Place à trois spectacles portant sur de fascinants destins, vus pendant le OFF d'Avignon 2022 !

1) Glenn, naissance d'un prodige au Théâtre des Béliers

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Coup de cœur absolu pour la nouvelle création d'Ivan Calbérac, à qui on doit aussi Venise n'est pas en Italie ou La dégustation. Il s'intéresse cette fois au prodige qu'était Glenn Gould, ce canadien qui a démarré le piano à 2 ans et demi, révélé son oreille absolue à 3, fait sa première apparition publique derrière son instrument à 12, signé son premier contrat avec la CBS à 22... Et la fascinante liste des premières fois ayant eu lieu tôt, si tôt, ne s'arrête pas là.

À travers cette nouvelle création, Ivan Calbérac nous apprend qui était l'homme derrière le prodige, derrière l'excentrique. Et ce, à travers une mise en scène pleine d'ingéniosité, d'humour, et d'émotions (beaucoup, beaucoup). On découvrira quelle relation il entretenait avec sa mère, ses amours ô combien contrariés avec sa cousine Jenny... Qu'il aurait certainement pu être un homme heureux, s'il ne souffrait pas de mille maux, s'il n'était pas si hypocondriaque, si frileux, si excédé par les autres, si aveugle devant les sentiments que ressentait pour lui sa cousine, si sa mère ne l'avait pas aussi couvé, si, si, si... Les regrets ne sont pas l'unique thème de cette pièce, rassurez-vous. L'humour est là, comme une note qui revient sans cesse. Il y a ces scènes à la fois tragiques et hilarantes, dans lesquelles Glenn s'invente des maux, toujours des maux, dans lesquelles sa mère s'impose toujours un peu plus, prenant une place telle qu'elle l'étouffe, le coupant de tout sauf du succès, le culpabilisant pour parvenir à ses fins.

Chaque comédien joue sa partition avec brio, à commencer par Thomas Gendronneau qui se fond dans la peau du prodige, mimant ses tics sans en faire trop, empruntant cette posture voûtée caractéristique de l'artiste. Leur ressemblance physique est même frappante. Glenn est formidablement bien entouré avec des parents incarnés par Josiane Stoleru et Bernard Malaka, une émouvante (et désespérée) cousine jouée par Lison Pennec ou encore un bienveillant (et patient !) impresario Benoît Tachoires. Stéphane Roux vient quant à lui jouer une multitude de peronnages, comme ce présentateur radio un peu trop curieux (chapeau bas pour l'accent !), ou ce producteur exaspéré par cet artiste qui ne peut s'empêcher de chantonner en enregistrant son disque, réclame toujours plus de radiateurs et s'attribue des fractures imaginaires.

Je suis ressortie de la salle avec le goût amer du gâchis, la gorge serrée, et en même temps, la joie d'avoir été le témoin de la naissance d'un prodige. L'envie urgente d'en apprendre plus sur cet homme fascinant, aussi. Très gros coup de cœur !

2) Marie des Poules au Théâtre La Luna           

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Il m'aura fallu attendre le OFF 2022 pour découvrir Marie des poules de Gérard Savoisien, pièce pour laquelle Béatrice Agenin, ancienne sociétaire de la Comédie Française (qui tient ici le rôle titre) avait reçu le Molière de la Comédienne en 2020. Et quelle merveilleuse découverte.

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J'ai en face de moi un plateau presque nu, composé d'une table de café et d'une gigantesque maison de poupée qui, au fil de la pièce, verra ses pièces s'ouvrir pour illustrer un propos ou un dessein.

À 11 ans, la petite Marie Caillaud entre au service de George Sand. Elle héritera du surnom "Marie des Poules", en tant que  préposée au poulailler et, aussi, pour être différenciée de l'autre Marie, la cuisinière. Cette petite fille intrigue tout de suite George Sand, qui la prend rapidement sous son aile. Elle se mettra en tête de lui apprendre à lire et à écrire, mais aussi, de lui faire jouer, devant ses illustres amis - parmi lesquels Eugène Delacroix et Alexandre Dumas - les pièces qu'elle a écrites. Marie des Poules se révélera très douée pour l'art dramatique, et aussi, pour apprendre, progresser, gommer cet accent berrichon qui l'a dessert, parfois. Elle apprendra aussi, pour son plus grand bonheur et son plus grand malheur, les choses de l'amour : Maurice, le fils de George Sand (Arnaud Denis, qui signe aussi la mise en scène), coureur, séducteur, calculateur, convaincu que le monde féminin entier est à ses pieds, ne tardera pas à la séduire. Manipulateur aussi - les marionnettes et les poupées dont ils tirent les ficelles pendant la pièce ne pourront dire le contraire.

Béatrice Agenin incarne Marie des Poules et George Sand, deux personnages qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, avec un talent égalé. L'une est douce, terriblement émouvante, l'autre est une femme de poigne, pas du genre à s'en laisser conter. Les deux partagent une soif de liberté et un grand cœur. Arnaud Denis campe, quant à lui, un Maurice tout en nuances. Au départ, odieux à souhait, son cœur s'ouvre peu à peu devant cette Marie qui l'étonne sans cesse, à qui il a envie de tout confier, qu'il aime entendre déclamer des textes ou formuler des réflexions, pleines de bon sens, sur l'existence.

Cette pièce m'a autant émue et passionnée. Pour la "petite histoire", la liaison entre Maurice et Marie des Poules a été découverte récemment, et Gérard Savoisien a eu l'excellente idée de s'en emparer. 

3) Mahalia et moi au Sham's Théâtre 

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Et pour terminer, un mot sur un spectacle musical découvert au Sham's Théâtre.

Ce n'est pas la mise en scène (assez simpliste) que nous retiendrons de ce joli spectacle, mais bien la voix et l'enthousiasme communicatif de Florence Aubrun, chanteuse de gospel et de jazz qui a souhaité, à travers lui, rendre hommage à Mahalia Jackson - celle-là même évoquée par Nougaro dans La Boîte de jazz. Cette femme incroyable qui s'est battue pour la condition noire et les droits civiques, aux côtés notamment de Martin Luther King. 

Florence Aubrun reprend quelques-unes de ses chansons, tout en nous faisant découvrir certaines tirées de son propre répertoire. Accompagnée de ses deux musiciens Pierre-Auguste Bona et Tantely Rambeloson, elle a réveillé d'un coup le public avignonnais ensommeillé par l'heure tardive. Un moment suspendu !

Portrait