Baz'art  : Des films, des livres...
15 février 2023

Rencontre avec Nabil Ben Yadir, réalisateur du film ANIMALS

 Des Darons en 2009 à La Marche , chronique grand public sur la Marche des beurs avec Jamel Debouze en 2013, Nabil Ben Yadir est un réalisateur belge qui détonne par son parcours atypique et par son éclectisme.

Son dernier long métrage, « Animals » en salles ce mercredi retrace l’assassinat sauvage du jeune Ihsane Jarfi, terrible crime homophobe qui a traumatisé la Belgique en 2012.

Un film choc, sans concession, réalisé avec une grande liberté de ton. Retrouvez notre chronique ici même;

On a pu échanger récemment par téléphone avec ce cinéaste profondément engagé et passionné [ATTENTION SPOILS|:

 

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 Qu’est-ce qui vous a amené au départ à raconter ce fait divers ?

 J’ai toujours voulu aborder différents genres et sujets, au risque de surprendre. J’avais été marqué par un article qui relatait la découverte du corps d’Ihsane Jarfi.

Quand il a été annoncé que c’était un crime homophobe, je me suis très vite posé la question de l’identité.

Ihsane Jarfi était non seulement homosexuel mais aussi arabe de confession musulmane. Nous sommes tous pluriels.

J’ai été frappé par l’absence de regrets de la part des assassins. Lors du procès, ils se renvoyaient tous la faute pour se défendre. Je me suis posé la question de la naissance des monstres.

Comment a-t-on pu en arriver là, dans une société démocratique, avec un niveau d’études assez élevé ? Comment le plus jeune, le personnage de Loïc, a-t-il pu ainsi basculer ?

Vous avez pris connaissance de cet terrible fait divers grace à un article de presse suite à la découverte du corps d'Ishane..est- ce qu'en Belgique, cette histoire a connu un gros retentissement médiatique un peu comme l'a été le meurtre d'Ilan Halimi en France?

Oui, on en pas mal parlé au moment de la découverte du corps, et ensuite lors du procès des assassins.

Il faut dire qu'il a été reconnu comme étant le tout premier meutre commis pour un motif homophobe en Belgique et cela a apporté une vraie couverture

 Lorsque je suis allé assister au procès, j’ai été frappé par l’absence de regrets de la part des assassins. Lors du procès, ils se renvoyaient tous la faute pour se défendre.
Je me suis dès lors posé la question de la naissance des monstres.
La rencontre avec le père d'Ihsane, Hassan Jarfi, était essentielle dans le processus menant au film ?

Tout à fait, le rencontrer a été décisif. Il y a des gens qui vont vous dire qu'au nom de la liberté d'expression on aurait pu faire le film sans lui, mais pour moi c'était impossible.  

Donc je suis allé chez Hassan, je l'ai rencontré et je lui ai dit que je voulais faire un film sur ce qui s'était passé. Par contre, on s'est mis d'accord dès le départ sur la représentation de la violence.

  Nuit d’amour beur

Vous avez dit dans le dossier de presse qu'enFrance, vous n'auriez pas pu réaliser ce film là; vous faites allusion au sujet qui explore le thème de l'homophobie dans les différents milieux culturels et sociaux, ou plus particulièrement de la manière très radicale dont vous montrer la violence à l'écran?

Je parle surtout de la radicalité de la violence , en effet, je vous retourne la question : depuis Irréversible, vous en voyez beaucoup des films français qui montrent la violence de façon aussi réaliste sans aucun artifice?.

Je sais pour avoir longuement échangé avec ceux qui font la pluie et le beau temps dans le cinéma français qu'aucun financement n'aurait été possible en France pour monter le projet.

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Votre film ne cesse de poser la question de la représentation de la violence sous toutes ses formes....
Ce que raconte le film en dehors du récit des derniers jours de la vie du personnage de Brahim (Ihsane dans le film), c’est finalement, la naissance des monstres, comment une société occidentale dite démocratique peut encore construire, nourrir des monstres pareils ? Comment s’opère la bascule ?
J’ai un parcours scolaire chaotique, je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’étais électromécanicien. Je me demande comment moi je n’ai pas basculé.
Et surgit la question de l’éducation qui peut faire la différence.
Le titre vient de là, c’est un des assassins, lors du procès, qui a prononcé ces mots : « On n’est pas des animals ».
Donc oui la question de l’éducation se pose devant ce genre d’erreur émanant d’un jeune homme de 30 ans qui ne s’en rend pas compte.
C’est un fait marquant qu’on ne peut pas oublier.
 Notre choix est politique et je me fais un devoir de montrer ce film aux jeunes, accompagné souvent du père d’Ihsane. C’est important que ce long-métrage provoque le débat.  

Le film est structuré en trois chapitres : une fête de famille où Brahim aurait dû présenter son copain, le drame puis lorsque Loïc, un des assassins, est retrouvé. Pourquoi avez-vous choisi ces trois moments en particulier ?

Ce qui m’intéresse, ce sont ces changements de tons brutaux. On suit Brahim, la caméra le colle sans arrêt. On rentre avec lui dans la voiture des assassins, on bascule à ses côtés dans le cauchemar.

La troisième partie est très importante pour moi, quand on découvre que Loïc, le plus jeune, n’avait aucun casier et qu’il menait une vie normale.

C’est lui qui donnera pourtant les derniers coups.

Il y a un parallèle entre la première et la troisième partie. On suit des personnages dans des fêtes (Loïc va au mariage de son père) mais ils ne sont pas totalement intégrés au groupe, car ils ont un secret.

Vous faites le choix de montrer le lynchage à travers l’objectif des téléphones des assassins. Le fait de filmer la scène a-t-il contribué à l’engrenage du meurtre ?

Le téléphone est à l’opposé de la suggestion. On ne sous-entend rien, on vous montre. C’est une forme de cinéma 2.0, celui des meurtriers qui se mettent eux-mêmes dans une mise en scène qui va détruire leur propre vie.

Tout cela est d’autant plus terrible qu’il s’agit d’un crime presque accidentel.

Les quatre assassins tentaient d’emmener une fille quand Brahim l’a défendue. C’est finalement lui qui finit dans la voiture. Tout bascule quand on découvre qu’il est gay.

Il sauve cette fille et se condamne lui-même en révélant son homosexualité alors qu’il aurait mieux valu qu’il fasse son coming out lors de la fête de famille

.Pour moi, c’est un héros qui sauve une fille et fait partir le danger loin du bar gay.

C’est en tout cas ma vision des choses.

Ce qui frappe quand on regarde les assassins dans la voiture, c’est leur diversité , que cela soit en termes d’âge, d’origine sociale ou ethnique.

Ce qui les réunit tous les quatre,  c’est cet engrenage viriliste où chacun veut montrer qu’il est le plus fort et le plus fou. A cela s’ajoutent l’effet de groupe et la désinhibition de l’alcool.

Plus on frappe fort, moins on ressemble à notre victime et moins on a de compassion.

Nabil-Ben-Yadir

Est-ce que vous aviez des représentations cinématographiques de l’ultra-violence en tête, comme Orange mécanique de Stanley Kubrick ou les films de Michael Haneke ?

On s’est longtemps posé la question de la représentation de la violence. Mais à partir du moment où on introduit les images issues des caméras de téléphone, même si c’est très écrit, on passe à une image brute.

Contrairement à Orange mécanique, qui reste très esthétique dans sa représentation grâce à la musique.

C’est d'ailleurs ça qui met mal à l’aise dans "Animals", d’avoir cette impression de regarder un truc qu’on ne devrait pas voir.

Mais je pense qu’il était impossible de faire le film autrement, et que si ce genre de film n’existe pas, c’est que les gens ont peur de le faire.

Or ce film doit exister comme ça. C’est-à-dire qu’un article écrit sur l'affaire, ça passe, mais la seule manière de faire bouger les choses, c’est d’en faire un film, de mettre des images sur ce qu’il s’est passé.

Là, il n’y a aucun artifice.

Notre choix est politique et je me fais un devoir de montrer ce film aux jeunes, accompagné du père d’Ihsane, et toujours avec un dossier pédagogique.

C’est important que ce long-métrage provoque le débat.

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