[CRITIQUE] La mer au loin : le coeur en exil
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Nour, 27 ans, a émigré clandestinement à Marseille. Avec ses amis, ils vivent de petits trafics et mènent une vie marginale et festive… Mais sa rencontre avec Serge, un flic charismatique et imprévisible, va bouleverser son existence. De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit et se raccroche à ses rêves abîmés par la mélancolie d’un exil irréversible.
Peu de films français d'aujourd'hui s'essaie au romanesque et à la fresque épique et sentimentale. Ces dernières années Le temps d'aimer de Katell Quileveré ou Gaël Morel avec Vivre, mourir, renaitre s'y étaient essayés avec une craie réussite artistique mais hélas sans rencontrer le succès public qui le méritait.
On ignore si « La Mer au loin" de Saïd Hamich Benlarbi aura un chiffre d'entrée à la hauteur de son ambition mais force est de constater que le second long métrage d'un cinéaste qui ne nous avait pas forcément préparé à un tel niveau avec le sympathique mais modeste Retour à Bolenne est une immense réussite sur pas mal de plans.
La mer au loin se veut en effet comme une grande fresque.
Dans la tradition littéraire du récit d'apprentissage venu notamment de Flaubert et de son Éducation sentimentale (1869),revisite les années 1990 à partir d'un personnage inattendu qui se révèle être un fin observateur ouvert aux rencontres et aux histoires qu'elles génèrent.
Le scénario, parfaitement construit, raconte l’histoire d’une décennie qui commence en 1990 et s’achève à la veille d’un nouveau millénaire,
Le film ose le romanesque sur des thématiques qui généralement appellent le réalisme politique et social.
On aime ce retour au romanesque et au mélodrame inspiré par le cinéma de Douglas Sirk et Fassbinder avec un protagoniste qui vient déplacer le regard vers une situation inédite d'appréhension du monde.
Nour y fait l’expérience irréversible de l’exil, abordé de manière intime et politique.
Face à cet arrachement et à cette mélancolie destructrice, les autres - d’abord par l’amitié ensuite par l’amour - semblent être l’unique terre d’accueil et de joie possible. La Mer au loin est un mélodrame dont le raï est la source d’inspiration, il y sera question de fête, d’amour et de temps qui passe.
Cette sensibilité sans âge et cette question qui demeure, l’amour peut-il nous sauver de la solitude ? »
Cette chronique séduisante est particulièrement réussie dans ses scènes de groupe, en voiture ou en famille, par exemple. S'y ajoutent de nombreux morceaux de Raï, qui font de la musique un personnage à part entière. Face à un sobre et émouvant Ayoub Gretaa, quel bonheur de retrouver la classe folle d'Anna Mouglalis et la singularité de Grégoire Colin.
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Sa touchante sensibilité laisse la possibilité à des personnalités queer de s'imprimer dans sa propre vie tandis que lui-même reste attaché à des références traditionnelles de la manière de faire des liens et des rapports aux autres.
Dix années ponctuées de joies, de peines arrimée à une jolie idée, la circulation des désirs sur des poles a priori contraires
Un cinéma politique et social de grande qualité,
Mes deux précédents films se déroulaient sur une durée très courte.
C’étaient des fictions où je réfléchissais à la façon dont l'identité d'un lieu
que l'on a quitté ou que l’on retrouve, peut nous imprégner.
Mais pour
La mer au loin, je voulais traiter du sentiment de l'exil qui
est une affaire de temps. Essayer de faire ressentir la part insondable de
l'exil ne me paraissait possible que par le romanesque. Je voulais ne pas
figer les personnages dans leur identité de migrants mais aborder leurs
rencontres, leurs doutes, leurs amitiés, leurs amours, leurs croyances.
Et voir comment Nour pouvait se construire intérieurement sur un
temps long, comme dans une forme de roman d’apprentissage. Il s’agit
bien de sonder les parcours dans leur intime et non par un traitement
misérabiliste ou purement social.
Cette idée de roman d’apprentissage trouve un écho dans le
chapitrage du film. Chapitres qui à l’exception du dernier désignent
des protagonistes…
Celui-ci se trouve dans La Mer au loin dans les années 1990 partagé entre les deux bords de la Méditerranée, de Marseille à son Maroc natal où une mère à la personnalité continue à infuser et questionner la capacité de son être à s'inscrire au monde.Une plongée dans la communauté maghrébine de Marseille dont le spectre s'élargit au fur et à mesure, au gré des rencontres du héros, avec des personnages peu conventionnels, qui donnent un vrai plus, en termes de fantaisie, dans un récit par ailleurs mélancolique et d'un romanesque en apparence tranquille mais agité, sous la surface, par tous les sentiments humains.