A moi seule : un film superbe et intelligent sur un sujet tabou
Pour ce premier mai, je ne ferai pas la fête du travail et vous pondrai quand même un petit billet sur un film qui n'a rien de ludique et de festif, bien au contraire, mais qui m'a énormément séduit et dérouté en même temps.
Ce film, c'est À moi seule réalisé par un jeune metteur en scène français Frédéric Videau et dont le sujet est très proche d'un livre dont je vous ai parlé plusieurs fois sur ce blog, Twist de Delphine Bertholon.
Le cinéaste et l'écrivain s'inspirent d'un fait divers autrichien qui a défrayé la chronique, la sinistre affaire Natascha Kampusch, et récemment au moins deux autres artistes Markus Schleinzer et son film Michael, et Régis Jauffret et son dernier roman Clasutria sont partis également d'un même postulait de départ, une de séquestration pendant de très longues années, dans une cave d'une jeune personne par un déséquilibréprofond .
Dans A moi seule, Videau s'éloigne assez rapidement de ce fait divers, et ne situe jamais son film sous le joug de la classique reconstitution. Certes, Gaëlle a été enlevée à l'âge de 8 ans par Vincent, on le comprend dès les premières images quand Gaëlle, devenue une jeune fille, est libérée par Vincent. Mais, en commençant par le dénouement et en déconstruisant la chronologie (le film mélange totalement et très habilement le passé de la détention au présent de la reconstruction), le cinéaste cherche avant tout à nous rendre compte de l'ambivalence de sa jeune héroïne en proie à un syndrome de Stockholm qui ne dit jamais son nom.
Ce n'est pas le fait divers en lui même qui interesse le cinéaste,mais bien plus la réadptation de Gaelle au monde extérieur aprés ses 8 années de captivité, et à l'étrange relation qui a pu se nouer entre le ravisseur et sa victime.
De ce fait, le film s'avère réellement fascinant de bout en bout. Voilà en effet un de ces rares films qui nous pousse dans nos retranchements moraux et qui arrive à mettre à mal nos propres certitudes. En douceur, mais avec beaucoup de fermeté, Frédéric Videau bouleverse les codes, tord le cou aux clichés sur la question de la paternité, de la parentalité, de la filiation.
En effet, la question centrale du film est de savoir comment une petite fille grandit avec ce qui constitue sa seule famille, à savoir un déséquilibré incapable de nouer de vraies relations affectives, qui, en même temps, veut lui assurer le confort matériel dans la mesure de ses moyens (achete les cd et livres qu'elle aime, nourriture de son choix)
Ainsi Vincent va annoncer d'emblée à Gaëlle : "je ne te ferai jamais de mal, je ne te frapperai pas, je ne te violerai pas"... C'est clair et, étrangement, nous prenons le parti de "faire confiance" à Vincent, malgré son évidente inhumanité. Cette confiance accordée d'emblée nous questionne forcément quant à notre propre attitude. Derrière l'inacceptable de son geste, on ressent une extrême solitude et une humanité qui ébranle indubitablement nos convictions.
Et en plus de ce trouble liée à l'ambiguité de cette relation, le film pose également une autre question essentielle : comment retrouver un cercle familial lointain, comme si de rien n'était? En effet, on va s'apercevoir qu' à une prison succède une autre prison, moins apparente, mais tout aussi aliénante. Pendant son enfermement physique, si Gaëlle gagne sa liberté jour après jour contre Vincent, cela ne fait pas d'elle une jeune fille libre quand elle se retrouve à l'extérieur. Le film nous montre d'éclatante façon à quel point la frontière entre réclusion et liberté peut parfois être poreuse.
Et le film ne serait pas aussi réussi sans l'éblouissante prestation des deux comédiens principaux; je ne connaissais pas du tout la jeune Agathe Bonitzer, elle impose ici une présence magnétique, qui fait parfois penser à Charlotte Gainsbourg. Quant à Reda Kateb, qui lui partage avec Joey Starr dans la même animalité bienvaillante, il éblouit encore plus que dans le Prophète qui l'avait fait découvrir au plus grand nombre.
A moi seule est donc un film pas forcément facile d'accès, de par le sujet, et son traitement, mais, pour qui veut bien tenter l'expérience, se révèle être une aventure assez magnifique.
À MOI SEULE : BANDE-ANNONCE Full HD de Frédéric Videau