Capture-d’écran-2021-07-07-à-16

« Ses rêves furent sans ombres et sans fantômes, pleins de cette lourdeur du vrai sommeil, qu’on trouve et vit rarement. La nuit poussa l’aube jusqu’après six heures du matin, pour les laisser, l’un et l’autre, reprendre des forces, refermer ce corps, et quand Aimée, enfin, ouvrit les yeux, le soleil pointait le museau par la fenêtre, fouinant dans sa chambre. Elle cligna, chassa l’ombre et ses traces, puis, rejetant les draps, elle découvrit ses jambes où les filets de sang et de sperme séchés zébraient la peau claire et tendre.

Elle admira ces lignes nouvelles qui roulaient sous le genou, se demanda quel goût pouvaient avoir ces nourritures indispensables à la vie vécue, puis elle quitta, comme une reine sa couronne, sa chambre pleine des deux odeurs. Elle descendit au petit salon sans avoir lavé ses jambes. »

Un grand et beau domaine dans une vallée du Jura austère et froide, austère et froid, son propriétaire le très pieux Candre Marchère l’est aussi. Un jeune homme de vingt-cinq ans riche et déjà veuf, quelle chance pour la famille Deville, Aimée, leur toute jeune fille a tapée dans l’œil de l’homme de biens. Un mariage arrangé, certes, mais quoi de plus normal dans ce milieu du dix-neuvième  siècle.

Une grande demeure, une femme esseulée, un mari bienveillant mais raide et grave, une domestique et son fils très présents, trop présent peut-être ? Dans ce monde clos et silencieux une question occupe l’esprit fragile d’Aimée, qui était vraiment Aleth, la première épouse disparue si tôt ?

L’aspect sévère de l’enseignante, sa voix profonde lui donnaient envie de se laisser conduire et métamorphoser par elle. Selon les lois du mariage, personne ne devait la toucher, sinon Candre. Et pourtant, elle avait accepté cette poigne contre elle.

  Comme dans un conte de Grimm, le lecteur et Aimée avancent en tâtonnant et ne seront pas au bout de leurs surprises. Personnages dessinés habilement en quelques phrases,  écriture fine pour un roman terrien à suspens, la rencontre improbable entre Honoré de Balzac et Daphné du Maurier.

«  Seule en sa demeure » est une réussite dans le genre thriller historique délicieusement sensuel et féministe.

Seule en sa demeure de Cécile Coulon
Édition L’Iconoclaste
333 pages, août 2021