« Si tu crois que c’est facile d’être le chef de Gaza. […] Il faut connaître Gaza comme si c’était ta femme. Tu sais où sont les plis, où sont les rondeurs, tu sais quand elle crie, tu sais quand elle a mal, tu sais ce qu’elle aime, tu sais ce qu’elle n’aime pas, tu sais ce qu’elle aime manger, tu connais les chansons qu’elle aime écouter, tu sais comment lui plaire, tu sais comment la faire ramper, tu sais là où elle est sèche, tu sais là où elle est toute trempée. Tu ne confonds pas sa tête et son sexe, tu ne confonds pas ses mains et ses pieds. Personne ne connaît Gaza comme moi. »
Mayotte, île française. Mo naît avec un oeil marron, l'autre vert. C'est pourquoi sa mère l'abandonne à une autre femme.
Enfant noir aimé par une blanche qui l'envoie à l'école et l'élève à la française. Tout va bien, jusqu'à ce qu'elle meurt subitement …
Moïse se retrouve à l'adolescence en manque de reperes et confronté à la très dure réalité de la vie dans un bidonville renommé Gaza et on l'imagine pas pour de bonnes raisons.
Sorti en 2016, Tropique de la violence, court roman de la Mauricienne Nathacha Appanah, a immédiatement rencontré un vif succès. Sélectionné pour le Goncourt, le Fémina, le Médicis, couronné par le Fémina des lycéens, il a déjà fait l’objet d’une adaptation en bande dessinée et d’une autre au cinéma par Manuel Schapira.
Alexandre Zeff s'en empare pour la scène avec une version qui oscille entre le conte et le thriller et qui nous plonge dans l'envers du décor de cette ile Mayotte
Un paradis pour touriste mais enfer pour les jeunes, livrés à eux-mêmes, sans éducation, sans aide, sans parent : surpopulation, immigration clandestine galopante, extrême pauvreté, misère sociale, pénurie d'eau, violences quotidiennes d'une jeunesse perdue et livrée à elle-même par une administration complètement dépassée.
Dans ce récit à plusieurs voix où chaque protagoniste raconte son histoire, Alexandre Zeff fait se croiser leurs destins sur une scène électrisée grâce à une scénographie particulièrement explosive et inventive où la beauté de la langue éclate dans toute sa sombre et puissante poésie.
" Depuis le temps que ça gonfle cette violence, cette onde destructrice, cette énergie brûlante qui sort d'on ne sait où ; tous ces morts dans le lagon qui vont se réveiller aujourd'hui et nous hurler à la face jusqu'à ce qu'on devienne fou. Depuis le temps qu'on prédit la guerre, qu'on guette le bruit des armes à feu et les cris des bêtes sauvages ».
Marie, Moïse, Bruce, Stéphane et Olivier. Des cœurs brûlants, morts, toujours vifs, fendus et ouverts face à nous, protagonistes d'une terrible histoire d'où personne ne sortira indemne.
Tous les 5 sont interpretés par des comédiens, à fleur de peau et qui semblent prendre du plaisir à donner corps à ses personnages et donner langue au texte de Nathacha Appanah qui imprime son style tout au long du récit.
Le metteur en scene a accentué la dimension thriller de l’écriture pour entraîner une forte dynamique de jeu et révéler la pulsion cardiaque de l’histoire.
Saluons l'audace de cette œuvre transdisciplinaire où théâtre, danse,vidéo, musique live et dimension plastique, fusionnent dans un même souffle poétique qui interrogenotre conscience citoyenne .
Pour accompagner la puissance théâtrale de l’écriture, les compositions musicales originales et mélodiques de Mia Delmaë se mêlent aux percussions créées par Yuko Oshima, afin d'apporter une incarnation à l’univers sonore du spectacle et une dimension sensible supplémentaire.
Un spectacle bouleversant, brillamment mis en scène et interprété, qui aura été particulièrement applaudi par le public ( assez jeune) présent lors de la première représentation mercredi soir...
𝐓𝐫𝐨𝐩𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐯𝐢𝐨𝐥𝐞𝐧𝐜𝐞 Nathacha Appanah
Alexandre Zeff
Théâtre des Célestins
Du 23 au 27 nov.