles que vous à l'univers des frangins sur plusieurs films ?

Emilie Dequenne : Pourquoi j'ai jamais rejoué avec Jean Pierre et Luc depuis Rosetta? Ca commence fort, cette interview ( rires)... Mais en fait, c’est à eux qu’il faut poser cette question, pas à moi (sourires).

A vrai dire, j’ai quand même été derrière leur caméra en de petites occasions depuis Rosetta : j’avais tourné avec eux le court métrage qu’ils avaient réalisé  pour les 60 ans du festival de  Cannes..

Et lorsqu’ils ont eu le prix Lumière l’an passé sur Lyon, ils ont filmé selon la tradition la sortie d’usine;  ils tenaient vraiment à me diriger, à cette occasion; c’était assez drôle.

Mais à part ces petites occasions, vous avez raison, il n’y a eu aucun long métrage depuis Rosetta qui a maintenant plus de 20 ans, je ne pourrais vous dire précisemment pourquoi…

En fait, je me pose aussi la même question que vous, donc si vous les croisez, n’hésitez pas à la leur poser, je me ferais un plaisir de l’entendre (rires)....

B9726420941Z

 Est-ce que plus particulièrement, l’expérience avec Rosetta était tellement forte que toute autre collaboration ensemble serait forcément d’un moindre impact ??

Emilie Dequenne : Oui sans doute, il y a un peu de cela : Rosetta était un personnage si fort et si emblématique pour moi, et pour eux, qu’ils ont peut-être un peu de mal à me sortir totalement de cette image.

Peut-être qu’ils attendent encore un peu pour m’écrire un personnage vraiment éloigné de Rosetta, enfin il ne faut pas qu’ils attendent trop non plus quand même (sourires).

Pour ce premier rôle, vous étiez de tous les plans, vous aviez une responsabilité énorme à tenir tout un film sur les épaules...c'était rare à l'époque, et ça l'est toujours d'ailleurs, et beaucoup de jeunes comédiennes vous citent en exemple dès qu'il s'agit d'un rôle équivalent à tenir. Est- ce que cette responsabilité énorme, vous en aviez conscience à l'époque du tournage?

Emilie Dequenne : Non, je n’avais aucune conscience de ce que je faisais, c'est vraiment les Dardenne qu'il faut féliciter d'avoir inventé en quelque sorte ce type de personnage.

Moi j'avais 17 ans, je ne connaissais pas du tout l'univers du cinéma, j'avais fait un peu de théâtre mais à un humble niveau...

Le personnage de Rosetta, on dit que c'est un bon petit soldat qui avance au gré des péripéties et en fait j'étais un peu comme cela aussi comme comédienne: le bon petit soldat sous les ordres des frangins Dardenne

Ils me disaient de se tenir par rapport à la caméra et j'obtempérais sans réchigner ..

Luc et Jean Pierre ont pris beaucoup d'Emilie dans mon dévouement, dans mon envie de bien faire, dans ma volonté,  pour l'intégrer dans Rosetta, même si bien sur j'étais  quand même très loin du personnage. 

Plus globalement, est ce qu’il vous est arrivé de jalouser parfois les comédiennes qui ont joué sous la direction de certains des réalisateurs avec lesquels vous avez tourné en vous disant que vous auriez pu être très bonne aussi là-dedans? Je pense par exemple aux films de Lucas Belvaux ou Joachim Lafosse : le rôle que Leila Bekthi tient dans les intranquilles qui sort en ce moment, vous auriez pu être très bien le jouer, non ?

Emilie Dequenne : Je ne sais pas ( long silence) ..... Lucas Belvaux, pour le coup, si je pense aux films qu'il a fait après qu'on ait joué ensemble, je ne vois aucun rôle que j’aurais pu jouer à la place de quelqu'un …

Joachim, par contre,  c’est différent, si vous voulez tout savoir,  il me propose très souvent des rôles féminins mais je les refuse à chaque fois (Rires)....

'"Les intranquilles"  par exemple, il me l’a proposé  mais j'ai refusé... 

Je suis venue juste un jour pour le plaisir sur le tournage du film faire un petit caméo, mais ça a été coupé au montage cela ne marchait pas trop…

Bref je n'ai pas tenu le rôle principal, mais je suis certaine que Leila est excellente dans ce rôle-là (rires)! 

Plus généralement, je crois surtout aux films : je me dis que la beauté du film réside dans le film fini, je suis convaincue que chaque acteur ou actrice est à sa place

Donc pour répondre à votre question, je ne jalouse pas les autres comédiennes, ce n’est pas vraiment dans ma nature : si le film marche et que je trouve qu’il est formidable, je me dis aussi que c’est aussi parce que l’actrice a été bien castée dedans.

Si ça avait été une autre actrice qui avait été choisie, il ne marcherait pas exactement de la même manière…

Par contre, si je veux être tout à fait honnête avec vous, je vous avouerai que parfois, j’aimerais bien être un homme,  il y a certains rôles tenus par des acteurs que je vois et devant lequel je me dis « putain, mais pourquoi on écrit cela que pour les mecs ? »(rires)

rencontre emilie dequenne

Mais à ce sujet, n'avez vous pas l’impression que dans la mouvance du mouvement #metoo, les rôles féminins, du moins ceux dans l’industrie du cinéma francophone, ne sont pas plus forts, mieux écrits, moins à prompts « servir la soupe » aux hommes qu'il y a 10 ou 15 ans?

 Emilie Dequenne : Oui sans doute, et d’ailleurs si on prend mon cas personnel, cela ne serait pas très réglo de me plaindre, car, pour une comédienne de mon âge, je trouve que je n’ai pas à me plaindre des rôles qu’on me propose ces dernières années, ils sont souvent consistants et intéressants....

Mais malgré cela, force est de constater que les rôles masculins restent plus nombreux et quand même bien plus stimulants à jouer!

Sur un panel de 50 films, je dirais qu’il y a un, allez,  on va être généreuse, disons deux, premiers rôles féminins vraiment forts.

Et les autres, ce sont rien que des films où, comme vous dites, le personnage féminin est secondaire et servira à valoriser surtout le mec.

Peut-être qu’il y a un petit effort à ce niveau là depuis quelques années et Metoo, mais sincèrement, par rapport aux scénarios que je reçois, ou ceux des films que je peux voir au cinéma, je ne trouve pas que la transformation soit des plus radicales (rires)....

On va dire qu’il y a encore un peu de travail à faire de ce côté-là : la parité ne me semble pas être complétement au point.

Pas son genre: Emilie Dequenne

 Qu’est qui détermine vraiment le choix de vos rôles quand vous acceptez de le faire: l’univers d’un cinéaste ou plus souvent c'est le scénario qui prévaut?

Emilie Dequenne : Cela dépend vraiment du film: ça peut être le metteur en scène ou le scénario, ou les deux, dans ce cas, évidemment, c’est encore mieux (rires) ! 

Quand le personnage est intéressant, quand il représente un danger à mes yeux,  j’ai plus envie d’y aller.

J'aime bien tenir des rôles singuliers, pas forcément très lisses, on m'en propose pas mal d'ailleurs, je suis plutôt gâtée, j'avoue... les personnages un peu particuliers c’est souvent moi qui les récupère ! (rires)

Mais du coup, ce sont plutôt les beaux rôles. C’est plutôt jubilatoire à faire j'avoue.  

Si au-delà du scénario, le personnage ne me convient pas, je ne peux pas y aller, c'est comme cela, mais  je me dis aussi que ce n'est que partie remise !

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Vous avez accepté de tourner dans des premiers films comme celui de Marc Fitoussi avec qui vous rejouez ensuite quelques années plus tard et vous acceptez aussi d’aller jouer avec des cinéastes plus établis et qui ont un univers plus identifié comme Lucas Belvaux, dans ce cas présent, cela provient d’envies différentes j’imagine ?

 Emilie Dequenne : Marc Fitoussi,  je dois avouer que lorsqu'il m'a proposé son premier long métrage La vie d’artiste, je ne le connaissais pas du tout : j'ai dit oui sur la base du scénario que j'avais trouvé excellent et j'étais très heureuse de l'aider à émerger.

 Lorsqu'il m'a proposé Maman à tort, dix ans après, j'étais très heureuse aussi qu'il pense encore à moi, c'est très agréable qu'un metteur en scène avec qui vous avez déjà joué pense encore à vous pour un rôle.

Mais en même temps, ce n'est pas parce que j'avais déjà tourné avec lui que j'allais accepter les yeux fermés : j'avais vraiment besoin de lire le scénario qui m’a énormément plu.

Mais pour répondre à votre question  plus largement disons que ce que j'aime surtout c'est la nouveauté. J’aime le défi, le challenge, le fait de partir vers l’inconnu.

C’est aussi le metteur en scène qui me séduit et  évidemment dans le cas de Lucas Belvaux, quand il me propose de jouer dans Pas son genre, je connais déjà son cinéma, et j'avais des a priori très favorables, donc ça aide quelque peu à prendre la bonne décision (rires). 

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 Quand vous parlez de rôles que vous ne pouvez pas jouer, vous faites référence à des personnages que vous ne voyez pas du tout incarner pour de raisons X?

Emilie Dequenne :Oui, tout à fait c'est exactement cela, il y a, sans forcément rentrer dans le détail, des situations que je n'ai pas envie de jouer, des rôles que je trouve trop fade, trop lisse ou bien des valeurs du personnage que je n'ai pas envie d'incarner: toutes sortes de paramètres qui entrent en ligne de compte dans mon choix d'accepter ou non un rôle...

Je vous donne un exemple parmi tant d'autres : Emmanuel Mouret, avant de dire oui pour les choses qu'on dit les choses qu'on fait,  j'avais décliné  plusieurs fois des rôles qu'il m'avait proposé...

Je ne me souviens plus forcément des titres des films en question, car j'ai une mémoire affreuse pour cela, mais je vous l'assure : j'ai refusé un certain nombre de ses projets (NDLR: son agente, Danielle GAIN qui assiste à l'entretien, opine du chef à côté d'elle) !!

Cela veut dire qu'il est particulièrement tenace comme garçon et qu'au moins, cette dernière rencontre fut vraiment la bonne pour tous les deux (rires) !

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Vous venez de tourner dans le nouveau film de Lucas Dhont (le réalisateur de Girl), on peut dire que vous naviguez entre cinéma belge et français, est-ce que quelque chose que vous faites consciemment, avez vous en vous un vrai désir de ne jamais totalement abandonner votre cinématographie natale?

Emilie Dequenne : Non, sincèrement, je ne pense pas que ce paramètre rentre en ligne de compte dans mes choix.

Vous savez, je m'en fiche de la nationalité, du genre, ce sont les univers qui m'intéressent au plus haut point.

Je ne supporte pas les étiquettes qu'on colle aux gens: les genres, les races

Vous savez, moi j'aimerais qu'on supprime le genre des gens sur la carte d’identité, vous voyez donc un peu la nature de mes combats...

Tout à l'heure, on parlait de parité, mais dans l'absolu,  je ne devrais pas à me battre dessus car cela ne doit même pas être quelque chose à revendiquer.

Je détesterai l'idée de devoir un rôle seulement dû à mon genre. Je ne veux pas travailler pour respecter une quelconque parité, mais en tant qu’individu.

Bref, vous voyez que je suis bien pro nation dans mes convictions!

Et puis au niveau des tournages,  je ne vois pas de grandes différences entre les deux pays, franchement !

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Quand vous préparez un rôle, avez-vous tendance à beaucoup vous investir dedans : est- ce que vous lisez, par un exemple, le roman quand vous avez tourné des adaptations, je pense, par exemple, aux films Pas son genre tiré d'un roman de Philippe Vilain ou une femme de ménage d'après Christian Oster?

Emilie Dequenne : Une femme de ménage, oui j'ai lu le roman avant d'aller aux essais, car l'adaptation n'avait pas encore été écrite par Claude (Berri) au moment où j'ai postulé pour le rôle donc il fallait bien que j'ai un peu de matière pour échanger avec lui.

Mais sinon, non, c'est le scénario que je lis, jamais le roman, je n'ai pas envie d'être parasitée par des informations contraires ou en tout cas différentes de ce que veut le metteur en scène.

Emilie, vous qui avez fait quelques films engagés notamment chez Lucas Belvaux, pensez-vous qu'un film puisse changer le monde ou changer les gens?

Emilie Dequenne : Je l’espère, c’est sûr. Mais je n’en sais rien. Je pense qu'un film comme Chez nous ou la fille du RER ne peut pas laisser le spectateur indifférent.

Et c’est le but d’un bon film. S’il parvient à vous changer un tout petit peu, c’est qu’il a quelque chose.

Maintenant  concernant chez nous je pense qu’il n’y a plus rien à faire pour les gens qui sont convaincus, engagés et militants d’extrême droite et un film ne pourra rien faire à ce niveau-là, j'en suis convaincue.

Dernière question, moins liée au cinéma, mais plus au théâtre.. J'ai remarqué que vous faîtes très peu de théâtre alors qu'il parait que vous étiez formidable lorsque vous avez joué il y a quelques années le Mademoiselle Julie d'après Strinberg. Comment vous expliqueriez cette rareté sur les planches?

 Emilie Dequenne : Oh , en fait, ce n'est pas trop mon truc le théâtre...

 J'aime ce qui est spontané, nouveau : le théâtre, cela demande un investissement énorme et au bout d'un certain nombre de représentations, j'ai du mal à trouver l'énergie nécessaire. pour y retourner chaque soir..

"Mademoiselle Julie » a eu de très bon échos en effet, mais je n'en garde pas avec le recul un si bon souvenir que cela, c'était tellement éprouvant de jouer un tel personnage comme cela pendant plus de 150 soirs...

Il faudrait vraiment que je trouve un rôle extraordinaire, peut-être dans le théâtre public, et pour un petit nombre de représentations, pour que je daigne changer d'avis mais j'y crois pas trop (sourires)...  

Merci au  festival de l'écrit à l'écran de Montélimar  pour cet entretien exceptionnel !

Crédit photo bandeau de couverture : Xavier Bouvier 

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