Baz'art  : Des films, des livres...
17 mars 2022

Rencontre avec Samuel Theis pour son film Petite Nature :" Filmer l’enfance, c’est toujours interroger les premières fois."

Avec Petite Nature,  en salles depuis désormais une semaine, (voir notre chronique)   Samuel Theis,  qui avait d'abord co réalisé avec deux comparses Party Girl, passe à la réalisation en solo avec l'histoire de ce gamin de Lorraine qui aspire avant tout à la beauté  dans un monde qui en manque un peu trop .

On avait rencontré le cinéaste le 24 février dernier au Cinéma Le Comoedia de Lyon .

On revient sur les grandes lignes de ce passionnant échange.  

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D’où vient la génèse de PETITE NATURE. Est-ce que le film est d'inspiration aussi autobiographique que l'était Party Girl, votre premier long métrage ? 

 Oui, ce film est en grande partie autobiographique même si j’ai pris plus de libertés qu’avec PARTY GIRL.

PETITE NATURE est inspiré de mon enfance mais s’autorise plus de fiction.

Dans mon premier film, il y avait pratiquement un enjeu d’archives, dans la façon de mettre en scène ma famille, ma mère.

C’était aussi le récit d’un milieu, d’un territoire, j’ai eu envie de poursuivre cela avec PETITE NATURE.

En faisant PARTY GIRL, je revisitais constamment mon enfance en Moselle, et j’essayais de me souvenir de ce moment où j’avais pris conscience de mon désir de partir. 

Le film est né avec une question : à quel moment, dans la vie d’un enfant, nait le désir d’émancipation ?

Car Petite nature, c’est d'abord un film sur l’éveil - sur les éveils : affectif, intellectuel, sexuel. Filmer l’enfance, c’est toujours interroger les premières fois.

Mais mon film  est aussi traversé par la question de la honte sociale. Il faut dire que ce sentiment m’a longtemps accompagné, j’ai beaucoup lutté avec ce sentiment de honte, c’est sans doute ce qui m’a amené à faire des films.

Mais plus encore que  porté par l'envie de  parler de moi, j’essaye de donner la parole aux gens qui ne l’ont pas et d’en faire les récits intimes, en respectant leur complexité. 

 

Le film montre en fait les toutes premières étapes d'un futur transfuge de classe, non?

Oui bien sur, c'est exactement ce que j'ai voulu montrer dans le film.

Johnny vient d’un milieu social défavorisé, c’est un garçon qui manque d’attention et de structure. et Adamski va lui offrir ça.

Il va lui ouvrir les portes de la sensibilité, du regard sur soi et vers l’autre.

L’élection est mutuelle entre l’élève et son professeur.

On voit la naissance d’une intelligence chez Johnny mais aussi sa prise de conscience de son origine sociale, forcément accompagnée d’un sentiment de honte. Adamski fait partie de la classe moyenne.

On peut d’ailleurs se demander si cette classe n’est pas la seule qui fait le trait d’union entre milieu populaire et milieu bourgeois.

PETITE NATURE montre les différences de classes sociales, mais plutôt sur le mode fascination mutuelle que lutte des classes. Johnny n’a que 10 ans mais ce qui est beau, c’est qu’il prend conscience de sa condition.

Peut-on dire que Forbach et ces quartiers défavorisés sont  votre vrai territoire de cinéma comme l'est Marseille pour Guédigian?

Je ne sais pas, car j'essaie de ne pas avoir une approche trop théorique et trop prévisible de mon travail

Je n'ai pas du tout envie d'avoir un plan de carrière cela serait assez  terrible( rires) et puis je n'ai réalisé que deux longs métrages..

Disons que je suis attaché pour le moment à la représentation d'un même milieu social, celui de mon enfance parce que je trouve qu'il a un peu disparu des écrans.

Je trouve aussi que quand on en parle, on garde le même angle, les mêmes questions.

Depuis Party Girl, ce qui m'interesse, c'est de raconter ce milieu de façon plus ample que des considérations purement matérielles, à savoir ou trouver de l'argent et comment survivre de ce milieu hostile.

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Petite nature, c'est vraiment le récit d'une émancipation spirtuelle plus que matérielle, non?

En effet. Les gens dont je parle dans mes films sont d’un milieu défavorisé mais l’argent n’est pas au centre de leurs préoccupations, ils sont, je pense,  traversés par des problématiques plus amples que celle de la simple survie.

Là, c’est le récit d’une émancipation précoce, de l’enfant-transfuge si on veut. Johnny prend son envol par le milieu scolaire. 

C’est une victoire douce amère, puisqu’il est obligé pour ça de tourner le dos à sa famille.

En France, contrairement  à d'autres pays comme l'Angleterre, j'ai comme l'impression qu'il y a quand même un vrai mépris des classes sociales qu'elles ont un peu disparu des médias et du cinéma, il y a une sorte de romantisme de la précarité qui m'attriste pas mal..

La réalité est que le cinéma français reste un milieu vraiment bourgeois

Il me semble que je fais du cinéma pour faire entendre une voix un peu disonnante, donc pour répondre vraiment à votre question,  il se trouve que mon prochain film se déroulera encore à Forbach (rires).. 

Comment avez-vous trouvé Aliocha Reinert, la vraie révélation de votre film?  

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 On a procédé à un long casting sauvage en Lorraine.

On s’est d’abord concentré sur la recherche de Johnny et sa mère. Les enfants, c’est toujours difficile, c’est toujours une première fois, il faut en voir beaucoup.

L’idée que n’importe qui peut jouer est fausse, pour jouer au cinéma, il faut quand même accepter de se laisser regarder.

On a longtemps cherché, je souhaitais un garçon qui soit délicat et déjà habité par des questions de sexualité ou de genre.

Et Aliocha s’est présenté, avait de longs cheveux blonds et faisait de la danse.

J’ai averti ses parents de l’histoire du film, je voulais qu’ils soient bien au clair, et ils ont eu l’intelligence de me dire que c’était à Aliocha de décider.

Il a demandé un temps pour réfléchir et j’ai trouvé ça très beau.

Il m’a rappelé quelques jours plus tard en me disant qu’il se sentait capable de défendre ce rôle et qu’il en avait envie.

Aliocha n’est pas Johnny et j’ai trouvé sa décision et ses motivations très courageuses. 

Il possède une intensité, une sensibilité et une grâce dans sa manière de bouger et de se laisser regarder.

Il y a des acteurs du contrôle, qui fabriquent, et d’autres qui s’abandonnent, acceptent qu’on leur « vole » des choses. Aliocha fait partie de cette seconde catégorie...

Petite Nature - Visuel 4 - © 2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINEMA

 Comment écrire et convevoir un film à hauteur d'enfant de A à Z?

Le pari, dès l’écriture, était de rester dans le point de vue unique de Johnny, à hauteur d’enfant.

C’est un peu ce que j'ai voulu comme la proposition du film : offrir le regard d’un enfant sur le monde, et non un regard sur l’enfance.

On est immergé avec lui dans sa découverte de la sensualité, dans son trouble, on tâtonne avec lui.

On m’a souvent dit qu’il y avait deux films dans mon film. D’abord la question de l’émancipation de Johnny, son arrachement à son milieu, et ensuite, la naissance du désir sexuel.

Mais pour moi, ces deux questions sont intimement liées, je ne pouvais pas les dissocier.

Je voulais faire dialoguer ces deux dimensions et montrer que l’une est l’expression de l’autre. Les écueils étaient nombreux. La question du désir sexuel chez l’enfant est encore très tabou.

Et puis, il est multiple, ça dépend de chaque individu. Moi, j’ai été concerné très tôt par la sexualité. À dix ans, quand le désir se manifeste, c’est complexe, surtout si ce désir est dirigé vers un adulte.

Il y a une responsabilité dans la manière de représenter ça.

Il faut se demander jusqu’où on montre et moi, j'ai opté pour rester du côté de la restriction, de la pudeur.

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 Votre mise en scène est moins naturaliste, moins dans un versant documentaire que dans Party Girl. Est- ce parce que vous osez plus aller du coté de la fiction et du romanesque dans l'écriture et donc par conséquent dans la réalisation?

Je crois en fait  que c’est important de ne pas trahir la réalité de ce qu’on filme, et pour autant, il y a dans mon désir de cinéma, l’envie de donner aux gens que je filme un statut de héros de fiction.

Pour cela, je dois assumer ce côté romanesque de mon film. Je ne veux pas réduire les personnages à des questions de survie ou d’argent, je veux montrer que leur vie est plus large que ça.

Cela m’oblige à essayer de trouver un équilibre fragile, mais je crois qu’il est possible de faire un cinéma social et réaliste qui assume certaines fantaisies, voire coquetteries de mise en scène.

Petite Nature - Visuel 3 - © 2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3

Comment aimeriez vous qu'on interpréte le titre de votre film?

J'avais besoin que le titre soit un peu ironique par rapport à ce que mon personnage déploie comme dépassent de soi, il est tout sauf une petite nature en fait, il n'est jamais faible.

Cette expression a quelque chose à voir avec le corps des enfants, il évoque aussi le fait que cette région lui semble trop petite, trop restreinte, cette nature est trop petite par rapport à sa soif de savoir et de conqueête..

Ce titre ouvre aussi le dialogue entre nature et culture. 

In fine, la nature,  c'est aussi une façon de définir une personnalité, une personne, avec toutes les questions qu'il traine avec lui!

Disons que c'est comme cela que j'envisage ma façon de concevoir un film et j'avais envie que tout cela transparaisse dans le titre même du film ..

 

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  Petite nature », de Samuel Theis. Avec Aliocha Reinert, Mélissa Olexa, Antoine Reinartz, Izia Higelin. Durée : 1 h 35. En salle mercredi 9 mars.

Merci au cinéma  "Le Comoedia" et  au distributeur à Ad Vitam 

 

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