On en a parlé pas plus tard hier matin : Twist à Bamako, réalisé par Robert Guédiguian, qui sort dès ce mercredi en salles est un des premiers longs métrages marquants de cette année 2022 qui commence.
Rencontré lors de sa venue sur Lyon le 15 décembre dernier, le mythique réalisateur Marius et Jeannette et du Promeneur du Champ-de-Mars, revient avec nous sur la génèse de son film :
Les photographies de Malik Sidibé à l'origine du projet
" En 2017, à Paris la Fondation Cartier présentait une exposition monographique de Malik Sidibé, célèbre photographe malien.
C'est cette exposition qui nous a donné envie, à mon producteur et à moi, de faire un film qui raconterait ce qu'on voit sur ces photos.
Malik Sidibé collait parfaitement à son époque : c'était un jeune et joyeux révolutonnaire; il a photographié la jeunesse de Bamako en liesse , c'était un personnage très interessant et très libre.
C'était à la fois témoin et acteur d’une jeunesse africaine en mutation, partagée entre la tradition et l’émergence d’une mode, d’une musique et d’un style de vie inspiré du monde occidental moderne.
Nous avons donc eu le projet, Gilles Taurand, mon co scénariste, et moi même, de raconter une belle et tragique histoire d’amour autour de ces photos.
On s’est inspiré de deux jeunes gens qui dansent sur l’une des photos les plus connues de Sidibé, lui en costume blanc et elle, pieds nus avec sa petite robe.
On a imaginé qu’ils étaient très amoureux (en réalité ils étaient frère et sœur) que le garçon, dans la journée, une fois enlevé son costard blanc, mettait son treillis et allait dans les villages au fond du Mali pour convaincre les paysans d’accompagner la construction du socialisme et que la fille avait été mariée de force dans l’un de ces villages. "
S'approprier l'histoire de l'Afrique des années 60 lorsqu'est un réalisateur blanc de Marseille
"Est-ce qu'en voyant ce film, on devine que c'est un Blanc qui l'a fait ? Moi, je suis convaincu que non ! : Mon point de vue n'est pas un point de vue de Blanc, c'est mon point de vue tout court (et) ce qui compte, c'est le résultat. On peut se prendre à réver à ce qui serait passé si cette voie là avait continué à être exploré .
Cette histoire, je prétends qu'elle est la mienne, je le revendique. Parce qu'elle est à tout le monde". Depuis toujours, j'ai le désir de porter le regard sur les asservissements qui demeurent que j'essaie de traquer, en Afrique comme en France.
Mon histoire n'est pas si différente à celle des quartiers Nord de Marseille ou des quartiers de Paris où je vis aujourd'hui.
J’aime être accablé de responsabilités en faisant un film, avoir énormément d’enjeux, de difficultés, de risques, et à travers ces risques, j'aime faire quelque chose qui soit le plus réussi possible.
J'ajouterais aussi que ni par héritage familial, ni par mon parcours personnel, je ne me suis jamais retrouvé du côté des défenseurs du colonialisme.
Mon histoire est l'histoire du monde, je suis touché par ce qu'il se passe chez les Ouïghours aujourd'hui, comme j'ai été touché gamin par l'assassinat de (Patrice) Lumumba".
Fête et révolution, deux antagonismes forts
"ll y a très longtemps que je pense à cette contradiction, exprimée dans le film entre la fête et la révolution.
Les tentatives de socialisme sont toujours du côté de la raison, du travail, de l’effort, des samedis communistes, du travail collectif.
Et évidemment, le capitalisme, c’est la fête, la réussite, la danse, etc... J’ai essayé de montrer cette erreur totale des dirigeants du Mali qui considéraient que ces clubs sécrétaient une idéologie contrerévolutionnaire.
J'ai voulu aussi examiner les raisons d'une contre révolution : pendant ces événements de 1962 à Bamako, tout le mouvement ouvrier, les socialistes, les communistes, le mouvement syndical, ont pêché par manque de sens de la fête, du spectacle et du rire le personnage principal pense que c'est une erreur stratégique, je le pense aussi.. je pense que le twist, c'est extrêmement efficace pour remporter une victoire idéologique.
Le film touche du doigt ce moment de construction, de fête révolutionnaire où les possibles se heurtent à la contre révolution mais aussi à la tradition et aux coutumes ancestrales. "
Une histoire universelle
"Pour moi, mon film s'adresse au monde entier. C’est l’universalisme dont je ne m’écarterai jamais. Je crois que la lutte des classes est universelle comme ce qu’elle induit, la volonté d’un meilleur partage des richesses. Sous toutes les latitudes, quel que soit le costume, quelle que soit la langue, la religion, la couleur de peau… c’est ma grille de lecture.
A partir de là, j’ai eu de belles discussions avec les Africains ...
En fait, je ne fais qu’adopter le point de vue qu’avaient les jeunes révolutionnaires à ce moment-là. "
Son travail avec le scénariste Gilles Taurand
"Gilles est un intellectuel, très érudit, il a vécu en Afrique et il a un sens du récit de la synthèse, chaque scénariste a des qualités particulière... à chaque fois que je travaille sur quelque chose qui ne sont pas des fictions totales, et qui travaille sur des questions d'événements qui ont eu lieu je le fais avec Gilles comme pour Le Promeneur du Champ-de-Mars ou L’Armée du crime alors que sur des films plus personnels je travaille avec Serge Valetti..
Après avoir consulté les spécialistes, il a fallu à la fois se sentir libre par rapport au factuel et à la chronologie car le temps du récit doit être privilégié par rapport au temps historique en prenant garde à ce qu’il n’y ait aucun contresens.
Ensemble, il fallait évaluer quels étaient les grands axes de conflit, la révolte des commerçants contre l’intervention de l’Etat, les féodalités dans les villages qui s’accommodaient très bien du colonialisme, les débats sur la musique occidentale..
Robert/Samba, même combat?
"Ce jeune révolutionnaire africain, on a un peu de mal à croire mais il y a beaucoup de moi dedans .
En fait, même sur mes films historiques, comme «Le Promeneur du Champ de mars", ou «L’Armée du crime », je cherche l’endroit où personnellement je vais être.
Je n’aime pas faire d’autofiction directe, dire ‘’je’’, donc j’avance toujours masqué. Là, je prends un jeune africain du Mali pour parler de mon idéalisme de jeunesse et de ma volonté de changer les mœurs.
J'ai même poussé le truc jusqu'à donner à Stephane Bak la moto que j'avais à son age histoire que son personnage et que le jeune que j'ai été ne fassent qu'une seule et même personne ".
Croire encore et toujours au socialisme et aux forces de la gauche
"Depuis que je suis né, je n'ai jamais cessé d'appeler à l'union. Dès 1971, j'ai vécu le programme commun, j'ai pensé qu'il fallait unir les forces de gauche.
Une force de gauche seule n'arrivera jamais et n'est jamais arrivée à rien dans ce pays, jamais et si on est un peu historien, on le sait.
Donc il faut à mon sens établir une réunion des forces de gauche, émancipatrices. mais il ne faut pas qu'elles s'amusent les unes les autres et chacune leur tour à jouer « je suis le leader ». À bon entendeur,...."
Entretien réalisé le 15 décembre 2021 au cinéma de Lyon Comoedia
"Twist à Bamako", sortira ce mercredi 5 janvier au cinéma, distribué par Diaphana Films.