Baz'art  : Des films, des livres...
2 novembre 2021

Interview cinéma : Rencontre avec Jacques Audiard pour le film Les Olympiades

Le  grand réalisateur français Jacques Audiard était la semaine passée sur Lyon avec le comédien Makita Samba, pour  présenter Les Olympiades, un portrait très juste, entre comédie et chronique mélancolique, d’une génération de trentenaires parisiens en plein  questionnement tant du point de vue familial que professionnel, amoureux et sexuel.

Un grand moment avec un réalisateur au talent immense !

On vous en livre de suite les meilleurs moments à l'occasion de la sortie de son film au cinéma ce 3 novembre :

modele interview (14)

 Bonjour Jacques. Une question simple pour commencer notre échange autour de votre très beau long métrage : Pourquoi ce titre : « Les Olympiades » ?

Les Olympiades est un quartier de tours au milieu du 13ème arrondissement de Paris, entre la rue de Tolbiac et l’avenue d’Ivry.

Ce quartier correspond à un plan de rénovation du quartier dans les années 70, d’où son homogénéité architecturale vraiment constatable.

En souvenir des jeux olympiques d’hiver de Grenoble de 1968, chaque tour porte le nom d’une ville olympique : Sapporo, Mexico, Athènes, Helsinki, Tokyo… Et les rues, des noms de discipline olympique : rue du Javelot, rue du Disque…

Les Olympiades est un quartier très original, exotique, vivant, socialement et culturellement mélangé. Les personnages du film y vivent et s’y croisent.

Le terme « olympiades » renvoie également à l’idée d’exploits sportifs et donc, si on a l’esprit mal tourné, à la vie amoureuse   et sensuelle des personnages ( sourires).

Jacques Audiard : « J'ai décidé de tout, y compris des erreurs »

Le scénario du film est l’adaptation de trois nouvelles de l’auteur de bande dessinée américain Adrian Tomine. Qu’est-ce qui vous a plu dans son univers et comment avez-vous choisi de l’adapter ?

 Sortant des « Frères Sisters », je me suis mis naturellement à penser son opposé, en l'occurence une histoire urbaine, des personnages citadins, un espace géographique limité (le 13ème arrondissement), pas de couleur, peu d’action…

Et un beau jour, une amie me parle de l’œuvre d’Adrian Tomine, que je ne connaissais pas.

Je le lis et là, toutes ces formes qui s’agitaient en moi commencent à se cristalliser et peu à peu ça devient une idée de film.

Tomine propose des récits concis, pleins de réel, avec des personnages de paumés, en quête de quelque chose qu’ils ne peuvent totalement définir.

Chez lui, ce qui me plaisait c’est que c’était des enfants d’une classe moyenne plutôt éduquée, mais qui se paupérise un peu malgré eux

De plus, son dessin très simple et efficace ne détourne pas de l’action et semble déjà désigner le cinéma, presque comme un story-board.  

C’est tout cela qui m’a plu et m'a poussé dans la voie de cette adaptation. 

Ces personnages, dont vous parlez, ce sont également des invididus qui se mettent en retrait du monde, c'est ce qui les rassemble entre eux,non?


Oui, vous avez tout à fait raison.

Je voulais traiter ces gens qui se mettent d’une certaine façon en retrait du monde : le professeur se met en retrait de l’éducation nationale, Emily aussi, même si c'est plus par rapport à ses parents...
 
Les quatre personnages principaux sont de jeunes adultes, déjà pourvus d’une expérience, qui vont se rencontrer et s’aimer.

Trois sont des trentenaires qui se sont déjà heurté à la difficulté de trouver un logement et/ou un travail, qui traversent une crise de vocation, qui n’arrivent pas à se fixer amoureusement ou sexuellement, qui changent de vie alors qu’ils viennent juste de la commencer de manière autonome.

C’est là qu’ils rejoignent les paumés d’Adrian Tomine.  

Et puis, un peu comme Eric Rohmer, Adrian Tomine est un moraliste : à la fin de ses histoires les personnages semblent avoir appris quelque chose sur la vie et sur eux-mêmes...

Dans mon film, j'ai voulu que tous les personnages vont faire l’expérience de la désillusion, mais dans le bon sens car c’est sur eux-mêmes qu’ils s’illusionnaient.

Les expériences qu’ils vont vivre leur ouvriront les yeux sur ce qu’ils sont vraiment, sur ce qu’ils désirent et aiment réellement.

LES_OLYMPIADES_7Y7A8582_R©ShannaBesson

Justement, vous parlez de Rhomer : l’une des références majeures que vous aviez en tête pour ce film, c’est « Ma nuit chez Maud »  En quoi ce film est-il important pour vous ?

 Au tout début de ma vie de très jeune cinéphile, il y a eu « Ma nuit chez Maud ». Un choc,ce film  « Ma nuit chez Maud », je pense que je l'ai vu 5 fois de suite en une semaine, ca veut dire quelque chose je pense ( sourires)

Ce film, c'est presque rien, deux hommes et une femme, mais surtout un homme et une femme, parlent toute une nuit. Ils parlent de tout : d’eux, de Dieu, du pari de Pascal, de la neige qui tombe, de la vie de province, des jeunes filles catholiques, etc.

À la fin, alors que tous les signes de la séduction réciproque ont été montrés et reconnus, alors qu’ils devraient s’étreindre et s’aimer, ils ne le feront pas. Pourquoi ?

Parce que tout a été dit et que la séduction, l’érotisme et l’amour sont entièrement passés par les mots. La suite serait superflue. Comment cela se passe-t-il aujourd’hui, alors que c’est l’inverse qui nous est proposé ?

Dans ces conditions, y a-t-il encore un discours amoureux ? Oui, bien sûr, comment en douter. Mais à quel moment intervient-il ? Quels en sont les mots, les protocoles ?

  Comment cela se passe-t-il à l’époque de Tinder et du « couchons donc le premier soir » ?La communication virtuelle fait aujourd’hui partie de nos vies, de nos relations amoureuses et sexuelles. 

Je tenais à parler de ça, de comment nous nous débrouillons avec ces différents modes de relations. 

Le choix de filmer en noir et blanc s'est imposé à vous de quelle manière?

Le noir et blanc est pour moi un choix assez moderne : contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n’est pas du sépia, ca n’a rien de passésiste à mon sens .
Le film, très ancré dans l’ici des années 2020, est tourné en noir et blanc, de manière apparemment contre-intuitive. Cela lui confère un aspect atemporel…

Entre les frères sisters et ce film, ce choix sert aussi une volonté de changer complètement les perspectives notamment en terme de géographie et d'esthétisme .

Le noir et blanc parle aussi de diversité et ce choix là appuie bien à mon sens le coté cosmopolite du projet.

 

Et un  Paris  filmé en noir et blanc, ca donne aussi un coté un peu inattendu à cette ville tant vue au cinéma, non?

Oui complètement : j’ai déjà pas mal tourné dans Paris et je trouve que ce n’est pas une ville facile à filmer : trop muséale, trop Haussmannienne, pas assez de perspectives, de lignes…

En faisant le double choix du 13ème arrondissement et du noir et blanc, j’avais la possibilité de proposer quelque chose de plus graphique, de décaler les attendus sur Paris, de filmer cette ville européenne presque comme une métropole asiatique.

À la fin, on pourrait dire que « Les Olympiades » est presque un « film d’époque contemporain ».. Et puis, bien sûr, il y a le souvenir de « Manhattan » de Woody Allen.

 Un seul moment est tourné en couleur, de manière très emblématique, n'est ce pas? .

Oui, c’est celui de l’arrivée d’Amber Sweet dans l’histoire, de la cam-girl, c’est-à-dire de la pornographie.

Amber, qui n’est vue qu’à travers les écrans d’ordinateurs ou de téléphones, et qui donc demeure à distance, est en fait le personnage le plus influent de l’histoire.

En chamboulant la vie de Nora, par un effet de dominos, elle change les vies et les personnes de Camille et d’Émilie, et la couleur s'imposait alors d'elle même... 

LES_OLYMPIADES_7Y7A9999_R©ShannaBesson

 Comment mesurez vous dans votre cinéma l'apport des deux co scénaristes également réalisatrice  LÉA MYSIUS et Céline Sciamma? 

Ce sont de très bonnes scénaristes et le fait qu’elles soient réalisatrices ne sont pas pour rien, en effet.

Elles apportent à mons avis  une vision différente de celle que j'ai pu avoir dans mes films précédents.

J’avais commencé à travaillé avec Céclle avant les frères sisters et quand j’ai repris l’écriture elle était aux prises avec son film et Léa est venue apporter un autre éclairage.

Il y a des dialogues auxquels je n’aurais pas pensé sans elles: "toi tu es en train de tomber amoureux de moi !", par exemple, cela vient d'elles.

 A ce propos, on peut dire que les dialogues ont une part très importante dans le film.

C’était  ma volonté d’avoir beaucoup de dialogues. Je voulais que ça parle tout le temps, notamment entre Émilie et Camille.

Ces deux-là parlent et couchent ensemble : est-ce pour autant qu’ils sont amoureux ?

Nora et Amber discutent par écrans interposés et ne connaissent l’une de l’autre qu’une image pixélisée : quelle est la nature de leur relation ? Et du reste, est- ce important de la définir ?

Nora et Camille n’arrivent ni à parler ni à coucher et pourtant se mettent en couple : font-ils vraiment couple ?

J'ai voulu avec mes co scénaristes traiter de  ce chemin sinueux que les personnages empruntent, et nous avec, pour trouver l’amour et se trouver eux- mêmes. 

Le choix du casting est essentiel également dans votre projet, comment avez vous procédé?

Christel Baras, la directrice de casting, a été la cheville ouvrière du choix des acteurs.

C’est à elle que je dois Lucie, Makita, Noémie et Jehnny.

Vous savez, la notoriété d’un acteur cerne autrement le personnage si c’est vincent Lindon qui ouvre la porte le spectateur est conditionné on peut se servir de cela

 Noémie était la seule à trainer derrière elle une sorte d’image, c’était important de s’en servir et d’en faire un personnage qui se fait harceler pour éviter le coté fait divers

J’ai fait pareil pour de rouille et d’os : si ce n’est pas Marion cotillard  qui a l'accident, cela  ressemble à un accident du travail ; alors que là, elle amène tout son aura avec elle, il faut en être conscient.

A contrario,  quand Makita ouvre la porte à Lucy, tout est possible car je connais aucun des protagonistes.

 J'ai vu aussi que vous avez tous beaucoup travaillé en amont du tournage...

Parce que les membres de la troupe étaient inégalement expérimentés, nous avons effectivement beaucoup travaillé en amont : répétitions pour le jeu, bien sûr, mais également des répétitions corporelles pour affronter avec le plus de sérénité possible les scènes de « sexe ».

Trois jours avant le début du tournage, nous avons filé sans interruption l’intégralité du scénario sur la scène d’un théâtre parisien.

Ça a été l’occasion pour les acteurs de se voir jouer les uns les autres, de constater ce qui marchait ou non, et de prendre confiance.

Par ailleurs, en répétant beaucoup, nous gagnions l’assurance d’un tournage rapide, et donc de limiter notre exposition à la Covid et il ne faut pas oublier que ce tournage s'est fait en plein confinement, on ne peut pas occulter cela quand on réfléchit sur ce film.. 

audiard

  

Commentaires
Pour en savoir plus

Webzine crée en 2010, d'abord en solo puis désormais avec une équipe de six rédacteurs selon les périodes. l'objectif reste le même : partager notre passion de la culture sous toutes ses formes : critiques cinéma, littérature, théâtre, concert , expositions, musique, interviews, spectacles.

 

Contact de l'administrateur

Envoyer un mail à l'adresse suivante : philippehugot9@gmail.com 

Visiteurs
Depuis la création 7 558 604
MUSEE DES CONFLUENCES EXPOSITION EPIDEMIES PRENDRE SOIN DU VIVANT

 

MUSEE DES CONFLUENCES EXPOSITION EPIDEMIES PRENDRE SOIN DU VIVANT

(du 12 avril 2024 au 16 février 2025).

Peste, variole, choléra, grippe de 1918, sida et très récemment COVID-19… Depuis des millénaires, les épidémies affectent les sociétés humaines ainsi que les autres espèces animales. Comme une enquête historique, l’exposition revient sur ces événements qui ont bouleversé la vie sur tous les continents.

 

Jazz Day : 24 heures pour célébrer la diversité du jazz

Pour la 11e année consécutive, Jazz à Vienne coordonne la programmation du Jazz Day sur le territoire lyonnais et ses alentours.

Depuis le 36e congrès de l'UNESCO en 2011, à l'initiative d'Herbie Hancock, le 30 avril est une journée de célébration du jazz dans toute sa diversité.

Cette année, la programmation de cette journée compte une quarantaine d'événements festifs et musicaux à Lyon, Vienne, Saint-Etienne, Villefranche-sur-Saône et Bourgoin-Jallieu.

Jazz Day | Jazz à Vienne (jazzavienne.com)